dimanche 21 avril 2013

Obock (en passant)...



   Le jour se lève. C'est dans le golfe d'Aden - une région éternellement chaude et une région de mirages.
   Devant nous (qui revenons de l'Inde sous un inaltérable ciel bleu) l'horizon est comme fermé maintenant par des voiles lourds, d'un gris violacé et presque noir.
   Pour des yeux de marins exercés à connaître de loin les terres, il y a des terres là-dessous, assurément ; sans les voir, on les devine à je ne sais quoi d'opaque et d'immobile qu'ont ces nuages. Il y a même plus que des îles évidemment ; on aurait beau n'en être pas prévenu, on s'en douterait : ceci, qui ternît le ciel par un tel amoncellement de vapeurs, doit être massif, puissant, immense ; on sent dans ces lointains les grands contours, les lignes infinies d'un continent.
   Un continent en effet - et le plus profond, le plus immuable de tous : l'Afrique.
On s'approche ; alors, au premier plan, se dessine et s'éclaire une espèce de falaise droite, unie, monotone. Elle est en sable durci et raviné ; au soleil matinal, elle parait d'une teinte rose, éclatante, sur ces fonds d'ombre intense. Par derrière, du côté de l'intérieur, le rideau obscur persiste, s'accentue ; des nuages, des montagnes sont là, brouillés, confondus dans du sombre profond ; «c'est comme une sorte de chaos trouble où couveraient tous les orages de la terre. On suit des yeux la falaise miroitante qui est la première assise de ce sol ; elle s'en va à perte de vue, toujours la même, triste, inutile, morte, - et, rien qu'en la regardant fuir, on a conscience de l'énormité de ce continent des déserts à qui l'espace ne coûte pas ; on à l'impression de l'immense Afrique, chaude et désolée.
   Il y a çà et là quelques broussailles, que l'on distingue en s'approchant davantage ; des arbustes ayant forme de petits bouquets ronds, de petits parasols. La verdure en est pâle, tournée au bleu comme par un excès de soleil, qui l'aurait fanée, - et on les croirait transparents, tant leur feuillage est léger et grêle.



Cliché satellite du golfe de Tadjoura (République de Djibouti) 


   Le pays où nous arrivons est celui des Dankalis, dépendant du sultan de Tadjoura, et en redescendant un peu le long de cette côte, nous trouverons l'établissement français d'Obock.
   Il apparaît bientôt, dans une vapeur lumineuse qu'agite sans cesse un tremblement de mirage. C'est d'abord une grande construction neuve, à véranda comme celles d'Aden, visible de loin avec sa blancheur sur ces sables. Bâtie par la compagnie qui fournit du charbon aux navires de passage, elle est 1à unique, un peu surprenante, par son air de confort et de sécurité au milieu de ce pays maudit. Ensuite un enclos à murailles de terre séchée, avec, au milieu, les débris cornus d'une tour ; on dirait déjà d'une ruine très ancienne, de quelque vieille mosquée détruite, - et cela ne compte pas trois ans d'existence ! C'était la .première habitation du .résident français, construite en manière de donjon arabe, qui, une belle nuit de l'an dernier, s'est éboulée pendant une inondation descendue tout à coup des montagnes d'Abyssinie.
   Un petit village, un hameau africain vient après ; il est du même gris roux que la terre et le sable, il a été calciné par le même soleil. Ses huttes en paillassons, toutes basses, ressemblent à des nids de bêtes. De loin, on voit remuer là, comme d'étranges poupées, quatre ou cinq personnages en costumes éclatant, robes de couleur rouge, orange ou blanche d'où s'échappent de longs bras noirs, et puis d'autres tout nus, qui ont des silhouettes de singe.
   Et enfin là-bas ; sur une espèce de cap, des maisonnettes bien neuves, avec toitures de tuiles rouges ; dix ou douze en tout, symétriquement rangées, ayant un air d'usine ou de cité ouvrière. C'est l'Obock officiel, l'Obock du gouverneur et de la garnison, qui détonne bien piètrement sur la désolation grandiose d'alentour.





