lundi 12 mai 2008

Étranges étrangers ...

Joséphine Baker, mai 1926 ; cliché Lipnitzki


Étranges étrangers


Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes des pays lointains
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvés morts sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou bien du Finisterre
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d’une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boîte à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d’or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd’hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

Jacques PRÉVERT - in Grand bal du printemps, 1951


Nanterre, mai 1960


Bidonville de Nanterre, 1960

1 commentaire:

Anonyme a dit…

...Eh ben, j'm'en fous pas mal ...
Et pour ma peine, j'me relis un p'tit poème ...

Il a tourné autour de moi
pendant des mois des jours et des heures
et il a posé la main sur mon sein
en m'appelant son petit coeur
Et il m'a arraché une promesse
comme on arrache une fleur à la terre
Et il a gardé cette promesse dans sa tête
comme on garde une fleur dans une serre
J'ai oublié ma promesse
et la fleur tout de suite a fané
Et les yeux lui sont sortis de la tête
il m'a regardée de travers
et il m'a injuriée
Un autre est venu qui ne m'a rien demandé
mais il m'a regardée tout entière
Déjà pour lui j'étais nue
de la tête aux pieds
et quand il m'a deshabillée
je me suis laissé faire
Et je ne savais pas qui c'était.