« […] Il me souvient à ce sujet d'un souhait que faisait autrefois un
homme qui n'avait ni science ni étude mais qui, selon les apparences, ne
manquait pas de bon sens pour juger sainement de tous ces détestables abus et
de toutes ces détestables tyrannies que je blâme ici. Il paraît, par son
souhait et par sa manière d'exprimer sa pensée, qu'il voyait assez loin et
qu'il pénétrait assez avant dans ce détestable mystère d'iniquité dont je viens
de parler puisqu'il en reconnaissait si bien les auteurs et les fauteurs. Il
souhaitait que tous les grands de la
terre et que tous les nobles fussent pendus et étranglés avec des boyaux de
prêtres. Cette expression ne doit pas manquer de paraître rude, grossière
et choquante, mais il faut avouer qu'elle est franche et naïve. Elle est courte
mais elle est expressive puisqu'elle exprime assez en peu de mots tout ce que
ces sortes de gens-là mériteraient. » Jean
Meslier
Dernier acte signé de la main de Jean Meslier trouvé dans le registre paroissial de la commune d'Étrépigny
"Que tous les Grands de la terre et
que tous les nobles fussent pendus avec les boyaux des prêtres." Ces
fortes paroles inspirèrent plusieurs variantes égayant les murs en mai 1968.
Qui se rappelle qu'elles furent écrites il y a près de 300 ans par un curé de
campagne ? Son Mémoire est un cri universel pour que l'humanité s'émancipe de
ce qui l'infantilise et l'exploite, les religions et les pouvoirs."
Une vie après la mort
Par une nuit, probablement sans lune,
trois silhouettes, dont deux portent ce qui semble être une soutane, enterrent
discrètement un cadavre dans le jardin du presbytère. Nous sommes à Etrépigny,
petit village ardennais de 400 âmes, le 28 juin 1729. Pourquoi le clerc du lieu
et deux curés du voisinage se débarrassent-ils d'un corps, sans plaque ni
pierre tombale ? Le lendemain les habitants, demandant des nouvelles de leur
prêtre, il leur est ordonné de ne plus s'enquérir de Jean MESLIER, qui fut
pourtant leur curé durant quarante ans ! Le spectre de Jean MESLIER terrorise
ces serviteurs de Dieu : il a laissé deux lettres, affirmant "ne plus devoir maintenant faire encore
difficulté de dire la vérité", "avoir mille fois maudit dans le cœur les vaines et abusives fonctions
de ce vain ministère" et que "toutes
les religions ne sont qu'invention à la solde du pouvoir pour abuser le peuple."
Diable, cela sent l'apostasie ! Ce maudit curé précise qu'il a écrit un Mémoire. Ciel !
Il suffit de quelques années pour que
des copies du Mémoire
circulent. Voltaire y fait allusion dans une lettre de 1735. En 1762 il en tire
un abrégé, Le Testament du
curé Meslier, qui se révélera un détournement du texte original. Ce
n'est qu'en 1864 qu'une version complète sera éditée à Amsterdam en seulement
500 exemplaires. Jean MESLIER ne sortira de l'oubli qu'en 1965, à travers la
biographie que lui consacre Maurice Dommanget. Paradoxalement son nom figure
sur un obélisque à Moscou, gravé par les bolcheviques en 1919 ! Ainsi les
bourreaux des marins de Cronstadt et des paysans anarchistes makhnovistes glorifient
un homme qu'un de ses contempteurs accuse d'avoir "composé au seuil de sa vie une œuvre anarchiste, destructrice de la
Société" !
Docteur Jekyll et mister Hyde
Jean MESLIER naît dans une famille aisée
ardennaise. Malgré son peu d'enthousiasme, son père l'inscrit au séminaire de
Reims et son chemin (de croix ?) le conduit à la cure d'Etrépigny, village de
paysans, de bûcherons, de manouvriers. L'église jouxte un château, et la forêt
voisine abrite une abbaye qui prélève la dîme sur les paroissiens.
Contrairement à ses prédécesseurs, il est cultivé et ne boit pas, ce qui lui
vaut d'être bien noté par ses supérieurs. Certes, il ne moralise ses ouailles
que très modérément et il prend une servante de 23 ans, car "il faut être sot pour ne pas par bigoterie
et par superstition goûter au moins quelques fois à ce doux penchant de la
nature". Il aime bien ses fidèles, même s'il regrette leur penchant
pour la superstition. Cette vie paisible est bouleversée par deux évènements
qui le marquent profondément.
