Chapitre 3
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La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels coeurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? - Dans quel sang marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française. - Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !
Arthur Rimbaud - Une Saison en enfer ; Mauvais sang.
Tadjoura, 9 juillet 1886.
Mes chers amis,
Je reçois seulement à présent votre lettre du 28 mai.
Je ne comprends rien du tout au service postal de cette maudite colonie. J'écris régulièrement.
Il y a eu des incidents ici, mais pas de massacres sur la côte : une caravane a été attaquée en route, mais c'est parce qu'elle était mal gardée.
Mes affaires sur la côte ne sont pas encore réglées, mais je compte que je serais en route en septembre, sans rémission.
Le dictionnaire m'est arrivé depuis longtemps.
Je me porte bien, aussi bien qu'on peut se porter ici en été, avec 50 et 55 centigrades à l'ombre.
Bien à vous.
Hôtel de l'Univers,
Aden.
Ambabo, près de Tadjoura, où Rimbaud s'est installé pour la préparation de sa caravane.
Tadjoura, 15 septembre 1886.
Mes chers amis,
Il y a très longtemps que je ne reçois rien de vous.
Je compte définitivement partir pour le Choa, fin septembre.
J'ai été retardé très longtemps ici, parce que mon associé est tombé malade et est rentré en France d'où on m'écrit qu'il est près de mourir.
J'ai une procuration pour toutes ses marchandises ; de sorte que je suis obligé de partir quand même ; et je partirai seul, Soleillet (l'autre caravane à laquelle je devais me joindre) étant mort également.
Mon voyage durera au moins un an.
Je vous écrirai au dernier moment. Je me porte très bien.
Bonne santé et bon temps.
Hôtel de l'Univers,
Aden.
Paul Soleillet (1842-1886), célèbre explorateur, fut associé à Rimbaud peu de temps avant sa mort (cliché de L. Bidault ; 1884)
Obock
-Abyssinie du Sud-
Antotto (Choa) le 7 avril 1887
Mes chers amis,
Je me trouve ici en bonne santé, mes affaires ne finiront pas ici avant la fin de l'année. Si vous avez à m'écrire, écrivez ainsi :
Monsieur Arthur Rimbaud
Hôtel de l'Univers – Aden.
De là les choses me parviendront comme elles pourront. J'espère être de retour à Aden vers le mois d'octobre, mais les choses sont très longues dans ces sales pays, qui sait ?
Bien à vous.
Le Gubet Karab
Envoyé par le roi Ménélik,
Parvienne à M, Rambaud [sic].
Comment te portes-tu ? Moi, par la grace de Dieu, je me porte bien.
Ta lettre m'est parvenue. Je suis arrivé hier à Fel-Ouha. Cinq jours me suffiront pour voir les marchandises. Tu pourras partir ensuite.
Écrit le 3 myarzya. [lundi 11 avril 1887]
Sceau : "Il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, Ménélik, roi du Choa"
Ménélik II, roi du Choa, du Kaffa et de tous les pays circonvoisins.
Parvienne à M. Rimbaud. Comment te portes-tu ? Moi, Dieu soit loué, je vais bien, ainsi que toute mon armée.
La lettre que tu m'as envoyée m'est parvenue. Je te remercie de toutes les nouvelles que tu m'as envoyées.
Les interêts du prix resté en compte sont trop élevés. J'ai envoyé l'ordre au Dedjaz Makonnen de te payer. Reçois de lui cette somme. Si tu as des nouvelles d'Europe et de Massaouah, envoie-les-moi tout de suite.
Écrit le 30 sanié 1879 [jeudi 7 juillet 1887], au pays d'Adea Bagoftou.
Sceau : "Il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, Ménélik, roi du Choa"
Ménélik II
Vice-Consulat de France
Massaouah
Massaouah le 5 août 1887
Monsieur le consul,
Un s[ieu]r Raimbeaux [sic], se disant négociant à Harar et à Aden, est arrivé hier à Massaouah à bord du courrier hebdomadaire d'Aden.
