dimanche 20 janvier 2013

De l'Afrique inconnue...








L'Afrique divisée en ses principaux États. A Paris, chez Delamarche, Geo. (ca. 1800)




   L'Afrique est le continent des mystères : sur les cartes de Strabon et des anciens en général, nous la voyons, à part une étroite lisière au nord, marquée comme un océan de sable, comme une région désolée que les ardeurs du soleil de Libye rendent inhabitable aux mortels. Après les découvertes du XVe et du XVIe siècle, malgré quelques renseignements obtenus par les Portugais sur la partie centrale de cet énorme continent, l'on continua d'ignorer ce qu'était l'Afrique, tant sous le point de vue de la géographie que sous celui de l'histoire et des mœurs des peuples qui l'habitent. Pendant un certain temps nos connaissances semblaient même rétrograder, et nos idées sur la direction des montagnes et des cours d'eau furent moins exactes que celles de Ptolémée. On continua à couvrir de déserts inhabitables et de sables arides presque tout ce haut plateau de l'Afrique centrale, qui semble, au contraire, d'après les découvertes modernes, être plus peuplé que plus d'une contrée de l'Europe. Enfin, de nos jours, de longs et hardis voyages entrepris dans l'intérieur de l'Afrique par des voyageurs et de courageux missionnaires ont largement étendu le champ de nos connaissances ; révélé au monde l'existence[s] de peuplades aux mœurs étranges, les unes tout à fait abruties, les autres singulièrement développées en civilisation ; signalé l'existence de fleuves magnifiques, de lacs immenses et pittoresques, de montagnes volcaniques, de forêts splendides, et jusqu'à des cimes couvertes de neiges éternelles, là où nos pères supposaient que le soleil dévore de ses feux un sable aride et désolé. On comprend combien il est intéressant de suivre pas à pas les explorateurs dans ces régions si neuves, si originales, si fortement accentuées, surtout lorsque ces explorateurs ne vont pas seulement à la conquête de l'inconnu, mais a la conquête des âmes ; lorsqu'ils portent, avec la boussole du voyageur et le trousseau du naturaliste, la croix sainte du missionnaire. L'intérêt s'exalte encore lorsqu'on réfléchit aux dangers de toute nature qui menacent l'Européen dans ses hardies tentatives, et à la persistante énergie qu'il doit déployer au milieu des obstacles sans nombre qui se dressent contre lui. En effet, si quelques personnes superficielles ont pu s'imaginer qu'un voyage d'exploration dans l'intérieur de l'Afrique n'est guère plus difficile que nos excursions à travers l'Europe sillonnée de chemins de fer, trop d'exemples déplorables nous ont aujourd'hui mieux renseignés sur ce point. Elle est longue la liste des hommes énergiques enlevés à la science par la passion de la géographie africaine, depuis Mungo-Park jusqu'à Richardson, Overweg, Vogel ; jusqu'à Petit, Dillon, Maïzan, Brun-Rollet, Vayssiére, Knoblecher, Vinco ; jusqu'à Roscher, Cuny, Barnim ; jusqu'au docteur Peney, tombé en 1861 sur ces routes fatales, sans compter ceux qui n'ont rapporté en Europe que des déceptions achetées au prix de leur santé détruite !

 
 

 Major Serpa Pinto -LTM 1881 - Comment j'ai traversé l'Afrique (1877-1878) -
"Les trois chefs ou Sovas, princes du Dombé", dessin de E. Bayard

 