Le "grand hyver" de 1709
décime animaux, plantes, humains. Mais le châtelain, les moines et le roi
continuent à prélever les impôts. Jean MESLIER enrage de voir ses paroissiens
réclamer des prières collectives, au lieu de s'en prendre aux puissants.
"Comment Dieu peut-il affliger les hommes de peste, de maladie, de
guerre et de famine ? Comment se plairait-il à les voir mourir de faim et de
misère ?" Il prononce plusieurs sermons hostiles à la noblesse.
En 1716 il admoneste le seigneur du lieu.
"Nous prierons Dieu pour Antoine de
Touilly, qu'il lui fasse grâce de ne point maltraiter le pauvre et dépouiller
l'orphelin." Ses prêches deviennent des réquisitoires et le châtelain
sollicite l'intervention de l'archevêché, qui lui impose de s'amender, de se séparer
de sa servante de 23 ans et de passer un mois de méditation au séminaire de
Reims. Il renonce à l'affrontement direct, pas à ses idées.
Prêtre docile le jour, il va consacrer
les dix dernières années de sa vie à la rédaction nocturne d'un mémoire contre
Dieu, contre les religions, contre le roi et la noblesse. "Les pauvres sont soumis au régime de
l'espérance, rien sur terre, tout au ciel, les derniers seront les premiers et
autres mensonges inventés pour les tenir en rang, leur faire payer moult impôts
sans protestation, ni révolte."
Page manuscrite du mémoire de Jean Meslier
Des dieux et des puissants faisons table
rase
"Vous serez misérables et malheureux, vous et vos descendants, tant que
vous souffrirez la domination des princes et des rois de la terre, vous serez
misérables et malheureux, tant que vous suivrez les erreurs de la religion."
Dans le Mémoire de
nombreux exemples montrent que la foi est l'abdication de la raison, où
l'homme-boa avale n'importe quoi. Jean MESLIER met le doigt sur les
contradictions des textes sacrés, les fausses prédictions des prophètes, la
notion guerrière de "peuple élu" citée dans l'Ancien Testament :
"Vous ne ferez point d'alliance avec
les autres Peuples, et vous ne leur ferez aucune grâce, au contraire vous les
détruirez." Il dénonce l'Église qui justifie cyniquement sa richesse
dans le Nouveau Testament : "Si nous
avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grosse affaire si nous
moissonnons vos biens corporels." Se débarrassant de Dieu, il jette
avec l'eau (bénite) du bain ses thuriféraires : "Les ecclésiastiques, moines et abbés richement dotés de revenus, ces
diseurs de messes et de bréviaires ridiculement déguisés n'ont aucune utilité,
qu'on les mette au travail pour le bien commun." L'alliance du trône
et de l'autel est permanente : "La religion
soutient le gouvernement politique si méchant qu'il puisse être ; et à son tour
le gouvernement soutient la religion si sotte qu'elle puisse être."
Pour faire table rase il fait appel aux tyrannicides : "Où sont passés ces généreux meurtriers de
Tyrans que l'on a vu dans les siècles passés ?"
Ouvrant des chemins qu'emprunteront plus
tard Babeuf, Pierre Kropotkine, Michel Bakounine, il propose de construire un
monde basé sur la collectivisation des terres, la jouissance commune des biens,
l'égalité communautaire, l'amour libre : "Un autre abus est l'appropriation particulière que les hommes font des
biens et des richesses de la terre, au lieu qu'ils devraient tous également les
posséder en commun et en jouir aussi tous également en commun." La
misère renforce une société de domination : "Si vous mettez les peuples dans l'abondance, ils ne travailleront plus,
ils deviendront fiers et indociles et seront toujours prêts à se révolter ; il
n'y a que la misère et la faiblesse qui les rend souples."
C'est la faute à Voltaire
"Le peuple sera toujours sot et barbare, ce sont des bœufs auxquels il
faut un joug et du foin." L'auteur de ces fortes paroles n'est autre
que le symbole des Lumières, François Marie Arouet, dit Voltaire. Celui qui
fréquenta les Grands et laissa une énorme fortune s'éteint en disant : "Je meurs en adorant Dieu." C'est le
même qui fait imprimer en Hollande un abrégé à sa sauce du Mémoire, intitulé Le Testament du curé Meslier,
présenté comme "témoignage d'un curé
qui, en mourant, demande pardon à Dieu d'avoir enseigné le christianisme".