Ce français, qui est grand, sec, yeux gris, moustaches presque blondes, mais petites, m'a été amené par les carabiniers. M. Raimbeaux n'a pas de passeport et n'a pu me prouver son identité. Les pièces qu'il m'a exibées, sont des procurations passées devant vous avec un S[ieu]r Labatut dont l'intéressé aurait été son fondé de pouvoir.
Je vous serai obligé, Monsieur le Consul, de vouloir bien me renseigner sur cet individu dont les allures sont quelque peu louche[s].
Ce S[ieu]r Raimbeau [sic] est porteur d'une traite de 5,000 thalers à cinq jours de vue s[u]r Mr Lucardi et d'une autre traite de 2500 thalers sur un négociant indien de Massaouah.
Veuillez agréer, Monsieur le Consul, les assurances de ma considération la plus distinguée.
Alexandre Mercinier
Vice-Consul de France, Aden.
Jeune fille Afar (Danakil)
On ne part pas. - Reprenons les chemins d'ici, chargé de mon vice, le vice qui a poussé ses racines de souffrance à mon côté, dès l'âge de raison - qui monte au ciel, me bat, me renverse, me traîne.
La dernière innocence et la dernière timidité. C'est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons.
Allons ! La marche, le fardeau, le désert, l'ennui et la colère.
À qui me louer ? Quelle bête faut-il adorer ? Quelle sainte image attaque-t-on ? Quels coeurs briserai-je ? Quel mensonge dois-je tenir ? - Dans quel sang marcher ?
Plutôt, se garder de la justice. - La vie dure, l'abrutissement simple, - soulever, le poing desséché, le couvercle du cercueil, s'asseoir, s'étouffer. Ainsi point de vieillesse, ni de dangers : la terreur n'est pas française. - Ah ! je suis tellement délaissé que j'offre à n'importe quelle divine image des élans vers la perfection.
Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse ! ici-bas, pourtant !
De profundis Domine, suis-je bête !
Arthur Rimbaud - Une Saison en enfer ; Mauvais sang.
est le véritable maître du commerce sur la côte,
esclaves et armes compris... (cliché P. Paulitschke ; 1884)
Tadjoura, 9 juillet 1886.
Mes chers amis,
Je reçois seulement à présent votre lettre du 28 mai.
Je ne comprends rien du tout au service postal de cette maudite colonie. J'écris régulièrement.
Il y a eu des incidents ici, mais pas de massacres sur la côte : une caravane a été attaquée en route, mais c'est parce qu'elle était mal gardée.
Mes affaires sur la côte ne sont pas encore réglées, mais je compte que je serais en route en septembre, sans rémission.
Le dictionnaire m'est arrivé depuis longtemps.
Je me porte bien, aussi bien qu'on peut se porter ici en été, avec 50 et 55 centigrades à l'ombre.
Bien à vous.
Hôtel de l'Univers,
Aden.
Ambabo, près de Tadjoura, où Rimbaud s'est installé pour la préparation de sa caravane.
Tadjoura, 15 septembre 1886.
Mes chers amis,
Il y a très longtemps que je ne reçois rien de vous.
Je compte définitivement partir pour le Choa, fin septembre.
J'ai été retardé très longtemps ici, parce que mon associé est tombé malade et est rentré en France d'où on m'écrit qu'il est près de mourir.
J'ai une procuration pour toutes ses marchandises ; de sorte que je suis obligé de partir quand même ; et je partirai seul, Soleillet (l'autre caravane à laquelle je devais me joindre) étant mort également.
Mon voyage durera au moins un an.
Je vous écrirai au dernier moment. Je me porte très bien.
Bonne santé et bon temps.
Hôtel de l'Univers,
Aden.
Paul Soleillet (1842-1886), célèbre explorateur, fut associé à Rimbaud peu de temps avant sa mort (cliché de L. Bidault ; 1884)
Obock
-Abyssinie du Sud-
Antotto (Choa) le 7 avril 1887
Mes chers amis,
Je me trouve ici en bonne santé, mes affaires ne finiront pas ici avant la fin de l'année. Si vous avez à m'écrire, écrivez ainsi :
Monsieur Arthur Rimbaud
Hôtel de l'Univers – Aden.
De là les choses me parviendront comme elles pourront. J'espère être de retour à Aden vers le mois d'octobre, mais les choses sont très longues dans ces sales pays, qui sait ?
