dimanche 8 juillet 2012

De la néfasterie du spirituel sur l'éducation des jeunes gens...



Chapitre XI

De leur mariage et concubinage.


Première cérémonie de leur mariage. Gardent trois degrés de consanguinité.


Nous lisons que César louait grandement les Allemands d'avoir eu en leur ancienne vie sauvage telle continence qu'ils réputaient chose très vilaine à un jeune homme d'avoir eu la compagnie d'une femme ou fille avant l'âge de vingt ans. Au contraire des garçons et jeunes hommes de Canada, et particulièrement du pays de nos Hurons, lesquels ont licence de s'adonner au mal sitôt qu'ils peuvent, et les jeunes filles de se prostituer sitôt qu'elles en sont capables, voire même les pères et mères sont souvent maquereaux de leurs propres filles, bien que je puisse dire, avec vérité, n'y avoir jamais vu donner un seul baiser ou faire aucun geste ou regard impudique ; et pour cette raison j'ose affirmer qu'ils sont moins sujets à ce vice que par deçà, dont on peut attribuer la cause, en partie à leur nudité, et principalement de la tête, en partie au défaut des épices, du vin, et en partie à l'usage ordinaire qu'ils ont du pétun, la fumée duquel étourdit les sens et monte au cerveau.






Supplice des Jésuites Jean de Brébeuf et Gabriel Lallemant par les Iroquois en 1649 -
 in François Du Creux, Historiae canadensis, sev Novae-Franciae libri decem, ad annum vsque Christi - MDCLVI...

Plusieurs jeunes hommes, au lieu de se marier, tiennent et ont souvent des filles à pot et à feu qu'ils appellent, non femmes aténonha, parce que la cérémonie du mariage n'en a point été faite, mais asqua, c'est-à-dire compagne ou plutôt concubine, et ils vivent ensemble aussi longtemps qu'il leur plaît, sans que cela empêche le jeune homme ou la fille d'aller voir parfois leurs autres amis ou amies librement et sans crainte de reproche ni blâme, telle étant la coutume du pays.

Mais leur première cérémonie du mariage est que quand un jeune homme veut avoir une fille en mariage, il faut qu'il la demande à ses père et mère, sans le consentement desquels la fille n'est point à lui (bien que le plus souvent la fille ne prend point leur consentement et avis, sinon les plus sages et mieux avisées). Cet amoureux voulant faire l'amour à sa maîtresse et acquérir ses bonnes grâces, se peinturera le visage et s'accommodera des plus beaux matachias qu'il pourra avoir, pour sembler plus beau, puis présentera à la fille quelque collier, bracelet ou oreillette de porcelaine : si la fille a ce serviteur agréable, elle reçoit ce présent ; cela fait, cet amoureux viendra coucher avec elle trois ou quatre nuits, et jusque-là il n'y a encore point de mariage parfait, ni de promesse donnée, parce qu'après ce dormir il arrive assez souvent que l'amitié ne continue point et que la fille, qui, pour obéir à son père, a souffert ce passe-droit, n'affectionne pas pour cela ce serviteur, et il faut par après qu'il se retire sans passer outre, comme il arriva de notre temps à un sauvage, envers la seconde fille du grand capitaine de Quieunonascaran, comme le père de la fille même s'en plaignait à nous, voyant l'obstination de sa fille à ne pouvoir passer outre à la dernière cérémonie du mariage, pour n'avoir pas ce serviteur agréable.



Samuel de Champlain, Deffaite des Yroquois au Lac de Champlain, in Les voyages du sieur de Champlain Xaintongeois,
capitaine ordinaire pour le Roy, en la marine [...] ; Paris, Jean Berjon, 1613



Les parties étant d'accord et le consentement des père et mère étant donné, on procède à la seconde cérémonie du mariage en cette manière. On dresse un festin de chien, d'ours, d'élan, de poisson ou d'autres viandes qui leur sont accommodées, auquel tous les parents et amis des accordés sont invités. Tout le monde étant assemblé et chacun en son rang assis sur son séant, tout à l'entour de la cabane, le père de la fille, ou le maître de la cérémonie, à ce député, dit et prononce hautement et intelligiblement devant toute l'assemblée que tel et tel se marient ensemble et qu'à cette occasion a été faite cette assemblée et ce festin d'ours, de chien, de poisson, etc. pour la réjouissance d'un chacun et la perfection d'un si digne ouvrage. Le tout étant approuvé et la chaudière nette, chacun se retire, puis toutes les femmes et filles portent à la nouvelle mariée, chacune un fardeau de bois pour sa provision, si elle est en saison qu'elle ne le peut faire commodément elle-même.