Il en fait un texte déiste, en efface toute référence sociale. Il est vrai que,
pour lui "le mensonge est un vice
quand il fait du mal, c'est une grande vertu quand il fait du bien". Car
"ce curé voulait anéantir toute religion et même la naturelle, aussi ses
abrégés sont-ils purgés du poison de l'athéisme". De toute façon la
populace est ignorante et doit le rester : "Pourquoi adresser ce testament à des hommes agrestes qui ne savent pas
lire ? Et s'ils avaient pu lire, pourquoi leur ôter un joug salutaire, une
crainte nécessaire qui seule peut prévenir les crimes secrets ? La croyance des
peines et des récompenses est un frein dont le peuple a besoin, la religion
bien épurée serait le premier lien de la Société." La messe est dite...
L'Histoire est encombrée de nombreux
intellectuels libéraux qui adorent le "peuple", tant qu'il reste
soumis. Dès qu'il se révolte, s'unit, s'autonomise, il faut vite refermer la
cage. Émile Zola se remet ainsi de sa terreur du printemps 1871 : "Le bain de sang que le peuple de Paris vient
de prendre était peut-être d'une horrible nécessité pour calmer certaines de
ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur."
Dans Germinal
transpire sa hantise d'une révolution populaire : "C'est la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, par
une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché,
débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des
bourgeois. Oui ce serait la même cohue effroyable, de peau sale, d'haleine
empestée, balayant le vieux monde, sous leur poussée débordante de barbares."
Jean MESLIER doit, encore aujourd'hui,
se retourner dans sa tombe, car les religions conservent tout leur parfum
d'opium du peuple. Les mouvements sociaux sont contrôlés, endigués, redirigés
vers les urnes et le "Parti-Église" s'oppose à tout débordement qui
pourrait conduire à l'auto-organisation, à l'autogestion. Pourtant "s'il est douloureux de subir ses chefs, il
est encore plus bête de les choisir"...
Elan NOIR
(Texte
publié dans Creuse-Citron,
le journal de la Creuse libertaire, n° 26, hiver 2010).
À voir : Le
curé Meslier. Précurseur du Siècle des Lumières, un film d'Alain
Dhouailly, produit par Général Memo Kyoko Nagasawa et les Jardins-Jeudis de La
Spouze, 2007.
Voix et interprétation : René Bourdet.
Extraits musicaux : Music for Bass viols et Songes et éléments.
DVD, durée 55 mn. Envoi contre 15 €,
adhésion et frais de port compris à l'ordre de l'Association Centre Créations
Culturelles La Spouze, 23230 La Celle-sous-Gouzon ou auprès d'Alain Dhouailly.
À lire également : Lire
Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire, introduction au mesliérisme et
extraits de son œuvre, par Serge Deruette, préface de Roland Desné,
2008, éditions Aden, collection Opium du peuple.
Dessin de Philippe Vuillemin
Avant-propos – Chap. 1
Mes
chers amis, puisqu'il ne m'aurait pas été permis, et qu'il aurait même été
d'une trop dangereuse et trop fâcheuse conséquence pour moi, de vous dire
ouvertement pendant ma vie ce que je pensais de la conduite du gouvernement des
hommes, de leurs religions et de leurs mœurs, j'ai résolu de vous le dire au
moins après ma mort. Ce serait bien mon intention et mon inclination de vous le
dire de vive voix auparavant que de mourir, si je me voyais proche de la fin de
mes jours et que j'eusse encore pour lors l'usage libre de la parole et du
jugement. Mais comme je ne suis pas sûr d'avoir dans ces derniers jours ou dans
ces derniers moments-là tout le temps ni toute la présence d'esprit qui me
serait pour lors nécessaire pour vous déclarer mes sentiments, c'est ce qui me
fait maintenant entreprendre de vous les déclarer par écrit, et de vous donner
en même temps des preuves claires et convaincantes de tout ce que j'aurais
dessein de vous en dire, afin de tâcher de vous désabuser au moins tard […] des
vaines erreurs dans lesquelles nous avons eu, tous tant que nous sommes, le
malheur de naître et de vivre, et dans lesquelles même j'ai eu le déplaisir de
me trouver moi-même obligé de vous entretenir.
Dès ma
plus tendre jeunesse, j'ai entrevu les erreurs et les abus qui causent tant de
si grands maux dans le monde. Plus j'ai avancé en âge et en connaissance, plus
j'ai reconnu l'aveuglement et la méchanceté des hommes, plus j'ai reconnu la
vanité de leurs superstitions et l'injustice de leurs mauvais gouvernements. […]
Célèbre dessin de Jossot destiné à lancer, en 1903, le journal libre-penseur l'Action lié à l'association des libres-penseurs de France.
