lundi 26 janvier 2009

Inexprimable amour ...


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Chorus Girls Footlight Parade - 1933




ÉCRIRE. Leurres, débats et impasses auxquels donne lieu le désir d' « exprimer » le sentiment amoureux dans une « création » (notamment d'écriture).






Jean Ackerman





1. Deux mythes puissants nous ont fait croire que l'amour pouvait, devait se sublimer en création esthétique : le mythe socratique (aimer sert à « engendrer une multitude de beaux et magnifiques discours ») et le mythe romantique (je produirai une œuvre immortelle en écrivant ma passion).





Anonyme




Cependant, Werther, qui autrefois dessinait abondamment et bien, ne peut faire le portrait de Charlotte (à peine peut-il crayonner sa silhouette qui est précisément ce qui, d'elle, l'a capturé). « J'ai perdu... la force sacrée, vivifiante, avec quoi je créais autour de moi des mondes. »





Olive Ann Alcorn - 1925


2.



« La pleine lune d'automne,
Tout le long de la nuit
J'ai fait les cent pas autour de l'étang. »

Pas d'indirect plus efficace, pour dire la tristesse, que ce « tout le long de la nuit ». Si j'essayais, moi aussi ?




Olive Ann Alcorn




« Ce matin d'été, beau temps sur le golfe,
Je suis sorti
Cueillir une glycine. »




Jean Ackerman - 1920




ou :

« Ce matin d'été, beau temps sur le golfe,
Je suis resté longtemps à ma table,
Sans rien faire. »




Anonyme



ou encore :

« Ce matin, beau temps sur le golfe,
Je suis resté immobile
A penser à l'absent. »




Anonyme



D'un côté, c'est ne rien dire, de l'autre, c'est dire trop : impossible d'ajuster. Mes envies d'expression oscillent entre le haïku très mat, résumant une énorme situation, et un grand charroi de banalités. Je suis à la fois trop grand et trop faible pour l'écriture : je suis à côté d'elle, qui est toujours serrée, violente, indifférente au moi enfantin qui la sollicite. L'amour a certes partie liée avec mon langage (qui l'entretient), mais il ne peut se loger dans mon écriture.





Dolores Costello



3. Je ne puis m'écrire. Quel est ce moi qui s'écrirait ? Au fur et à mesure qu'il entrerait dans l'écriture, l'écriture le dégonflerait, le rendrait vain ; il se produirait une dégradation progressive, dans laquelle l'image de l'autre serait, elle aussi, peu à peu entraînée (écrire sur quelque chose, c'est le périmer), un dégoût dont la conclusion ne pourrait être que : à quoi bon ? Ce qui bloque l'écriture amoureuse, c'est l'illusion d'expressivité : écrivain, ou me pensant tel, je continue à me tromper sur les effets du langage : je ne sais pas que le mot « souffrance » n'exprime aucune souffrance et que, par conséquent, l'employer, non seulement c'est ne rien communiquer, mais encore, très vite, c'est agacer (sans parler du ridicule). Il faudrait que quelqu'un m'apprenne qu'on ne peut écrire sans faire le deuil de sa « sincérité » (toujours le mythe d'Orphée : ne pas se retourner). Ce que l'écriture demande et que tout amoureux ne peut lui accorder sans déchirement, c'est de sacrifier un peu de son Imaginaire, et d'assurer ainsi à travers sa langue l'assomption d'un peu de réel. Tout ce que je pourrais produire, au mieux, c'est une écriture de l'Imaginaire; et, pour cela, il me faudrait renoncer à l'Imaginaire de l'écriture - me laisser travailler par ma langue, subir les injustices (les injures) qu'elle ne manquera pas d'infliger à la double Image de l'amoureux et de son autre.





Anonyme


Le langage de l'imaginaire ne serait rien d'autre que l'utopie du langage ; langage tout à fait originel, paradisiaque, langage d'Adam, langage « naturel, exempt de déformation ou d'illusion, miroir limpide de nos sens, langage sensuel (die sensualische Sprache) » : « Dans le langage sensuel, tous les esprits conversent entre eux, ils n'ont besoin d'aucun autre langage, car c'est le langage de la nature. »





Anonyme



4. Vouloir écrire l'amour, c'est affronter le gâchis du langage cette région d'affolement où le langage est à la fois trop et trop peu, excessif (par l'expansion illimitée du moi, par la submersion émotive) et pauvre (par les codes sur quoi l'amour le rabat et l'aplatit). Devant la mort de son fils-enfant, pour écrire (ne serait-ce que des lambeaux d'écriture), Mallarmé se soumet à la division parentale :

Mère, pleure
Moi, je pense

Mais la relation amoureuse a fait de moi un sujet atopique, indivis : je suis mon propre enfant : je suis à la fois père et mère (de moi, de l'autre) : comment diviserais-je le travail ?




Anonyme




5. Savoir qu'on n'écrit pas pour l'autre, savoir que ces choses que je vais écrire ne me feront jamais aimer de qui j'aime, savoir que l'écriture ne compense rien, ne sublime rien, qu'elle est précisément là où tu n'es pas - c'est le commencement de l'écriture.





Roland Barthes ; Fragments d'un discours amoureux, 1977






Anonyme

1 commentaire:

null a dit…

Voilà un teint d'albâtre qui ne me laissera pas de marbre...