samedi 14 juin 2008

...Égalité ...


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Drapeau Tremblez Tyrans, 1793


... Égalité ...


La revendication de l'égalité prenait sa source dans la volonté de la bourgeoisie de partager le pouvoir politique et social avec la noblesse : aiguisée au cours du XVIIIe siècle par l'exclusivisme nobiliaire qui lui avait peu à peu fermé toute possibilité d'ascension sociale, elle avait trouvé sa légitimation théorique dans les philosophies du droit naturel qui affirmèrent l'égalité naturelle entre les hommes. L'aspiration égalitaire était également populaire : elle avait ses racines dans certaines traditions collectives, les luttes paysannes ou la condition du petit producteur indépendant de l'échoppe et de la boutique. Dans leur apparente naïveté, les couplets de La Carmagnole, « il faut raccourcir les géants et rendre les petits plus grands, tous à la même hauteur, voilà le vrai bonheur » ou du ça ira - « celui qui s'élève on l'abaissera » - résument cette aspiration.
Dès la convocation des États généraux, cette exigence prit de plus en plus de force et permit l'union de toutes les couches du Tiers contre les privilégiés. La première victoire de la bourgeoisie se traduisit par la proclamation du principe d'égalité. En affirmant dans son article premier que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », la Déclaration des droits de l'homme du 24 août 1789 marquait l'arrêt de mort de la société d'Ancien Régime dont l'essence était l'inégalité naturelle entre les hommes. Cela entraîna l'abolition des privilèges, qu'ils aient distingué les individus ou les provinces, la possibilité pour tous d' « accéder à toutes les dignités, places et emplois public selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». L'égalité de tous permit d'intégrer dans la communauté nationale ceux que leur religion en avait exclus : protestants d'abord, israélites ensuite.
Mais en énumérant parmi les droits naturels et donc imprescriptibles la propriété, la Déclaration des droits de l'homme substituait à l'inégalité de naissance l'inégalité de richesse comme principe de structuration de la société. Cette contradiction entre l'affirmation de l'égalité de tous et l'intangibilité du droit de propriété fut, dans le discours comme dans la pratique, un des éléments moteurs du combat révolutionnaire. Si tous avaient les mêmes droits, seuls les plus riches avaient la possibilité et les moyens de les exercer dans l'ordre politique et social. La contradiction éclata dès la fin de l'année 1789 à l'occasion du débat sur le système électoral : les moins riches furent privés du droit de vote et seul les plus aisés des citoyens actifs pouvaient être éligibles. La gauche constituante et la presse démocratique protestèrent en vain contre ce refus de la démocratie politique. Certains, comme les animateurs du Cercle social, lièrent dès cette époque égalité politique et égalité sociale. La même contradiction entraîna le refus, au printemps 1791 d'abolir l'esclavage.
La question de l'égalité politique se posa de nouveau au moment de la fuite du roi. Elle fut surtout au cœur de la poussée démocratique du printemps 1792 qui vit aussi s'amplifier la revendication de l'égalité sociale, attisée par la crise des subsistances et précisée à l'occasion des mouvements contre la vie chère dans les villes et les campagnes : la taxation des subsistances n'était rien d'autre qu'une manière de réaliser une certaine forme d'égalité sociale. N'oublions pas la dimension politique de cette exigence : très souvent l'assimilation se fait entre le riche et l'aristocrate : lutter contre les riches était le plus sûr moyen pour certains de s'opposer à la Contre-Révolution. La chute de la monarchie entraîna l'établissement de la démocratie politique : on instaura le suffrage universel masculin car il n'était évidemment pas question d'accorder le droit de vote aux femmes. Surtout demeurait la question de l'égalité sociale qui continuait de se poser dans les mêmes termes qu'auparavant et opposa la Gironde à la Montagne. Le débat est à la fois simple et complexe, l'idéal de beaucoup de Girondins était aussi la petite propriété, donc une certaine forme d'égalité sociale : mais soucieux de maintenir la liberté économique, ils n'envisageaient comme Fauchet, fondateur du Cercle social, qu'une fiscalité redistributive pour assurer le minimum vital aux plus défavorisés. Ce fut leur crainte devant le mouvement populaire qui explique leur refus d'aller au-delà de la démocratie politique. Plus nuancée fut la proposition des Montagnards : en affirmant le 2 décembre 1792 que le droit de propriété devait être subordonné au droit à l'existence, Robespierre exprima sans doute une opinion plus radicale que celle de beaucoup d'autres Montagnards.