Chap. 2
[…] Ah
! Mes chers amis, si vous connaissiez bien la vanité et la folie des erreurs
dont on vous entretient sous prétexte de religion, et si vous connaissiez
combien injustement et combien indignement on abuse de l'autorité que l'on a usurpée
sur vous sous prétexte de vous gouverner, vous n'auriez certainement que du
mépris pour tout ce que l'on vous fait adorer et respecter, et vous n'auriez
que de la haine et de l'indignation pour tous ceux qui vous abusent, qui vous
gouvernent si mal et qui vous traitent si indignement. [...]
"Une séparation nécessaire" - Dessin de Pépin
Vous
direz peut-être, mes chers amis, que c'est en partie contre moi-même que je
parle ainsi, puisque je suis moi-même du rang et du caractère de ceux que
j'appelle ici les plus grands abuseurs de peuples. [...] Au contraire, j'aurais
toujours bien plus volontiers témoigné ouvertement le mépris que j'en faisais,
s'il m'eût été permis d'en parler suivant mon inclination et suivant mes
sentiments.
L'éditeur Renè Godfroy (R. G.) propose des dizaines de cartes postales anticléricales différentes, que la presse libre penseuse vend à ses lecteurs en "prime" exceptionnelle, soit en fin d'année, soit à l'approche d'une échéance électorale. Ici, un dessin de Antoine Lesaint.
Et
ainsi, quoique je me sois laissé facilement conduire dans ma jeunesse à l'état
ecclésiastique pour complaire à mes parents qui étaient bien aise de m'y voir,
comme étant un état de vie plus doux, plus paisible et plus honorable dans le
monde que celui du commun des hommes. Cependant je puis dire avec vérité que
jamais la vue d'aucun avantage temporel ni la vue des grasses rétributions de
ce ministère ne m'a porté à aimer l'exercice d'une profession si pleine
d'erreurs et d'impostures.
"En batterie" - Dessin de Giris
Ce
pourquoi aussi je haïssais grandement toutes ces vaines fonctions de mon
ministère, et particulièrement toutes ces idolâtriques et superstitieuses
célébrations de messes, et ces vaines et ridicules administrations de
sacrements que j'étais obligé de vous faire. Je les ai mille et mille fois
maudites dans le cœur lorsque j'étais obligé de les faire et particulièrement
lorsqu'il me les fallait faire avec un peu plus d'attention et avec un peu plus
de solennité qu'à l'ordinaire, car voyant pour lors que vous vous rendiez avec
un peu plus de dévotion à vos églises, [...] il me semblait que j'abusais
d'autant plus indignement de votre bonne foi, et que j'en étais, par
conséquent, d'autant plus digne de blâme et reproches, [...] que j'ai été cent
et cent fois sur le point de faire indiscrètement éclater mon indignation.
Il y a
assez longtemps que les pauvres peuples sont misérablement abusés dans toutes
sortes d'idolâtries et de superstitions. Il y a assez longtemps que les riches
et que les grands de la terre pillent et oppriment les pauvres peuples.
Affiche du journal La Lanterne, dessinée par Ogé.
Il
serait temps de les délivrer de ce misérable esclavage où ils sont, il serait
temps de les désabuser partout, et de leur faire connaître partout la vérité
des choses.
Ce
serait à faire à tous les gens d'esprit et à ceux qui sont les plus sages et
les plus éclairés, à penser sérieusement à travailler fortement à une si importante
affaire que celle-là, en désabusant partout les peuples des erreurs où il sont,
en rendant partout odieuse et méprisable l'autorité excessive des grands de la
terre, en excitant partout les peuples à secouer le joug insupportable des
tyrans, et en persuadant généralement à tous les hommes ces deux importantes et
fondamentales vérités :
1 °
que pour se perfectionner dans les sciences et dans les arts, qui sont ce à
quoi les hommes doivent principalement s'employer dans la vie, ils ne doivent
suivre que les seules lumières de la raison humaine.
2 °
que pour établir de bonnes lois, ils ne doivent suivre que les seules règles de
la prudence et de la sagesse humaine, c'est-à-dire les règles de la probité, de
la justice et de l'équité naturelle, sans s'amuser vainement à ce que disent
des imposteurs, ni à ce que font des idolâtres et superstitieux déicoles1. Ce qui procurerait généralement à tous les
hommes mille et mille fois plus de biens, plus de contentement et plus de repos
de corps et d'esprit, que ne sauraient faire toutes les fausses maximes ni
toutes les vaines pratiques de leurs superstitieuses religions.