   Nous mouillons en eau très calme, dans ce qu'on appelle le Port d'Obock. C'est bien un port en effet, un abri assez sûr contre les houles du large ; mais on ne le dirait pas à première vue, car la ceinture de corail qui le protège est à fleur d'eau, traçant à peine un cerne verdâtre sur tout le bleu immobile de la mer.
   Nous sommes en l'un des points les plus chauds du monde. Il est huit heures du matin à peine, et on éprouve déjà aux joues, aux tempes, une sensation cuisante comme si on était près d'un grand feu, - et il y a sur la mer, sur les sables rapprochés qui éblouissent, une terrible réverbération de soleil. Mais c'est une chaleur sèche, presque saine si on la compare à ces humidités de chaudière que nous avons laissées derrière nous en Cochinchine et en Annam ; les vents qui soufflent ici, d'où qu'ils viennent, ont passé sur les grands déserts sans eau de l'Afrique ou de l'Arabie ; on sent que cet air est pur et, si l'on peut dire, vivifiant.



Groupe de guerriers Danakil (région d'Obock)
Cliché de la mission Maurice Maindron (1857-1911) ; 1893 [?]



   Un court trajet en canot, sur une eau tiède - au-dessus d'un vrai jardin dé madrépores, - et nous mettons pied à terre, sur un sol rosé qui brûle ; puis, par un sentier de sable, nous voici sur une sorte d'esplanade dominant la mer, au milieu des maisonnettes à toits rouges, dans l'Obock des Européens.
   L'habitation du gouverneur est au centre ; on y monte par un perron en boue séchée, en mortier grisâtre, qui a une intention d'être monumental, de représenter, pour les réceptions des chefs noirs. En haut de ces marches, le logis, qui n'a pour murailles que des barreaux à jour, se dresse avec une prestance de cage à poule ; tous les vents peuvent passer au travers. Il y a en face quatre petits canons - une batterie pour rire - et un pavillon français qui flotte au bout d'un mat. Les autres cases, pareillement construites à claire-voie, sont rangées avec symétrie de chaque côté de cette imposante demeure et servent à abriter les soixante ou quatre-vingts hommes d'artillerie et d’infanterie de marine qui composent la garnison d'Obock.
   Une palissade enfantine est la défense de ce quartier des blancs ; on l'a faite avec de ces arbustes en forme de parasol (les seuls qui croissent dans ce pays) couchés tels quels à côté les uns des autres par terre, comme une rangée de larges bouquets épineux.
   Dans cet enclos circulent des soldats alertes, empressés, qui s'occupent pour l'instant de préparer leur repas du matin. Ici ce ne sont plus les figures tirées et pâlies que nous avions coutume de voir en Cochinchine et au Tonkin. Ces hommes ont bonne mine ; coiffés tous d'un casque blanc, à peine vêtus d'une brassière sans manches, ils gardent un air de santé sous leur hâle de soleil ; leurs bras nus ont bruni comme ceux des Bédouins.
   Ils font leur cuisine, épluchent de vraies salades, de vrais légumes - qui étonnent dans ce pays d'aridité absolue. Ils ont réussi à faire un jardin, parait-il, qu'ils arrosent et où tout cela pousse.
   Des négrillons gambadent au milieu d'eux familièrement, des petits êtres croisés d'Arabes ou d'Indiens, qui ont des yeux allongés, des lèvres fines et de jolis profils. Cet Obock a presque un air de vie.
   Un ravin de sable sépare ce quartier militaire du village africain - qui nous paraît trés augmenté depuis une année. Et pourtant, d'où viennent-ils, ces gens ? Par quels chemins, à travers quelles solitudes ont-ils passé pour se réunir ici, quand il n'y a si loin alentour que d'inhabitables déserts ?
   Il est certain qu'un centre minuscule de transactions cherche à se former à Obock. C'est presque une petite rue à présent, qui s'ouvre et se prolonge devant nous, tout inondée de lumière, toute dévorée de soleil, entre deux rangées d'une vingtaine de cases ou de tentes. Il y a même, à l'entrée, une maisonnette avec de vrais murs, construite à la mauresque, et un débit d'absinthe qu'un colon européen (l'unique du pays) a déjà ouvert à l'usage de nos soldats. Le reste n'est encore composé que de ces huttes indigènes si basses qu'on en touche le dessus avec la main ;. elles sont soutenues par des morceaux de bois noueux qui ressemblent à de vieux ossements, à de vieilles jambes torses (toujours les branches de ces mêmes arbustes qui ont fourni la palissade du gouverneur) et recouvertes de paillassons, cousus les uns aux autres comme des loques rapiécées. Le sol est piétiné, battu, mêlé de détritus qui pourrissent et se dessèchent. Il y a en l'air des légions de mouches.
   À notre rencontre arrivent deux jeunes femmes noires, aux lèvres minces, souriant d'un sourire faux et méchant - des « madames dankalies », nous dit, en manière de présentation, un petit nègre qui passe. - C'est pour nous vendre la pelure fraîchement écorchée d'une panthère, que l'une d'elles porte sur l'épaule. Elles ont de singulières têtes, ces « madames dankalies », et nous font des mines de moquerie sauvage, avec leurs yeux vifs qui roulent. Au soleil, on voit leur peau luire comme de l'ébène frotté d'huile.