        L'Européen qui aborde le continent mystérieux de l'Afrique se trouve tout d'abord aux prises avec le mahométisme, gardien jaloux de cette malheureuse terre, qu'il s'efforce d'étouffer dans ses bras. Obligé de se joindre à quelqu'une de ces lentes caravanes de marchands et de pèlerins qui sillonnent périodiquement l'Afrique intérieure dans tous les sens, entretenant la vie religieuse et commerciale chez les tribus les plus reculées, il aura à lutter à la fois contre la défiance et la cupidité des marchands arabes, qui craignent de voir la concurrence européenne s'installer sur leurs marchés, et contre l'exaltation religieuse des farouches hadjis ou pèlerins de la Mecque, dont la haine contre le nom chrétien vient de se retremper au sanctuaire de l'islamisme. Il n'est pas d'avanies, d'humiliations, de trahisons, qu'il n'ait à redouter de ces deux classes de voyageurs, si par hasard ils ne tentent pas de l'assassiner. Lorsque, après avoir échappé à ce danger, il atteint les peuplades nègres où le mahométisme n'a pas encore chassé l’idolâtrie, il pourrait, là du moins, espérer un accueil hospitalier, si partout les crimes des chasseurs d'esclaves n'avaient soulevé ces races primitivement craintives et bienveillantes, et ne leur avaient appris l'astuce, le mensonge et le meurtre. Le guide qui accompagne le voyageur le trompe ; le chef de tribu qui reçoit ses présents le rançonne et l'exploite ; le foyer qui l'accueille le trahit. Il trouve un ennemi non moins redoutable dans le climat : sa route traverse-t-elle les déserts, un soleil de feu pendant le jour, réverbéré par des sables brûlants que soulève le vent mortel du midi, le manque d'eau, des nuits glaciales, la perspective monotone d'us horizon désolé qu'aucune verdure n'anime, la fatigue du voyage, et les secousses insupportables du chameau : tout cela amène inévitablement cette terrible fièvre africaine, à laquelle l'Européen doit payer son tribut. Plus malsaine encore est la traversée des basses régions tropicales pendant la saison des pluies, où l'action puissante du soleil sur un sol détrempé communique à la vie végétale une activité exubérante, en même temps qu'elle dégage des immenses détritus organiques des miasmes perfides qui tuent aussi sûrement que la flèche empoisonnée du sauvage. La fièvre, le choléra, l'ophthalmie, la dyssenterie, les horribles accès cataleptiques du kychyomachyoma : telles sont les perspectives agréables qui flottent dans l'imagination du voyageur, embellies par la perspective de la dent des bêtes féroces et de la morsure des reptiles venimeux.

 
 
V. Colomieu  Voyage dans le sahara algérien [1862] - Le Tour du Monde, 1863 -
Touareg en tenue de combat, dessin de Alfred Courchevel 
 


       Lorsque, dans les récits des hardis explorateurs du Nil et de l'Afrique tropicale, on a suivi le progrès de nos connaissances géographiques, que l'on s'est convaincu qu'il y a là un champ magnifique ouvert à l'activité européenne, que l'on sait au prix de quelles souffrances, de quelle ténacité, de quelles pertes ces résultats nous ont été acquis, on ne refuse plus son admiration à ceux qui se sont voués à ces explorations terribles.

 
 
 Le dernier voyage de Livingstone (1866-1873) -TDM 1875 -"Les derniers miles" dessin de Riou
 
 


      Sans embrasser ce sujet dans toute son étendue, nous nous proposons d'esquisser ici quelques-uns des voyages les plus récents et les plus curieux effectués dans l'Afrique [du dix-neuvième siècle] (1).

 
(1) Pour que cette lecture présente un véritable intérêt, nous conseillons de suivre sur une carte récente et bien faite la route des voyageurs auxquels nous emprunt[er]ons le récit de leurs travaux.

 
 

 White Baker - LTM 1867 - Voyage à l'Albert N'Yanza (Lac Albert). (1861-1864) -
"La bienvenue à notre retour" - dessin de A. de Neuville
 
 


L'Afrique inconnue – Récits et aventures des voyageurs modernes au Soudan oriental –
par P. Gilbert, professeur à l'Université de Louvain, Alfred Mame et fils éditeurs
– 6e édition - 1879 -
p. [5]-10

 
 

Émile Holub, TDM 1883 - Au pays des marutsés (1875-1879) -
"Visite des reines" - Dessin de D. Maillart 
 
(À suivre...)


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