Papillons gommés proposés par Les Corbeaux, surtout en période électorale, qui reprennent les unes du journal avec un titre légende très court.
Chap. 39
[…] il
est sûr et constant, et même évident que la religion chrétienne enseigne que
les vices, que les péchés et que les méchancetés ou mauvaises actions des
hommes, et même que plusieurs de celles qui sembleraient ne devoir être que des
légères fautes (comme celle par exemple qu'Adam et Ève, qui étaient les
premiers du genre humain, commirent dans le paradis terrestre en mangeant dans
un jardin d'un fruit que Dieu leur avait défendu de manger), offensent
néanmoins très grièvement Dieu et excitent sa colère et son indignation.
Un
être qui serait infiniment au-dessus de toute offense et de toute injure ne
peut être véritablement offensé par aucune chose, ni recevoir véritablement
aucune injure de qui ni de quoi que ce soit. Or un être qui serait
tout-puissant et infiniment parfait serait par sa nature infiniment au-dessus
de toute offense et de toute injure, non seulement parce qu'il éloignerait et
qu'il empêcherait par sa toute puissance tout ce qui semblerait être capable de
lui nuire, de lui déplaire ou de lui faire aucune injure ou déplaisir, mais
aussi parce qu'il serait, par sa nature même, invulnérable, inaltérable et
impassible [...] et par conséquent, qu'il ne pourrait être aucunement offensé
par les vices, ni par les méchancetés des hommes.
Donc,
il est ridicule et absurde de dire qu'un Dieu serait véritablement offensé par
les vices et par les péchés des hommes [...]. Et si cela était ainsi, [nos
christicolesJ devraient dire aussi que Dieu aurait bien mieux fait de ne faire
jamais aucune créature, que d'avoir permis, comme il aurait fait, qu'il se
commît jamais aucun péché véniel ou qu'il se dise jamais aucun mensonge
officieux ni aucune parole vaine et frivole. Jugez s'il ne serait pas
entièrement ridicule de dire telle chose d'un être infiniment parfait. Il est
donc aussi tout à fait ridicule de dire que les vices et les péchés des hommes
offenseraient grièvement et mortellement Dieu, comme disent nos christicoles.
Ajoutez à cela qu’être offensé ou pouvoir être offensé, c'est un témoignage
assuré de faiblesse et d'imbécillité qui ne se pourrait nullement trouver dans
un être qui serait tout-puissant et infiniment parfait, et par conséquent, qui
ne se peut trouver en Dieu.
Couverture d'un des romans anticléricaux diffusés par La Calotte à partir de 1906.
Et
ainsi, ne les empêchant point, ce serait qu'il ne voudrait pas les empêcher ;
et en ce cas il irait non seulement contre la nature de la bonté et de la
sagesse, qui tendent toujours d'elles-mêmes autant qu'elles peuvent à procurer
le bien et à empêcher le mal, mais il se rendrait encore en cela même digne de
risée et de moquerie, car se serait folie en lui de vouloir se laisser
incessamment offenser et outrager par toutes sortes de vices et de péchés, et
ce serait folie en lui de vouloir s'en fâcher et se mettre en colère et en
fureur pour des maux qu'il pourrait empêcher et qu'il ne voudrait pas empêcher.
Mais diront nos christicoles, c'est que Dieu ne veut point ôter la liberté aux
hommes de faire ce qu'ils veulent ; et en leur laissant la liberté, ils abusent
volontairement du pouvoir qu'il leur donne en faisant mal, en quoi ils
l'offensent grièvement. Mais on peut aussi leur dire que Dieu étant tout-puissant
et infiniment sage, comme ils le supposent, il pourrait, sans ôter la liberté
aux hommes, conduire et diriger toujours si bien leurs cœurs et leurs esprits,
leurs pensées et leurs désirs, leurs inclinations et leurs volontés, qu'ils ne
voudraient jamais faire aucun mal ni aucun péché, et ainsi qu'il pourrait
facilement empêcher toutes sortes de vices et de péchés sans ôter et sans
blesser la liberté ni le franc arbitre des hommes, et par conséquent, que c'est
une vaine raison de dire qu'il ne voudrait pas empêcher les vices et les
méchancetés des hommes sous prétexte qu'il voudrait leur laisser toujours la
liberté de faire ce qu'il leur plaît.
