dimanche 2 décembre 2012

Sertão...












 Nossa Senhora do Cangaço ; Oeuvre de Marcos Oliveira


 
    […] La bande de Lucas resta cachée pendant presque deux mois. En l'occurrence. Leur coiteiro était un petit propriétaire à qui Lucas avait un jour sauvé la vie, au cours d'un voyage. Et ce fut là que l'émissaire du beato Estevao vint le trouver. Il s'apprêtait déjà à repartir, à balayer de nouveau le sertao, à envahir des villages et des villes, à extorquer de l'argent aux fermiers, lorsqu'un soir sans lune, à la tombée de la nuit, un homme arriva. Il était appuyé sur un bâton, il avait parcouru bien du chemin, il avait eu du mal à découvrir où Lucas s'était réfugié.

   Les soldats - ceux qui avaient été chargés de poursuivre Estevao et ceux qui recherchaient Lucas - avaient encerclé le saint aux environs de Juazeiro. Plus de trois cents hommes se trouvaient avec Estevao, mais ils n'étaient presque pas armés et n'avaient aucune expérience de la lutte. Le seul espoir qui leur restât, c'était l'aide de Lucas Arvoredo.

    - Mon père, Estevao m'envoie vous dire que vous preniez tous les hommes que vous pouvez. Et tout ce que vous avez comme armes, pasque ça chauffe...

   Avant de partir, Lucas dépêcha des émissaires pour rassembler des camarades, des paysans qui l'aimaient bien, des hommes qui parfois faisaient partie de sa bande, et d'autres qui, il le savait, se seraient fait tuer pour lui. Et ils vinrent en grand nombre, les uns pour lui rendre service, les autres pour défendre le beato Estevao. Ils n'avaient jamais vu le beato, mais pour eux, c'était un saint, par sa bouche parlait la voix de Dieu.

   Ils partirent à l'aube, laissant les femmes, s'emparant de toutes les armes qu'ils trouvaient dans les fermes où ils passaient. L'envoyé du saint, un nègre à la tignasse grisonnante, les exhortait à se hâter. Mais ils marchaient si vite que le nègre lui-même avait du mal à les suivre. Pendant six jours et six nuits, ils se frayèrent un chemin à travers les épines et, le septième au soir, ils aperçurent les feux dans le campement du saint. Le vent apportait un murmure de prières chantées par la foule qui accompagnait Estevao. Lucas s'arrêta, mit le genou en terre, les autres cangaceiros l'imitèrent. Ils firent le signe de la croix et ce ne fut qu'alors qu'ils avancèrent humblement.




Antônio Francisco Lisboa, plus connu sous le surnom de Aleijadinho 
(1730 ou 1738-1814) : Ange, Sanctuaire de Matosinhos, Brésil ; Sculpture sur bois


Jao

« Voici Lucas Arvoredo
Qui s'amène avec son poignard... »

   Un jour, dans le fond du sertao agreste, où la faim tuait les hommes, où les rivières étaient desséchées par le soleil brûlant, où les colonels s'emparaient des terres des paysans et faisaient abattre ceux qui protestaient ; dans le sertao d'où les émigrants partaient en fournées successives vers le sud, jonchant les routes de leurs cadavres, dans le sertao où les enfants mouraient par centaines, et ceux qui survivaient étaient malades et tristes, quand le paludisme se répandit comme un manteau de deuil et que la petite vérole laissa sa marque mortelle sur des milliers de visages, quand la fièvre typhoïde se propagea comme une mauvaise herbe, quand il ne subsistait plus aucun espoir dans le cœur fatigué des campagnards, c'est alors qu'apparut le beato.

   Personne ne savait d'où il venait, qui il était, quand il était arrivé, ni son âge ni son nom complet. Il s'appelait Estevao, il n'avait pas de nom de famille ; son bâton noueux qui ressemblait à un serpent portait la poussière de longues pérégrinations, ses espadrilles étaient vieilles et trouées, sa robe blanche éclaboussée d'une boue déjà ancienne. Sa barbe blanche, ébouriffée, pas très épaisse, tombait sur sa poitrine, et ses cheveux blancs et longs glissaient également sur son cou jusqu'au haut du dos. De sa tête, les poux descendaient sur sa robe, et les oiseaux, vers midi et quand le soir tombait, se posaient sur l'épaule du saint et picotaient ses oreilles dissimulées par les mèches.