 Jeunes filles et enfant Danakil (région d'Obock)
Cliché de la mission Maurice Maindron (1857-1911) ; 1893 [?]

   Le long de cette rue, ce ne sont que petits cafés, petites échoppes. Sous chacun de ces paillassons, quelque chose se boit ou se trafique. Et le tout a un air d'improvisé, de caravansérail, de marché africain qui commence.
   Cafés à l'arabe, où l'on boit dans de très petites tasses apportées d'Aden, en fumant dans de très grands narguilés de cuivre d'une forme monumentale ; - où l'on consomme des pastèques roses et des cannes à sucre.
   Boutiques en extrême miniature, où tout le fonds et l’étalage tiennent sur une table à casiers : un peu de riz dans un compartiment, un peu de, sel dans un autre ; un peu de cannelle, un peu de safranum, un peu de gingembre ; puis des petits tas de graines bizarres, de racines inconnues. Et le même marchand vend aussi des turbans en coton, des costumes à la mode d’Égypte et des pagnes d'Éthiopie.
   Acheteurs et vendeurs (deux cents personnes au plus) appartiennent à toute sorte de races. Nègres très noirs, frisés et luisants, au torse nu, à l'attitude superbe. Arabes à grands yeux peints, vêtus de blanc, de vert clair ou de jaune d'or. Hommes fauves, longs et minces, à cou de cigogne, à profil de chèvre, ayant de longues chevelures teintes en blanc roux qui tranchent sur leurs épaules comme une toison de mouton mérinos sur du bronze. Dankalis portant des colliers de coquillages. Et deux ou trois Malabars égarés, jetant dans ce mélange un souvenir de l'Inde voisine.
   Au fond de ces petites niches en paille qui sont des cafés, ces hommes s'asseyent pèle-mêle pour jouer et pour boire. Les uns s'amusent aux dés. D'autres ont choisi un jeu plus simple, du désert, qui consiste à tracer par terre sur le sable des combinaisons de lignes. Deux nègres tout nus, ornés de gris-gris, font avec feu une partie de piquet, en frappant très fort leurs atouts sur la table ; ils ont de vraies cartes, qui étonnent entre leurs mains sauvages.
   À côté d'eux, trois autres se livrent à. un aussi surprenant domino. Ils appartiennent, ceux-ci, à l'espèce des hommes minces et fauves qui se blanchissent la chevelure ; la leur est couverte en ce moment de la composition décolorante qu'ils enlèveront demain pour être beaux : c'est comme un mortier qui forme croûte épaisse sur leur tête ; on dirait la chaux dont on enduit les momies.
   Au-dessus de ces joueurs, les paillassons du toit font à peine un peu d'ombre ; le soleil, le terrible soleil passe au travers comme par les mille trous d'un crible, - et, autour des petites huttes surchauffées, à perte de vue, tout flamboie, tout brûle dans l'immense Afrique.
   On est vite au bout de ce village. Alors on arrive à quatre cases, les dernières, un peu isolées des autres sur une dune : c'est le quartier des dames galantes. Elles sont là huit ou dix, assez belles, Abyssines, Somaulies ou Dankalies, attendant sous leur toit de nattes. Vêtues de longues robes rouges, les chevilles et les poignets ornés de lourds anneaux d'argent, elles se tiennent au guet, l'air moitié mystique, moitié féroce ; très dignes dans leur impudeur noire ; s'acquittant de leur métier comme d'une fonction religieuse - et, pour une pièce blanche, accueillant avec le même beau sourire de tigresse le soldat français, le Bédouin qui passe ou le nègre à gris-gris.