"Le Vatican s'amuse". Sous la plume de Galantara pour L'Assiette au Beurre, le jeune séminariste paraît bien frêle et fragile au regard du massif et pervers prélat qui promet une nouvelle soutane pour amadouer sa victime.
Bien
plus, comme nos christicoles soutiennent et enseignent que Dieu est lui-même le
premier principe et le premier moteur de tout ce qui se meut et de tout ce qui
se fait dans le monde, et que rien ne se fait sans lui et sans sa prémotion2 et coopération, il s'ensuivrait de là qu'il
serait le premier principe, le premier moteur et le premier auteur de tout ce qui
se ferait de bien ou de mal dans les hommes et dans les créatures, et par
conséquent, s'il s'en fâchait et se mettait en colère contre les vices et
contre les dérèglements des hommes, ce serait contre ce qu'il ferait lui-même
en eux qu'il se fâcherait et qu'il se courroucerait, et ce serait lui-même qui s'offenserait
par les vices et par les péchés des hommes [...].
Ils
sont pareillement dans l'erreur par rapport à la punition temporelle et
éternelle qu'ils disent que Dieu fait des crimes et des péchés des hommes. Ils
y sont par rapport aux peines temporelles que les hommes souffrent dans cette
vie, car on ne peut pas certainement dire, ni même avec aucune apparence de
vérité, que les peines et les maux de cette vie soient des châtiments que Dieu
leur envoie en punition de leurs péchés. [...] Ce ne sont certainement que des
suites et des effets naturels de la constitution naturelle des choses, qui sont
corruptibles et mortelles.
"Les trois singes"
D'ailleurs,
serait-il croyable qu'un Dieu qui serait infiniment bon et infiniment sage et qui
aurait créé les hommes pour les combler de biens et de faveurs et pour les
rendre perpétuellement heureux et contents dans un paradis terrestre, aurait
voulu incontinent3 après les avoir
créés ainsi pour une si bonne fin, les exclure entièrement de sa grâce et de
son amitié, et les réduire tous dans cette malheureuse nécessité de souffrir
toutes les peines et toutes les misères de cette vie, et cela pour la seule
faute d'un seul homme [...]. Cela, dis-je, n'est pas croyable ! Quoi ! Un Dieu
infiniment bon et infiniment sage aurait voulu faire dépendre tout le bonheur
et tout le malheur temporel et éternel de tous les hommes, d'une vaine et
légère obéissance ou désobéissance d'un seul homme faible et fragile ? Dont il
aurait connu la faiblesse et la fragilité ? Et qu'il aurait même prévu devoir
tomber dans cette désobéissance ? Cela n'est pas croyable !
"La pieuvre de Loyola"
Et
c'est même faire injure à la souveraine bonté et à la souveraine sagesse d'un
Dieu d'avoir seulement ces pensées-là. [...] Si un Dieu était capable de cela
et qu'il fit effectivement telle chose (ce qui est néanmoins tout à fait
impossible), j'oserais dire qu'un tel Dieu mériterait d'être haï, détesté et
maudit à tout jamais, puisqu'il serait plus cruel que tous les plus cruels
tyrans qui ont jamais été et qui pourraient jamais être : voyez si cela se peut
dire d'un Dieu, c'est-à-dire d'un être qui serait infiniment parfait,
infiniment bon et infiniment sage ?
Conclusion - Chap. 96
Tous
ces arguments-ci sont démonstratifs autant qu'il y en peut avoir : il
suffit d'y faire une légère ou médiocre attention pour en voir l'évidence. Et
ainsi, il est clairement démontré, par tous les arguments que j'ai ci-dessus
allégués, que toutes les religions du monde ne sont, comme j'ai dit au commencement
de cet écrit, que des inventions humaines [...].
"En toi, mon Dieu, je croirais toujours !" - Dessin de Bellery Desfontaines.
Non,
mes chers amis, ce ne sont effectivement que des mystères d'iniquités, et même
des détestables mystères d'iniquités puisque c'est par ce moyen-là que vos
prêtres vous rendent et vous tiennent toujours misérablement captifs sous le
joug odieux et insupportable de leurs vaines et de leurs folles superstitions,
sous prétexte de vouloir vous conduire heureusement à Dieu et de vous faire
observer ses saintes lois et ses saintes ordonnances. Et que c'est par ce
moyen-là même que les princes et les grands de la terre vous pillent, vous
foulent, vous ruinent, vous oppriment et vous tyrannisent, sous prétexte de
vous gouverner et de vouloir maintenir ou procurer le bien public.