   Il apparut en proclamant que le monde allait finir ; la méchanceté des hommes étant parvenue à son comble, la pitié s'était épuisée dans le cœur de Dieu. La limite de sa patience était atteinte et maintenant allait venir le terrible châtiment, l'heure du repentir était arrivée. Malheur à ceux qui ne se couvriraient pas la tête de cendres et n'abandonneraient pas tout, maison et travail, patrons et récoltes, pour prier! Ceux qui ne le feraient pas n'auraient pas de salut possible lorsque l'heure sonnerait, inexorable.





   Sa voix était suggestive et tendre, elle ressemblait davantage à la voix d'un enfant qu'à celle d'un vieillard, mais au moment des imprécations, elle s'élevait avec violence, elle cinglait comme un fouet. A ces moments-là, tous oubliaient que c'était un vieux courbé sur un bourdon. Il devenait pareil à un arbre majestueux, à une rivière torrentueuse, à une cataracte bruyante. Lorsque son regard bleu, d'ordinaire bienveillant et chaud, regard qui appelait et encourageait, s'immobilisait, perdu dans le lointain, apercevant des choses que les autres ne pouvaient voir, il provoquait la peur et le frisson. Grand, et si maigre qu'il balançait dans le vent comme un bambou, il avait une résistance de fer et marchait des lieues et des lieues, d'un pas rapide, difficile à suivre. « Il mange moins qu'un oiseau », disaient les femmes ; et des histoires fantastiques circulaient sur la façon dont, la nuit, Notre Seigneur le nourrissait et renouvelait ses forces.

   Il s'appelait Estevao, mais tous le traitaient de beato Estevao, les pèlerins employaient l'expression tendre de « mon père ». Ils courbaient la tête pour recevoir sa bénédiction lorsqu'il passait, la main levée, ses mots presque imperceptibles. Sa bénédiction était miraculeuse, elle guérissait les maladies, cicatrisait les plaies, éloignait les fléaux des cultures, les épidémies des animaux, chassait les mauvais esprits et rendait les hommes invulnérables à la morsure des serpents venimeux et aux balles assassines.





   Comment douter de sa sainteté, de son pouvoir surnaturel, si les reptiles les plus redoutés, - le serpent à sonnettes, le jaracuçu-à-tête-d'argent, la jaracaca, - sortaient du chemin sur ses pas et l'accompagnaient sur la route et se laissaient prendre dans ses mains et comprenaient la langue étrange qui était la sienne ? Comment douter, puisqu'il parlait de la faim des hommes, de tous les malheurs qui s'abattaient sur eux, puisqu'il disait qu'aucun colonel, qu'aucun des grands planteurs n'échapperait à la colère de Dieu, au châtiment imminent ?

   Aucune parole n'avait de vertu contre lui, pas même la parole des prêtres qui s'étaient élevés pour condamner le beato. Les habitants du sertao savaient bien qu'ils ne mariaient pas et ne baptisaient pas gratuitement. Ils vivaient dans les plantations, où ils étaient les hôtes des Casas Grandes, mangeant plantureusement à la table des colonels, et leurs sermons ne stigmatisaient pas le vol des terres, ni les salaires si bas qu'ils ne suffisaient même pas à payer les dépenses au magasin. Dans leurs sermons, pleins des feux de l'enfer, les prêtres invectivaient, oui, mais c'était contre ceux qui vivaient en concubinage, ceux dont 1es enfants n'étaient pas baptisés, ceux qui utilisaient les animaux parce qu'ils ne possédaient pas de femmes pour faire l'amour. Estevao, lui, parlait un autre langage. Pas un mot contre les prostituées, contre les hommes qui prenaient femme sans recevoir la bénédiction du vicaire, contre ceux qui se servaient de juments et d'ânesses. En revanche, il fulminait contre les péchés des riches, il dénonçait leur façon de tuer 1es pauvres à force de famine, et c'était à eux, à leur avarice et à leur cupidité, qu'il attribuait la colère de Dieu qui avait décidé d'en finir avec le monde. Il ne s'était jamais arrêté pour se reposer dans une maison de planteur, et le peu de fois qu'il avait rencontré un colonel, il lui avait jeté au visage les plus violentes imprécations, l'exhortant à rendre leurs terres aux colons spoliés, à rembourser aux ouvriers ce qui leur avait été extorqué dans les comptes des magasins. Et plus d'un avait fui sa présence, impressionné par la silhouette de ce vieillard sur son bâton, la barbe flottant au vent, des oiseaux gazouillant sur l'épaule, des serpents venimeux sur ses traces.