 Jeunes filles Danakil (région d'Obock)
Cliché de la mission Maurice Maindron (1857-1911) ; 1893 [?]


   Après ce quartier c'est fini, par exemple ; tout de suite le désert commence, profond, miroitant, plein de mirages, sinistre avec son soleil qui tue.
   Il y a bien encore, par là, dans un repli du terrain, quelque chose d'un peu vert : le jardin, le fameux jardin que les soldats entretiennent à force de soins et d'arrosage. Autrement, plus rien. Nous avons devant nous cette région vide qui, sur les cartes, porte le nom de plateau des gazelles.
   À l’extrême horizon, du côté des terres, toujours ce même rideau de nuages et de montagnes bornant l'étendue désolée où nous sommes. Très hautes sans doute, ces montagnes qui se dessinent là-bas partout en silhouettes entassées, d'autant plus confondues avec les obscurités du ciel, d'autant plus noires qu'elles sont plus loin, dans ces zones intérieures où les hommes blancs ne vont pas. Et ces fonds qui se maintiennent aujourd'hui si sombres font ressortir davantage l'éclat doré des sables, l'éblouissement des premiers plans.
   À mesure que nous nous avançons sur ce « plateau des gazelles », le tout petit Obock, avec ses tuiles rouges et ses trois maisons, s'abaisse dans le lointain, s'efface, disparaît ; la plaine lumineuse et morne s'agrandit uniformément autour de nous.
   La mer aussi est hors de vue ; cependant le sol est toujours semé de rameaux de corail et de coquilles roulées (pour les naturalistes, des strombes à bouche rose) ; on dirait d'un fond sous-marin qu'une énorme poussée d'en bas aurait amené en plein soleil. Il y a, çà et là, quelques touffes d'herbes roussies, quelques plantes bizarres, d'un vert extrêmement pâle comme si l'excès de ce soleil en avait mangé la couleur. Et puis, de distance en distance, posés comme pour faire jardin anglais, de ces chétifs arbustes en forme d'ombelle, au feuillage ténu et clair, comme nous en avions déjà vu du large - espèces de parasols d'épines penchés à droite ou à gauche sur leur tronc grêle : c'est un mimosa triste, l'éternel mimosa des solitudes africaines, le même qui croit dans toutes les régions arides de l’intérieur - jusque là-bas, de l'autre côté des grands déserts, dans les sables du Sénégal ; un mimosa qui ne produit rien ; ne sert à rien, ne donne même pas d'ombre...