Dessin de Philippe Geluck
Je
voudrais pouvoir faire entendre ma voix d'un bout du royaume à l'autre ou
plutôt d'une extrémité de la terre à l'autre. [...]
Dessin de Philippe Geluck
Les
hommes se sont accoutumés petit à petit à l'esclavage. Et maintenant ils y sont
si accoutumés qu'ils ne pensent même presque plus à recouvrer leur ancienne
liberté ; il leur semble que l'esclavage est une condition de leur nature.
[...]
Dessin de Jean-Marc Reiser
La
religion et la politique s'unissent de concert pour vous tenir toujours captifs
sous leurs tyranniques lois.
Dessin de Jean-Marc Reiser
[…]
Rejetez
donc entièrement toutes ces vaines et superstitieuses pratiques de religions !
Bannissez de vos esprits cette folle et aveugle croyance en ces faux mystères,
n'y ajoutez aucune foi, moquez-vous de tout ce que vos prêtres intéressés vous
en disent ! Ils n'en croient rien eux-mêmes, la plupart d'eux. Voudriez-vous en
croire plus qu'ils n'en croient eux-mêmes ? (...) Tâchez de vous unir tous,
tant que vous êtes, vous et tous vos semblables, pour secouer entièrement le
joug de la tyrannique domination de vos rois et de vos princes. Renversez
partout ces trônes d'injustices et d'impiétés ! Brisez toutes ces têtes
couronnées ! Confondez partout l'orgueil et la superbe de tous ces fiers et
orgueilleux tyrans ! Et ne souffrez plus qu'ils règnent jamais aucunement sur
vous !
Dessin de Jean Cabut
[. . . ] « Malheur, dit un de nos prétendus
saints prophètes, malheur à ceux qui font des lois injustes ! » (Isaïe X-1).
Mais malheur aussi à ceux qui se soumettent lâchement à des lois injustes !
Malheur aux peuples qui se rendent lâchement les esclaves des tyrans et qui se
rendent aveuglément esclaves des erreurs et des superstitions de la religion !
[...] En effet, ce n'est point la bigoterie des religions qui perfectionne les
hommes dans les sciences et les arts. Ce n'est point elle qui fait découvrir
les secrets de la nature, ni qui inspirent les grands desseins aux hommes. Mais
c'est l'esprit, c'est la sagesse, c'est la probité et c'est la grandeur d'âme
qui fait les grands hommes et qui leur fait entreprendre de grandes choses.
Dessin de Stéphane Charbonnier
[…]
Votre
salut est entre vos mains. Votre délivrance ne dépendrait que de vous si vous
saviez bien vous entendre tous. Vous avez tous les moyens et toutes les forces
nécessaires pour vous mettre en liberté et pour rendre esclaves vos tyrans
mêmes, car vos tyrans, si puissants et si formidables qu'ils puissent être,
n'auraient aucune puissance sur vous sans vous-mêmes. Toute leur grandeur,
toutes leurs richesses, toutes leurs forces et toute leur puissance ne viennent
que de vous. Ce sont vos enfants, vos parents, vos alliés, vos amis et vos
proches qui les servent tant à la guerre que dans tous les emplois où ils les
mettent : ils ne sauraient rien faire sans eux et sans vous. Ils se servent de
vos propres forces contre vous-mêmes et pour vous réduire vous-mêmes, tous tant
que vous êtes, sous leur esclavage. […]
Unissez-vous
donc, peuples, si vous êtes sages ! Unissez-vous tous, si vous avez du cœur,
pour vous délivrer de toutes vos misères communes !
Excitez-vous
et encouragez-vous les uns les autres à une si noble, si généreuse, si importante
et si glorieuse entreprise que celle-là !
Commencez
d'abord par vous communiquer secrètement vos pensées et vos désirs. Répandez
partout, et plus habilement que faire se pourrait, des écrits semblables, par
exemple, à celui-ci, qui fassent connaître à tout le monde la vanité des
erreurs et des superstitions de la religion, et qui rendent odieux partout le
gouvernement tyrannique des princes et des rois de la terre.