   Lorsqu'il avait fait son apparition, il était seul, et il parlait même lorsque personne ne pouvait l'entendre comme si les arbustes épineux de la Caatinga, les lézards et les serpents, les urubus affamés pouvaient comprendre son langage. Mais bientôt, portée de bouche en bouche, sa parole s'était répandue, et les pèlerins commençaient à affluer, à se grouper autour de lui, à le suivre dans son cheminement. Ils n'avaient rien à perdre, ou fort peu, lorsqu'ils lâchaient la hache ou la pioche, lorsqu'ils fuyaient les fazendas pour chercher dans les yeux bleus du saint l'ombre d'une espérance. Quoiqu'il annonçât des événements terrifiants, les paysans se sentaient réconfortés par sa présence, par la chaleur de sa voix, sous la protection quotidienne de sa bénédiction.

   La première de ses pénitentes fut une veuve, qui amena ses cinq petits enfants. Mais le jour même arrivèrent des hommes, et ils le suivirent. Il marchait toujours, s'arrêtant seulement le dimanche, lorsqu'il organisait des processions et couvrait ses cheveux blancs de la cendre qui restait dans les brasiers. II se dirigeait vers la mer, où se trouvaient des grandes villes, où roulaient des trains, et d'où partaient les navires que les paysans n'avaient jamais vus, et dont ils aimaient à imaginer la forme, la dimension et les couleurs, pendant les nuits monotones des plantations.

   Au début, ils étaient peu nombreux. Mais, sur son passage, les hommes abandonnaient tout, chaussaient les espadrilles, mettaient le chapeau de cuir. Et ils s'attachaient à ses pas, ils voulaient entendre une fois de plus ces paroles contre la cruauté des colonels, contre les vols de terrains, contre les salaires de famine. Tous les soirs, le beato prêchait, les hommes eux aussi ouvraient leur cœur, ils lui racontaient leurs histoires douloureuses, recevaient son apaisante bénédiction. Et ils s'unissaient autour de lui pour s'occuper de sa nourriture, pour allumer les feux le dimanche soir, pour dormir à ses cotés sur les routes et dans les clairières. Et ainsi, ils venaient, ils traversaient le sertao, leur nombre augmentait toujours, paysans qui abandonnaient leur travail, comme il le conseillait, pour faire pénitence, malades de toutes les maladies, aussi, qui venaient en quête de la santé, que le beato accordait avec sa bénédiction.




Antônio Francisco Lisboa, plus connu sous le surnom de Aleijadinho  (1730 ou 1738-1814) :
CAPELAS DOS PASSOS (Caminho de Jesus ao Calvário). Imagens esculpidas em cedro rosa entre 1796 a 1799 pelo Aleijadinho e por seu ateliê com policromia de Manoel da Costa Ataíde e Francisco Xavier Carneiro.


   Et d'un bout à l'autre du sertao, dans cet immense pays à l'immense misère et aux richesses immenses, sur tous les chemins de la fièvre et de la faim, courut le nom du beato Estevao ; et, de toutes les extrémités du pays, des pèlerins partaient à sa recherche. Des bandits et des guitaristes aveugles, des sbires aux nombreux crimes sur la conscience, des paysans à qui on avait ravi le champ qu'ils labouraient, des journaliers endettés dans les magasins, des vieux et des jeunes, des femmes avec des enfants, et des jeunettes qui n'avaient pas encore connu d'hommes, des tuberculeux et des paludéens, des lépreux et des fous. Ils vinrent tous emplissant les chemins, volant pour manger, marchant de jour et de nuit, cherchant les traces du saint. Lui seul guérissait et consolait. Et le beato continuait sans se soucier du nombre de pèlerins qui le suivaient disant ses prières, diffusant ses prophéties. Mais pour chacun, il avait une parole différente, pour chaque histoire une solution qui calmait comme un baume sur une blessure.

   Plus rapide que lui-même, son nom le devançait, parvenait dans les villes, paraissait dans les journaux. Les colonels s'agitaient, des journaliers délaissaient 1es récoltes ; des colons se rebellaient, des prêtres s'insurgeaient contre lui, car il représentait la menace d'une secte superstitieuse qui pouvait ébranler le prestige de l'Église. Le saint avançait, indifférent, il ne savait même pas que sa personne provoquait tant de discussions. Les oiseaux venaient se poser sur son épaule ; les guitaristes chantaient en son honneur, les femmes baisaient le bas de sa robe, et les serpents s'enroulaient autour de son bras maigre, se nichaient sur sa poitrine concave. Tout cela se passait dans le sertao, où la faim fait naître des bandits et des saints.