Cette position fut un des facteurs de l'alliance entre la Montagne et le mouvement populaire qui précisa peu à peu son programme : la dimension politique demeure : l'utilisation systématique du terme d' « aristocratie des riches » le montre ; mais de la réclamation d'une taxation légale du prix des denrées on en vint à demander l'égalité des jouissances qui seule pouvait permettre la réalisation du droit à l'existence.
Mais comme l'a montré définitivement A. Soboul, il n'était pas question, même pour les porte-parole les plus avancés de la sans-culotterie, de remettre en cause la propriété : pour ces petits producteurs indépendants, des mesures législatives devaient empêcher la concentration des fortunes et par conséquent établir l'égalité sociale. Les Jacobins les plus radicaux partageaient dans une certaine mesure ces conceptions. Ils voyaient dans le nouvel ordre social égalitaire à construire le fondement de la démocratie politique : on y a vu avec raison l'influence de Rousseau ; peut-être les analyses de Montesquieu sur le rapport nécessaire entre la démocratie, la vertu et une relative égalité des fortunes avaient elles aussi nourri leurs réflexions. On n'alla guère au-delà des pétitions de principes exposés dans la Déclaration des droits de l'homme de 1793 et les décrets de ventôse. En province les mesures égalitaires furent tout aussi symboliques, quand elles furent prises : ainsi la fabrication d'un pain de l'égalité ordonnée par Fouché dans la Nièvre.
La réaction thermidorienne marqua un retour à la conception qui avait prévalu en 1789. Le raidissement des possédants conduisit même les Thermidoriens à aller en certains points en deçà : ils ne suivirent pas Lanjuinais qui avait souhaité qu'on ne parlât plus d'égalité mais ils supprimèrent l'article 1er de la Déclaration de 1789 : il n'y avait plus de droit(s) naturel(s) mais des « droits de l'homme en société », au rang desquels l'égalité venait en seconde place derrière la liberté et précédait la propriété et la sureté. Cet ordre des mots ne doit pas tromper : la définition du terme en dessinait étroitement les limites : « l'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous » : égalité purement civile donc. S'il en était besoin, les théoriciens de l'ordre strictement bourgeois affirmèrent que tout devait être subordonné à la défense du droit de propriété. Boissy d'Anglas affirma que « l'égalité de fortune , n'est autre chose que la ruine de l'état social et le retour à l'état sauvage ». Tirant les leçons du passé, le même Boissy d'Anglas lia l'égalité des droits politiques et l'égalité sociale mais pour refuser la première par crainte de la seconde : « Si vous donnez à des hommes sans propriété les droits politiques sans réserve et s'ils se trouvent jamais sur les bancs des législateurs, ils exciteront ou laisseront exciter des agitations sans en craindre les effets. » On limita donc de nouveau l'exercice des droits politiques aux citoyens les plus riches. Cela ne suffit pas à faire disparaître l'égalitarisme qui trouva alors dans la pensée de Babeuf son expression la plus achevée.
Ces limites posent une question ; la Révolution française fut-elle réellement une Révolution de la liberté et de l'égalité ? En terme de réalisations, le bilan apparaît mince ; mais ce point de vue strictement comptable masque l'essentiel. On doit mesurer la portée de l'établissement de l'égalité civile à l'aune d'un des enjeux concrets de 1789 : la question du maintien ou de la suppression du privilège. Jamais la monarchie n'avait envisagé d'y porter atteinte : au contraire les multiples réformes qu'elle avait menées à bien n'eurent jamais d'autre but et résultat que son renforcement ; dès lors, c'est le principe d'égalité entre les hommes qui était fondamental. L'instauration de l'égalité théorique fut un puissant facteur de développement économique et social précisément parce qu'elle seule pouvait permettre le libre jeu des aptitudes économiques et des talents. Elle était une condition essentielle de la mobilité sociale puisqu'elle faisait apparaître toutes les barrières juridiques érigées entre les hommes. Plus personne désormais pouvait seulement se donner la peine de naître.