Dessin de Stéphane Charbonnier
[ …]
Et
ainsi, point d'autre religion parmi vous que celle de la véritable sagesse et
de la probité des mœurs, point d'autre que celle de l'honneur et de la
bienséance, point d'autre que celle de la franchise et de la générosité du cœur,
point d'autre que celle d'abolir entièrement la tyrannie et le culte
superstitieux des dieux et de leurs idoles, point d'autre que celle de
maintenir la justice et l'équité partout, point d'autre que celle de bannir
entièrement les erreurs et les impostures et de faire régner partout la vérité,
la justice et la paix, point d'autre que celle de s'occuper tous à quelques
honnêtes et utiles exercices et de vivre règlement4
tous en commun, point d'autre que celle de maintenir toujours la liberté
publique ; et enfin, point d'autre que celle de vous aimer tous les uns les
autres et de garder inviolablement la paix et la bonne union entre vous.
Dessin de Stéphane Charbonnier
[…]
Si
tous ceux qui connaissent aussi bien que moi ou plutôt qui connaissent encore
beaucoup mieux que moi la vanité des choses humaines, qui connaissent beaucoup
mieux que moi les erreurs et les impostures des religions, qui connaissent
beaucoup mieux que moi les abus et les injustices du gouvernement des hommes,
disaient au moins à la fin de leurs jours ce qu'ils en pensent : s'ils les
blâmaient, s'ils les condamnaient et s'ils les maudissaient au moins avant de
mourir autant qu'ils mériteraient d'être blâmés, d'être condamnés et d'être
maudits, on verrait bientôt le monde changer de face et de figure. On se
moquerait bientôt de toutes les erreurs et de toutes les vaines et
superstitieuses pratiques de religions, et on verrait bientôt tomber toute
cette superbe grandeur et toute cette orgueilleuse fierté des tyrans. On les
verrait bientôt entièrement confondus.
Chap. 97
Au
reste, je vous déclare, mes chers amis, que dans tout ce que j'ai dit et écrit
ici, je n'ai prétendu suivre que les seules lumières naturelles de la raison,
je n'ai eu d'autre intention ni d'autre dessein que de tâcher de découvrir et
de dire ingénument et sincèrement la vérité.
[…]
C'est
la force de la vérité qui me l'a fait dire, et c'est la haine de l'injustice,
du mensonge, de l'imposture, de la tyrannie et de toutes autres iniquités qui
me fait parler ainsi, car je hais et déteste effectivement toute injustice et
toute iniquité.
[…]
Après
cela, que l'on en pense, que l'on en juge, que l'on en dise et que l'on en
fasse tout ce que l'on voudra dans le monde, je ne m'en embarrasse guère. Que
les hommes s'accommodent5 et qu'ils
se gouvernent comme ils veulent, qu'ils soient sages ou qu'ils soient fous,
qu'ils soient bons ou qu'ils soient méchants, qu'ils disent ou qu'ils fassent
même de moi tout ce qu'ils voudront après ma mort : je m'en soucie fort peu. Je
ne prends déjà presque plus de part à ce qui se fait dans le monde. Les morts
avec lesquels je suis sur le point d'aller, ne s'embarrassent plus de rien, ils
ne se mêlent plus de rien et ne se soucient plus de rien. Je finirai donc ceci
par le rien, aussi ne suis-je guère plus qu'un rien, et bientôt je ne serai
rien.
Jean Meslier (1664-1729) : Mémoires des
pensées et des sentiments de J. M….. prêtre, curé d’Estrepy et de
But., sur une partie des abus et des erreurs de la conduite et du gouvernement
des hommes, où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et
de la fausseté de toutes les divinités et de toutes les religions du monde,
pour être adressés à ses paroissiens après sa mort, et pour leur servir de
témoignage de vérité à eux et à tous leurs semblables.
In testimonium illis et gentibus. Matth. X : 18
Les passages reproduits ci-dessus
sont extraits de l’ouvrage de Noël Rixhon
– Le curé Jean Meslier : « Dieu n’est pas » - Extraits choisis
de sa pensée ; Ed. E.M.E, 2011, basé sur l’édition des manuscrits
conservés à la BNF.
Notes –
1.
Déicoles : « adorateurs de Dieu » / Christicoles : « adorateurs
du Christ » (Lexique du Tome III des « œuvres de Jean Meslier »,
Ed. Anthropos
2. Prémotion :
terme de philosophie et de théologie complètement disparu aujourd’hui qui
signifie : « action de Dieu agissant avec la créature et la
déterminant à agir » (Lexique, op. cit.).
3.
Incontinent : aujourd’hui et ici, signifie : « immédiatement »
(id.)
4. « D’une
manière réglée » (id.)
5. « S’entendent ».
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