Casse-tête iroquois



Or il faut remarquer qu'ils gardent trois degrés de consanguinité, dans lesquels ils n'ont point accoutumé de faire mariage : à savoir du fils avec sa mère, du père avec sa fille, du frère avec sa sœur et du cousin avec sa cousine, comme je reconnus apertement un jour que je montrai une fille à un sauvage et lui demandai si c'était là sa femme ou sa concubine : il me répondit que non et qu'elle était sa cousine et qu'ils n'avaient pas accoutumé de dormir avec leurs cousines ; hors cela toutes choses sont permises. De douaire il ne s'en parle point : aussi quand il arrive quelque divorce, le mari n'est tenu de rien.

Aquarelle de Hugo Pratt


Pour la vertu et les richesses principales que les père et mère désirent de celui qui recherche leur fille en mariage il faut, non seulement qu'il ait un bel entregent et soit bien matachié et enjolivé, mais outre cela qu'il se montre vaillant à la chasse, à la guerre et à la pêche et qu'il sache faire quelque chose, comme l'exemple suivant le montre.


Chef cri, fers aux pieds, qui avait participé à la Rébellion du Nord-Ouest de 1885,
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885...


Un sauvage faisait l'amour à une fille, laquelle ne pouvant avoir du gré et consentement du père, il la ravit et la prit pour femme. Là-dessus grande querelle et enfin la fille lui est enlevée et retourne avec son père ; et la raison pourquoi le père ne voulait que ce sauvage eût sa fille était qu'il ne la voulait point bailler à un homme qui n'eût quelque industrie pour la nourrir, elle et les enfants qui proviendraient de ce mariage. Que quant à lui il ne voyait point qu'il sût rien faire, qu'il s'amusait à la cuisine des Français et ne s'exerçait point à chasser ; le garçon pour donner preuve de ce qu'il savait par effet, ne pouvant autrement ravoir la fille, va à la chasse (du poisson) et en prend quantité, et après cette vaillantise, la fille lui est rendue et il la reconduit en sa cabane et ils firent bon ménage ensemble, comme ils avaient fait par le passé.




Chef cri, fers aux pieds, qui avait participé à la Rébellion du Nord-Ouest de 1885,
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885 [Gros Ours]


Que si par succession de temps il leur prend envie de se séparer pour quelque sujet que ce soit ou qu'ils n'aient point d'enfants, ils se quittent librement, le mari se contentant de dire à ses parents et à elle qu'elle ne vaut rien et qu'elle se pourvoie ailleurs ; et dès lors elle vit en commun avec les autres, jusqu'à ce que quelque autre la recherche ; et non seulement les hommes procurent ce divorce, quand les femmes leur en ont donné quelque sujet, mais aussi les femmes quittent facilement leurs maris quand ils ne leur agréent point : d'où il arrive souvent que telle passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de douze ou quinze maris, tous lesquels ne sont pas néanmoins seuls en la jouissance de la femmes, quelques mariés qu'ils soient, car la nuit venue les jeunes femmes et filles courent d'une cabane à l'autre, comme font, en cas pareil, les jeunes hommes de leur côté, qui en prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutefois, remettant le tout à la volonté de la femme. Le mari fera le semblable à sa voisine, et la femme à son voisin ; aucune jalousie ne se mêle entre eux pour cela, et ils n'en reçoivent aucune honte, infamie ou déshonneur.




Portraits de production commerciale, format carte de visite, d'autochtone de la Colombie-Britannique,1860


Mais lorsqu'ils ont des enfants procréés de leur mariage, ils se séparent et quittent rarement, à moins que ce ne soit pour un grand sujet, et lorsque cela arrive, ils ne laissent pas de se remarier à d'autres, nonobstant leurs enfants, desquels ils sont d'accord à qui les aura, et demeurent d'ordinaire au père, comme j'ai vu à quelques-uns, excepté à une jeune femme, à laquelle le mari laissa un petit fils au maillot, et je ne sais s'il ne l'eût point encore retiré à soi, après être sevré, si leur mariage ne se fût raccommodé, duquel nous fûmes les intercesseurs pour les remettre ensemble et apaiser leur débat, et ils firent à la fin ce que nous leur conseillâmes, qui était de se pardonner l'un l'autre et de continuer à faire bon ménage à l'avenir : ce qu'ils firent.

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"Indians burned by the Inquisition." From Samuel de Champlain, Brief discours, 1598-1601. Manuscript



Une des grandes et plus fâcheuses importunités qu'ils nous donnaient au commencement de notre arrivée en leur pays, était leur continuelle poursuite et prière de nous marier, ou du moins de nous allier avec eux, et ils ne pouvaient comprendre notre manière de vie religieuse ; à la fin ils trouvèrent nos raisons bonnes et ne nous en importunèrent plus, approuvant que nous ne fissions rien contre la volonté de notre bon Père Jésus ; et en ces poursuites les femmes et filles étaient, sans comparaison, pires et plus importunes que les hommes mêmes, qui venaient nous prier pour elles.

Gabriel Sagard  (.../1636)... Le Grand voyage du pays des Hurons, 1632...



The Brave old Hendrick the great sachem or chief of the Mohawk Indians, [London, ca. 1740].


(À suivre...)

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