 Ancien Cangaceiros (Moreno et Durvinha) comme produit de consommation soldé........
dans la presse brésilienne...

[…]
   Les journaliers lâchaient leurs instruments de travail, quand les propriétaires protestaient, ils disaient que le monde allait finir, cela ne servait à rien de s'échiner dans les champs pour gagner des salaires de famine. Ils abandonnaient les bêches, s'enfuyait la nuit à la recherche d'Estevao ; ils n'avaient plus à l'égard des colonels leur respect coutumier ; ils savaient ce que disait Estevao sur eux dans ses sermons. Ils étaient tous condamnés, pas un seul ne serait sauvé. Dans les églises des villages, les baptêmes diminuaient, les couples ne venaient plus le samedi pour les mariages sans solennité. Car le saint lui aussi baptisait et mariait, mais il ne demandait rien, c'était gratuit. Les journaux de la capitale publiaient des articles disant que le beato incitait les hommes du sertao au désordre, que les récoltes de cette année étaient en danger, faute de bras, que les principes les plus sains de la civilisation chrétienne, que les sacerdoces introduisaient dans la caatinga avec tant de sacrifices et d'abnégation, étaient en péril, allaient être submergés par cette vague de superstition qui se propageait si rapidement dans tout le sertao du nordeste. Il s'avérait nécessaire et urgent que les autorités prissent des mesures énergiques. Les journaux du gouvernement, comme ceux de l'opposition, s'unissaient contre le beato, et bien qu'un reporter eût publié des photos et des commentaires exploitant ce qu'il y avait de pittoresque dans la figure du prophète et dans ses rites, les directeurs, dans les articles de fond, affirmaient que le moment était venu de mettre Estevao dans un hospice ; de ramener les campagnards dans les plantations abandonnées, et de les obliger à travailler. Sinon l'agriculture subirait un immense préjudice cette année, car la sécheresse avait déjà anéanti une partie des récoltes. Les habitants du sertao ne lisaient pas les journaux, ils ne savaient ni lire ni écrire en général, mais ils écoutaient les paroles du saint, et comme ils étaient désespérés, ils continuaient, toujours en plus grand nombre, à lâcher leurs faux et leurs pioches, leurs haches et leurs bêches, ils ne gardaient que leur couteau, car c'était la seule arme qu'ils possédaient. Et ils erraient dans la brousse, à la recherche des traces d,'Estevao, ils ne voulaient pas que le monde s'achevât sans qu'ils eussent reçu sa bénédiction.

   Estevao campa à quelques lieues de Juazeiro, dans la caatinga, loin des routes. Il y avait là des puits, les paysans s'attaquèrent aux arbustes avec leurs couteaux et improvisèrent des cabanes. Il semblait que le beato pensait demeurer là, mais personne ne connaissait ses projets, pas même Zèfa, qui était aussi une sainte. Allait-il descendre sur la ville, attaquer un train et prendre la direction de la capitale ? Allait-il rester toujours, accueillant les pèlerins, accomplissant miracles, guérissant des malades? S'il en était ainsi une ville ne tarderait pas à s'élever dans ces bois. Ni vers Bon Jésus de Lapa, ni vers le Juazeiro du Cearâ, où pontifiait le Père Cicéro, on ne voyait cheminer autant de gens, sur les sentiers de la caatinga. Allait-il retourner sur ses pas et s'enfoncer une fois de plus dans la brousse ? Le plus probable était qu'il voulait attendre en ce lieu l'heure qu'il annonçait, l'heure de la fin du monde. Il disait qu'il existait un endroit où Dieu descendrait pour le jugement dernier. Certainement, c'était celui-là, avec ses sept sources. Estevao s'était arrêté devant chacune d'elles, accompagné de Zèfa, il avait béni leurs eaux afin qu'elles ne se desséchassent point.



 Em outras duas fotos seqüenciais, vejo o bando de Corisco, armado até os dentes em evidente pose. Apenas a cadela não posa. Sua naturalidade, para quem está em primeiro plano, contrasta com o da fileira quase militar das pessoas ao fundo. Na primeira foto, ela olha para a câmara com seu corpo branco manchado de negro como negra é a máscara que possui ao redor dos olhos. Na segunda, olha para o bando como se a presença do fotógrafo, tão ilustre naquela região desolada espinhenta, não tivesse tanta importância quanto a dos “seus”.
Em mais uma fotografia, Corisco apresentase em posição clássica de sentido ao lado da mesma cadela. Esse homem cuja única linguagem parece ser a da violência, tem sua inscrição na história amenizada pelo amor dessa cachorra por seu relampejante ser-humano-corisco. Ela o tem como o chefe do bando, e ele, curiosamente ao ser o local tão árido, a chama de Jardineira.