Bien à vous.
Le Gubet Karab
Envoyé par le roi Ménélik,
Parvienne à M, Rambaud [sic].
Comment te portes-tu ? Moi, par la grace de Dieu, je me porte bien.
Ta lettre m'est parvenue. Je suis arrivé hier à Fel-Ouha. Cinq jours me suffiront pour voir les marchandises. Tu pourras partir ensuite.
Écrit le 3 myarzya. [lundi 11 avril 1887]
Sceau : "Il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, Ménélik, roi du Choa"
Ménélik II, roi du Choa, du Kaffa et de tous les pays circonvoisins.
Parvienne à M. Rimbaud. Comment te portes-tu ? Moi, Dieu soit loué, je vais bien, ainsi que toute mon armée.
La lettre que tu m'as envoyée m'est parvenue. Je te remercie de toutes les nouvelles que tu m'as envoyées.
Les interêts du prix resté en compte sont trop élevés. J'ai envoyé l'ordre au Dedjaz Makonnen de te payer. Reçois de lui cette somme. Si tu as des nouvelles d'Europe et de Massaouah, envoie-les-moi tout de suite.
Écrit le 30 sanié 1879 [jeudi 7 juillet 1887], au pays d'Adea Bagoftou.
Sceau : "Il a vaincu, le lion de la tribu de Juda, Ménélik, roi du Choa"
Ménélik II
Vice-Consulat de France
Massaouah
Massaouah le 5 août 1887
Monsieur le consul,
Un s[ieu]r Raimbeaux [sic], se disant négociant à Harar et à Aden, est arrivé hier à Massaouah à bord du courrier hebdomadaire d'Aden.
Ce français, qui est grand, sec, yeux gris, moustaches presque blondes, mais petites, m'a été amené par les carabiniers. M. Raimbeaux n'a pas de passeport et n'a pu me prouver son identité. Les pièces qu'il m'a exibées, sont des procurations passées devant vous avec un S[ieu]r Labatut dont l'intéressé aurait été son fondé de pouvoir.
Je vous serai obligé, Monsieur le Consul, de vouloir bien me renseigner sur cet individu dont les allures sont quelque peu louche[s].
Ce S[ieu]r Raimbeau [sic] est porteur d'une traite de 5,000 thalers à cinq jours de vue s[u]r Mr Lucardi et d'une autre traite de 2500 thalers sur un négociant indien de Massaouah.
Veuillez agréer, Monsieur le Consul, les assurances de ma considération la plus distinguée.
Alexandre Mercinier
Vice-Consul de France, Aden.
2 commentaires:
Question à laquelle vous avez déjà peut être répondu ... Pourquoi Rimbaud est-il parti en Afrique, au départ ?
C'est toujours aussi passionant de découvrir le vie africaine de Rimbaud ... Aimait-il vraiment ces pays ? Il semble les maudire souvent ...
...Ah, la question qui tue !!!
Il semble bien que Rimb. n'était attaché à rien ni à personne... Et surtout, qu'il n'était attaché nulle part.
"A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journeaux illustrés où rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes. [...]"
Il incarne la fuite en avant... Il fugua très tôt de Charleville pour se rendre en Belgique, à Paris ou en Angleterre. Plus tard ce fut Stockholm, Hambourg, la Norvège, Vienne, Stuttgart, Java, Rome, Milan, Alexandrie, Chypre...
Alors pourquoi l'Asie mineure et l'Afrique ??? Il faudrait dix épisodes de blog pour vous l'expliquer...
C'est éssentiellement la volonté de fuir l'Europe le plus loin possible et puis de trouver du travail qui l'on fait attérrir là après bien des érrements qui réclameraient eux aussi dix épisodes...
Je vous prie de bien vouloir m'excuser cher PetitChap, mais... Je ne puis ici vous répondre d'une phrase... Nous touchons au "feu sacré" qui consummera Rimb. toute sa vie, et ce n'est pas simple à déméler. On ne peut se satisfaire d'une réponse toute faite et laconique...
Venez donc me visiter dans mes bois, que je vous explique cela du mieux que je le puis....
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