Philippe Goujard in Dictionnaire historique de la Révolution française ; sous la direction d' Albert Soboul




Marie-Antoinette de W. S. Van Dyke (séquences révolutionnaires : Julien Duvivier) ; USA, 1938



Marat, Danton, Robespierre in Napoléon vu par Abel Gance ; France, 1926


Pour jeter de la poudre aux yeux et faire croire que la Constitution française est réellement fondée sur les principes énoncés dans la Déclaration des Droits, les jongleurs des comités de rédaction l'ont fait suivre du décret qui abolit les titres, les privilèges, les dignités et les distinctions héréditaires de noblesse, d'ordres, de corporations ; de même que la vénalité des offices publics et tout privilège qui déroge au droit commun de tous les Français. Mais il est faux que les pères conscrits aient, comme ils s'en targuent, aboli toute institution qui blesse la liberté et l'égalité des droits ; puisqu'ils ont commencé par établir comme base de leur travail les distinctions les plus humiliantes, les plus injurieuses et les plus injustes, en excluant du droit de cité, de l'éligibilité aux emplois publics et de l'honneur de servir la patrie, la classe innombrable des infortunés déclarés inactifs, non habiles aux fonctions d'électeurs, d'administrateurs, de juges et de représentant du peuple.
Qu'ont-ils donc fait par leurs décrets de la contribution directe de trois journées de travail et du marc d'argent que de substituer les distinctions de la fortune à celle de la naissance, l'influence de l'or à celle des dignités, la plus vile et la plus funeste des prérogatives, puisqu'elle met toute l'autorité, tous les emplois, toutes les dignités dans la main des heureux du siècle et qu'elle donne au gueux parvenu, à l'adroit fripon, le prix que l'humble mérite.

Jugez après cela ce qu'il faut penser de ce droit solennel énoncé dans le sixième article de la Déclaration des Droits : « tous les citoyens, étant égaux aux yeux de la loi, sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leur vertu et de leurs talents... »
(...) Les citoyens, disent-ils également, sont libres de s'assembler paisiblement et sans armes, en satisfaisant aux lois de la police : quand on n'aurait pas vu, par le massacre du Champs de Mars, ce qu'il faut penser de cette liberté, on peut concevoir à quoi elle se réduit par la simple considération que la police est toujours maîtresse de défendre tout rassemblement de citoyens en le qualifiant de séditieux. Le droit qu'ont les citoyens de s'assembler où il leur plaît et quand il leur plaît, pour s'occuper de la chose publique, est inhérent à tout peuple libre ; sans ce droit sacré, l'État est dissous et le souverain est anéanti ; car, dès que les citoyens ne peuvent plus se montrer en corps, il ne reste de l'État que des individus isolés ; la nation n'existe plus. On voit avec quelle adresse les pères conscrits ont anéanti la souveraineté du peuple tout en ayant l'air d'assurer la liberté individuelle ...
Quant à la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer ses pensées, elle est également anéantie par les peines décernées contre les citoyens qui en useraient de manière à déplaire aux scélérats constitués en puissance. Les pères conscrits n'ont-ils pas déjà décerné la peine des galères contre quiconque médirait de la famille royale ou appellerait par son nom Louis, l'hypocrite, le fourbe, le traître et le parjure ?
N'être responsable qu'au tribunal du public de tout ce qu'on écrit, de tout ce qu'on dit, de tout ce qu'on publie contre les fonctionnaires publics. Voilà la liberté.

Jean-Paul Marat (1743-1793) ; L'Ami du peuple, n° 531, 16 août 1791




L'Enfant-roi de Jean Kemm ; France, 1923



PEUPLE DE FRANCE !