   Ce fut là que le détachement de la police vint le trouver. Les caravanes de paysans se succédaient Certains jours, il en arrivait plus de cent à la fois, et il leur fallait se procurer de la nourriture par n'importe quel moyen. Par ordre des propriétaires des plantations, les magasins ne leur vendaient pas de marchandise. Leur seule ressource était de voler, de tuer de bœufs dans la campagne, de les dépecer sur place, d'apporter des quartiers de viande au campement. Des pèlerins se spécialisaient dans ces coups de main, les demandes de répression se multipliaient. La police arriva enfin, quatre-vingts hommes bien armés. Le capitaine étudia la situation, conclut que, s'il arrivait à les cerner, ils seraient obligés de se rendre, faute de nourriture. Cela n'était qu'un jeu d'enfants.

   Mais les premiers incidents se produisirent avec les pèlerins qui arrivaient. Ils voulaient passer, ils y venaient de loin en quête de la bénédiction rédemptrice du saint. La police bloquait une partie de le route, les pèlerins insistaient, de courtes luttes s'engageaient, des paysans tombaient, morts ou blessés. Et les hommes d'Estevao continuaient à sortir la nuit pour aller voler. Ils n'attaquaient jamais les soldats, mais, lorsqu'ils étaient attaqués, ils se défendaient avec courage, il y avait déjà eu des pertes dans la police.



Facão curto de Lampião : Gavião guarnecido por cachorro, 1938.
Coleção privada. In Estrelas de Couro - A estética do cangaço pág. 134.



   Pendant un certain temps, Estevao ne sembla pas se soucier de la force militaire qui l'investissait. Mais lorsque les morts se multiplièrent et que le piège se resserra, il s'aperçut que les soldats tuaient de plus en plus fréquemment les paysans sans défense. Ce fut lui qui ordonna à Cirilo de chercher Lucas Arvoredo. Ces soldats étaient envoyés par les riches sans salut possible, qui ne voulaient pas que fût entendue sa parole, ordonnant aux hommes de se repentir. Ce n'était pas un péché de lutter contre eux. Mais qui pourrait le faire, sinon Lucas Arvoredo, le cangaceiro ?

    Le piège se resserrait et Cirilo ne ramenait toujours pas Lucas. Les pèlerins partaient très loin à leur recherche pour leur indiquer le chemin. Ne se seraient-ils pas égarés dans les détours de la caatinga, dans l'enchevêtrement des épines ? Mais personne ne connaissait les secrets de la caatinga comme Lucas Arvoredo. Il viendrait certainement par les sentiers ; avant que la police ne s'en rende compte, il serait là...
   La nuit, des pèlerins forçaient le cercle, venaient embrasser la robe du saint. Ils venaient de cinq États différents ; ils avaient marché des lieues et des lieues, la police ne pouvait pas les empêcher de recevoir la bénédiction d'Estevao. Ils laissaient leurs femmes et leurs enfants de l'autre côté, ils rampaient dans les fourrés, ils atteignaient le camp du beato. Et ils ne repartaient plus, car il fallait défendre Estevao, et ils avaient leur couteau et leur pistolet, ce n'était pas un péché de tirer sur les soldats. Le monde allait finir ; qu'importait la mort ?



 Á esquerda. novamente "Nenêm", ao centro "Luís Pedro"


   Chaque jour il devenait plus difficile de gagner la campagne. Les soldats avançaient toutes les nuits de quelques mètres. Pour passer entre les patrouilles, pénétrer dans les fazendas, rapporter les bœufs abattus, les chèvres tuées, les quartiers de viande séchée, la ruse et l'habileté, un pas de chat, la légèreté de l'once étaient indispensables. Quelques-uns y restaient, avec une balle dans la poitrine. Mais la nourriture des pèlerins ne manquait pas dans le camp du beato Estevao.

Jorge Amado (1912-2001) ; Seara vermelha, roman, 1946 : Les Chemins de la faim, trad. par Violante do Canto, Les Éditeurs français réunis, Paris, 1951, 383 p.




 Xamego de cangaceiro ; Oeuvre de Marcos Oliveira


(À suivre...)

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