Groupe de guerriers Afar (région d'Assaita, Éthiopie)
Cliché de Éric Lafforgue


   Quels hommes peut nourrir une terre pareille ? Ceux-ci, évidemment, ces êtres sveltes et fauves, à l'air félin, au regard sauvage, qu'on nous a désignés tout à l'heure dans le village d'Obock comme étant les Dankalis indigènes ; ils sont des personnages cadrant bien avec leur pays ; ils y vivent errants, clairsemés au milieu des sables ou des halliers, et l'éternelle chaleur semble avoir desséché, affiné leur corps comme celui des gazelles.
   Nous en croisons quelques-uns qui arrivent des contrées de l'intérieur ; avec un léger bagage sur le dos. Et un autre groupe de « mesdames dankalies » s'arrête à nous comme tout à l'heure, avec les mêmes faux sourires ouverts sur de belles dents blanches : encore une pelure de panthère qu'elles déroulent pour nous la vendre.
   De loin en loin dans la plaine, des gens sont campés, tout au ras de la terre brûlante. On se courbe comme les bêtes pour entrer dans leurs huttes. Ils se tiennent assis là, ayant avec eux des ânons, des outres en peau, des gris-gris, des sabres et des couteaux d'une forme méchante ; immobiles, oisifs, venus dans la direction. d'Obock pour trafiquer ou peut-être seulement pour voir. Leur accueil est inquiet et inquiétant ; l'entrevue de part et d'autre est pleine d'étonnements et de méfiances.




Le commerçant Paul Soleillet (1842-1886) chez lui à Obock
Cliché de L. Bidault, 1884 


   Il est maintenant onze heures du matin. Avec ces mirages, cette réverbération des sables, tout miroite et tremble ; une clarté aveuglante monte de la terre.
   Nous voyons de loin deux ou trois amas de choses très blanches qui tranchent sur la plaine rousse. Est-ce un peu de neige tombée là par miracle, ou bien de la chaux, ou bien des pierres ? Mais non, cela remue. - Alors des hommes en burnous ? - ou des bêtes ? - des gazelles ? des chevaux ? - Cela ressemble à tout ce qu'on veut, même à des éléphants blancs, car on n'a plus la notion complète des distances ni des grandeurs : toutes les choses un peu lointaines sont déformées et changeantes.
   Tout simplement des moutons. - Des moutons drôles, d'une blancheur extrême avec la tête bien noire et la queue élargie en éventail, comme ceux d'Égypte. Rares troupeaux qu'on envoie dans le jour brouter je ne sais quelles herbes et que l'on se hâte de ramener vers le village d'Obock au coucher du soleil, avant l'heure des bêtes fauves.
   Ce sont les derniers êtres vivants que nous rencontrons en continuant de nous éloigner dans l'immense plaine. Bientôt midi. À cette heure, les hommes blancs ne sortent jamais ; il faut notre imprudence, à nous qui arrivons et qui voulons voir. Nous sentons sur nos épaules, à travers nos vêtements de toile blanche, une impression cuisante de brûlure. En marchant, nous ne projetons plus ombre, à peine un petit cercle noir qui s'arrête à nos pieds : le soleil est juste en haut du ciel, au zénith, et tout son feu tombe verticalement sur la terre.
   Nulle part rien ne bouge ; tout est mort de chaleur ; on n'entend même pas ces musiques d'insectes qui, dans les autres pays du monde, sont les bruits persistants de la vie durant les midis d'été. Mais toute la plaine, tremble de plus en plus, tremble, tremble - d'un mouvement qui est incessant, rapide, fébrile, mais qui est absolument silencieux, comme celui des objets imaginaires, des visions. Sur tous les lointains est répandue une indéfinissable chose qui ressemble à une eau mouvante, ou à une étoile de gaze remuée par le vent, et qui n'existe pas, qui n'est rien qu'un mirage. Les mimosas éloignés prennent des formes étranges, s'allongent ou s'étendent, se dédoublent par le milieu, comme reflétés dans cette eau trompeuse qui envahit les sables sans faire aucun bruit, qui s'agite sans qu'il y ait dans l’air aucun souffle. Et tout cela étincelle, éblouit, fatigue ; l'imagination est inquiétée par le grand resplendissement triste de ce désert.
   Au fond, il y a toujours ces montagnes sombres sous des amoncellements de nuages lourds. De ce côté, tout finit en une espèce de désolation indécise, ténébreuse ; la vue se perd dans des profondeurs noires ; c'est l'intérieur de l'Afrique qui est derrière ces obscurités et ces orages...

Pierre Loti (1850-1923) ; Obock (en passant), in Revue Bleue, 1er sem. 1887, n°9, 26 février.




 Groupe de Danakil (région d'Obock)
photog. inconnu (avant 1900)

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