Pendant quinze siècles tu as vécu esclave, et par conséquent malheureux. Depuis six années tu respires à peine, dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité.
L'Égalité ! premier vœu de la nature, premier besoin de l'homme, et principal nœud de toute association légitime ! Peuple de France ! tu n'as pas été plus favorisé que les autres nations qui végètent sur ce globe infortuné !... Toujours et partout la pauvre espèce humaine livrée à des anthropophages plus ou moins adroits, servit de jouet à toutes les ambitions de pâture, à toutes les tyrannies. Toujours et partout on berça les hommes de belles paroles : jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le mot. De temps immémorial on nous répète avec hypocrisie, les hommes sont égaux ; et de temps immémorial la plus avilissante comme la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est sans contradiction reconnu, mais n'a pu encore se réaliser une seule fois : l'égalité ne fut autre chose qu'une belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est réclamée d'une voix plus forte, on nous répond : Taisez-vous misérables ! l'égalité de fait n'est qu'une chimère ; contentez-vous de l'égalité conditionnelle ; vous êtes tous égaux devant la loi. Canaille que te faut-il de plus ? Ce qu'il nous faut de plus? Législateurs, gouvernants, riches propriétaires, écoutez à votre tour.
Nous sommes tous égaux, n'est-ce pas ? Ce principe demeure incontesté, parce qu'à moins d'être atteint de folie on ne saurait dire sérieusement qu'il fait nuit quand il fait jour.
Eh bien ! nous prétendons désormais vivre et mourir égaux comme nous sommes nés ; nous voulons l'égalité réelle ou la mort ; voilà ce qu'il nous faut.
Et nous l'aurons cette égalité réelle, à n'importe quel prix. Malheur à qui ferait résistance à un vœu aussi prononcé !
La révolution française n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle, et qui sera la dernière.
Le peuple a marché sur le corps aux rois et aux prêtres coalisés contre lui : il en fera de même aux nouveaux tyrans, aux nouveaux tartuffes politiques assis à la place des anciens.
Ce qu'il nous faut de plus que l'égalité des droits ?
Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le faut, tous les arts pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle !
Législateurs et gouvernants qui n'avez pas plus de génie que de bonne foi, propriétaires riches et sans entrailles, en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise en disant : ils ne font que reproduire cette loi agraire demandée plus d'une fois déjà avant eux.
Calomniateurs, taisez-vous à votre tour, et, dans le silence de la confusion, écoutez nos prétentions dictées par la nature et basées sur la justice.
La loi agraire ou le partage des campagnes fut le vœu instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à quelque chose de plus sublime et de plus équitable, le bien commun ou la communauté des biens ! Plus de propriété individuelle des terres, la terre n'est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde.
Nous déclarons ne pouvoir souffrir davantage que la très grande majorité des hommes travaille et sue au service et pour le bon plaisir de l'extrême minorité.
Assez et trop longtemps moins d'un million d'individus dispose de ce qui appartient à plus de vingt millions de leurs semblables, de leur égaux.
Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés.
Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que celles de l'âge et du sexe. Puisque tous ont les mêmes besoins et les mêmes facultés, qu'il n'y ait donc plus pour eux qu'une seule éducation, une seule nourriture. Ils se contentent d'un seul soleil et d'un même air pour tous : pourquoi la même portion et le même qualité d'aliments ne suffiraient-elles pas à chacun d'eux ?
Mais déjà les ennemis d'un ordre des choses le plus naturel qu'on puisse imaginer, déclament contre nous.
Désorganisateurs et factieux, nous disent-ils, vous ne voulez que des massacres et du butin.

PEUPLE DE FRANCE !

Nous ne perdrons pas notre temps à leur répondre, mais nous te dirons : la sainte entreprise que nous organisons n'a d'autre but que de mettre un terme aux dissensions civiles et à la misère publique.
Jamais plus vaste dessein n'a été conçu et mis à exécution. De loin en loin quelques hommes de génie, quelques sages, en ont parlé d'une voix basse et tremblante. Aucun d'eux n'a eu le courage de dire la vérité tout entière.
Le moment des grandes mesures est arrivé. Le mal est à son comble ; il couvre la face de la terre. Le chaos, sous le nom de politique, y règne depuis trop de siècles. Que tout rentre dans l'ordre et reprenne sa place.
A la voix de l'égalité, que les éléments de la justice et du bonheur s'organisent.
L'instant est venu de fonder la République des Égaux, ce grand hospice ouvert à tous les hommes. Les jours de la restitution générale sont arrivés. Familles gémissantes, venez vous asseoir à la table commune dressée par la nature pour tous ses enfants.

PEUPLE DE FRANCE !

La plus pure de toutes les gloires t'était donc réservée ! Oui, c'est toi qui le premier dois offrir au monde ce touchant spectacle.
D'anciennes habitudes, d'antiques préventions voudront de nouveau faire obstacle à l'établissement de la République des Égaux. L'organisation de l'égalité réelle, la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être point d'abord à tout le monde.
L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. Ceux qui possèdent injustement crieront à l'injustice. Les jouissances exclusives, les plaisirs solitaires, les aisances personnelles causeront de vifs regrets à quelques individus blasés sur les peines d'autrui. Les amants du pouvoir absolu, les vils suppôts de l'autorité arbitraire ploieront avec peine leurs chefs superbes sous le niveau de l'égalité réelle. Leur vue courte pénétrera difficilement dans le prochain avenir du bonheur commun ; mais que peuvent quelques milliers de mécontents contre une masse d'hommes tous heureux et surpris d'avoir cherché si longtemps une félicité qu'ils avaient sous la main ?
Dès le lendemain de cette véritable révolution, ils se diront tout étonnés : En quoi ! le bonheur commun tenait à si peu ? Nous n'avions qu'à le vouloir. Ah ! pourquoi ne l'avons-nous pas voulu plus tôt. Oui sans doute, un seul homme sur la terre plus riche, plus puissant que ses semblables, que ses égaux, l'équilibre est rompu ; le crime et le malheur sont sur la terre.

PEUPLE DE FRANCE !

A quel signe dois-tu donc reconnaître désormais l'excellence d'une constitution ? ...Celle qui tout entière repose sur l'égalité de fait est la seule qui puisse te convenir et satisfaire à tous tes vœux.
Les chartes aristocratiques de 1791 et de 1795 rivaient tes fers au lieu de les briser. Celle de 1793 était un grand pas de fait vers l'égalité réelle ; on n'en avait pas encore approché de si près ; mais elle ne touchaient pas encore le but et n'abordait point le bonheur commun, dont pourtant elle consacrait solennellement le grand principe.

PEUPLE DE FRANCE !

Ouvre les yeux et le cœur à la plénitude de la félicité : reconnais et proclame avec nous le République des Égaux.

Sylvain Maréchal (1750-1803) ; Manifeste des Égaux (1796)




Scaramouche de Rex Ingram ; USA, 1923


L'égalité, dont l'idée est la base de la sociabilité et la consolation des malheureux, n'est qu'une chimère qu'aux yeux des hommes dépravés par l'amour de la richesse et de la puissance.
Tout système et toute passion à part, quel est l'homme qui, au fond de son cœur, ne reconnaisse un égal dans un individu de son espèce quel qu'il soit ? Quel est l'homme qui, placé dans la même situation, n'éprouve un égal frémissement de pitié, à l'aspect des souffrances de chacun de ses semblables ?
Ce sentiment, effet de nos premières expériences, est justifié par la raison qui nous enseigne que la nature a fait les hommes égaux : mais comment et en quoi ? C'est ce qu'il importe de bien connaître.
Ceux qui approuvent les inégalités sociales, prétendent qu'elles sont inévitables, parce que, selon eux, elles tirent leur origine de celles que la nature a mises entre les individus de l'espèce humaine.
Les hommes, disent-ils, différant naturellement par le sexe, par la taille, par la couleur, par les traits, par l'âge et par la vigueur des membres, ne peuvent être égaux ni en puissance, ni en richesse ; l'égalité, soit naturelle, soit sociale, est donc un véritable être de raison.
Cependant, de ce que les différences dont nous venons de parler existent réellement, s'ensuit-il que les inégalités d'institution en sont les conséquences nécessaires ? A ce compte, l'opulence et l'autorité iraient toujours de pair avec la force, avec la grandeur, avec la beauté ; ce qui n'est pas vrai à beaucoup près.
Il est, entre les hommes, disent les partisans de l'inégalité, une autre différence naturelle qui en met nécessairement une dans leurs lumières et dans leur position sociale ; c'est celle de l'esprit. On est allé jusqu'à prétendre reconnaître dans les éminences plus ou moins saillantes du cerveau, les signes infaillibles de nos penchants et de nos passions.
Cependant, un sentiment secret paraît nous avertir que les choses n'ont pas été ordonnées ainsi par l'auteur de la nature, et que, si les hommes communément bien organisés, n'ont pas tous la même aptitude à l'esprit, la différence qui existe entre eux sous ce rapport, est bien moins l'effet de la diversité de leur conformation, que de celle des circonstances dans lesquelles ils se sont trouvés placés. Qui peut douter que beaucoup d'hommes ignorants ne l'eussent pas été, s'ils avaient eu l'occasion de s'instruire ? Le pâtre le plus grossier ne met-il pas dans la direction de ses travaux et dans la discussion de ses intérêts, autant de finesse d'esprit, qu'il en fallu à Newton pour découvrir les lois de l'attraction ? Tout dépend de l'objet vers lequel notre attention se dirige.
D'ailleurs, l'inégalité d'intelligence fût-elle aussi naturelle qu'on le prétend, il serait indispensable d'y voir la source des différences de richesse et de puissance qui existent dans la société ; car il n'est point vrai que les biens et l'autorité y soient communément le partage du savoir et de la sagesse.
Mais est-ce bien des qualités dont nous venons de parler qu'il s'agit ? Aucunement. L'égalité naturelle qu'on a en vue, est cette uniformité de besoins et de sentiments qui naissent avec nous, ou se développent par le premier usage que nous faisons de nos sens et de nos organes.
Le besoin de se nourrir et celui de se reproduire ; l'amour de soi ; la pitié ; l'aptitude à sentir, à penser, à vouloir, à communiquer ses idées et comprendre celles de ses semblables, et à conformer ses action à la règle ; la haine de la contrainte et l'amour de la liberté existent, à peu près au même degré, chez tous les hommes sains et bien constitués. Telle est la loi de la nature d'où émanent, pour tous les hommes, les mêmes droits naturels.
Aux yeux de quiconque se reconnaît composé de deux substances de nature différente, une nouvelle raison en faveur de l'égalité naturelle se tire de la spiritualité du principe pensant ; ce principe, qui constitue à lui seul tout le moi humain, étant indivisible et pur, et dérivant toujours de la même source, est nécessairement égal dans tous les individus de notre espèce.
Il n'est pas douteux que l'inégalité des forces physiques ne puissent troubler, au moins momentanément, la jouissance de l'égalité naturelle ; ce fut probablement pour obvier à ce mal qu'on eut recours aux conventions, et que la société civile fut instituée.
Faute de prévoyance, on s'est précipité dans un malheur plus grand que celui qu'on avait voulu prévenir. L'égalité établie par la nature et avouée par la raison, a été violée dans la société par une suite de ces mêmes conventions, qui furent destinées à la maintenir. Aux inconvénients passagers, produits par l'inégalité des forces physiques, ont été substitués d'autres inconvénients plus funestes, plus permanents et plus inévitables, par l'inégalité conventionnelle de richesse et de puissance. Ainsi par une étrange métamorphose, les plus sots, les plus vicieux, les plus faibles et les moins nombreux sont parvenus à surcharger de pénibles devoirs et à priver de la liberté naturelle, la masse des plus forts, des plus vertueux et des plus instruits.
De l'inégale répartition des biens et du pouvoir naissent tous les désordres dont se plaignent avec raison les neuf dixièmes des pays civilisés. De là viennent pour eux les privations, les souffrances, les humiliations et l'esclavage. De là vient aussi cette inégalité de lumière, que, par des motifs intéressés, on attribue faussement à l'inégalité exagérée des esprits.
C'est donc à resserrer dans de justes bornes la richesse et la puissance des individus, que doivent tendre les institutions d'une véritable société ; la puissance, en soumettant également tous les citoyens à la loi émanée de tous ; la richesse, en ordonnant les choses de manière que chacun ait assez, et que personne n'ait rien de trop. Voilà en quoi consiste l'égalité dont on parle dans cet ouvrage.
A la vérité, au point où en sont les choses, cette égalité se réduit à peu près à celle des richesses, qui forment, presque à elles seules aujourd'hui, le prix de la puissance, aussi bien aux yeux de ceux qui commandent, qu'aux yeux de ceux qui obéissent.

Philippe Buonarroti (1761-1837) – La conspiration pour l'égalité – 1828.


Scarlet Pimpernel de Richard Stanton ; USA, 1917 et 1934



Jean Chouan de Luitz-Morat ; France, 1925

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Au sujet des tricoteuses : lorsqu'on a eu le visage appuyé dans la boue pendant des siècles, lorsqu'on a dû disputer sa pitance aux bêtes et regardé mourir de faim ses enfants, il est bien normal de prendre un peu de bon temps en regardant les messieurs et les dames passer à leur tour par de rudes moments.
D'ailleurs, ceux qui avaient gardé leur tête l'ont vite relevée et, un siècle plus tard, les Versaillaises achevaient, parait-il, les blessés communards en leur fouillant les orbites du bout de leur ombrelle...

Anonyme a dit…

... Ah mais c'est que je suis bien d'accord La Mouette, encore que l'on peut toujours noter sur le thème de ces mêmes tricoteuses, qu'elles virent passer bien plus de gueux et de vilains que d'aristocrates ... C'est bien le sang du peuple qui inonda la machine bien plus que le sang bleu ...

Anonyme a dit…

Ouh que de lectures ais-je en retard ! Me pardonnez-vous cet écart de conduite à votre égard ? Sachez que je reviendrais, vu que j'aime bien ces photos ci-dessus. Pour l'heure, j'avais dans l'envie de mon consacrer à un conte que vous postâtes il y a quelques temps déjà au sujet de votre famille si je ne me trompe... Permettez, je remonte le temps