dimanche 30 novembre 2008

... Des diableries au pays des bondieuseries !!!



"Une sorcière est une fée que l'on a offensée" ...


Katharine Mary Briggs



Edward Reginald Frampton (1872-1923) ; Fairy Land



En Europe, à partir du XIIe siècle, l’Église catholique a initié une chasse aux pratiques magiques (sorcellerie). Cette campagne et les persécutions qui s'ensuivirent, essentiellement tournées vers les femmes, se poursuivront avec des hauts et des bas jusqu’à la fin du XVIIIe siècle (avec un pic entre 1580 et 1630), faisant au total à travers les siècles un nombre considérable de victimes (On estime le nombre de procès à 100 000 et le nombre d'éxécutions à 50 000. La dernière sorcière à être condamnée fut Anna Göldin, en 1782 en Suisse).




Les "Vaudoises" ; Martin Le France : Le champion des dames (1451)






de la Bulle apostolique contre l'hérésie des sorcières, (Innocent VIII, 1484)

Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, en perpétuelle mémoire de la chose : Désirant de tout cœur, comme le requiert la sollicitude de Notre Charge Pastorale, que la foi s'accroisse et s'épanouisse partout et au dessus de tout en notre temps, et que toute perversion hérétique soit expulsée loin des frontières des fidèles, nous manifestons volontiers notre pieux et saint désir et nous accordons de nouveau les moyens de le mettre à exécution. Afin que toutes erreurs ayant été arrachées par l'action de notre ministère comme par la houe d'un ouvrier consciencieux, le zèle de la même foi et de sa pratique régulière soit plus fortement imprimé dans les cœurs des fidèles.

Récemment, en effet, il est parvenu à nos oreilles, non sans nous causer grande peine, que, en certaines régions de la Germanie supérieure tout comme dans les provinces, cités, territoires, districts et diocèses de Mayence, Cologne, Trèves, Salsbourg et Brême, maintes personnes de l'un et l'autre sexe, oublieuses de leur propre salut, et déviant de la foi catholique, se sont livrées elles mêmes aux démons incubes et succubes : par des incantations, des charmes, des conjurations, d'autres infamies superstitieuses et des excès magiques, elles font dépérir, s'étouffer et s'éteindre la progéniture des femmes, les petits des animaux, les moissons de la terre, les raisins des vignes et les fruits des arbres. Aussi bien que les hommes eux mêmes, les femmes, le petit et le gros bétail, et autres animaux de toutes espèces, les vignobles, les vergers, les prairies, les pâturages, les blés, les grains et plantes légumineuses. Elles affligent et torturent les hommes, les femmes, les bêtes de somme, les troupeaux de petit et gros bétail, par des maux et des tourments cruels, internes et externes. Elles empêchent ces mêmes hommes de féconder, ces mêmes femmes de concevoir ; les époux de rendre à leurs épouses et les épouses de rendre à leurs époux les actes conjugaux. Et la foi elle-même, qu'elles ont reçue en recevant le saint baptême, elles la renient d'une bouche sacrilège. Elles ne craignent pas de commettre encore et de perpétrer nombre d'autres crimes et excès infâmes, à l'instigation de l'ennemi du genre humain, pour la mise en péril de leurs âmes, l'offense de la majesté divine et le scandale d'un exemple pernicieux pour beaucoup.

Bien que nos chers fils - Henry Institoris et Jacques Sprenger -, de l'Ordre des Prêcheurs et professeurs de théologie, aient été déjà et demeurent délégués par lettre apostolique comme Inquisiteurs de la perversion hérétique - Henry pour la région susdite de la Germanie supérieure où se trouvent les provinces, cités, districts, diocèses et autres localités ci-dessus mentionnés ; Jacques pour certains territoires de la rive du Rhin - :

cependant plus d'un clerc et d'un laïc de ces régions, cherchant à en savoir plus qu'il ne faut, arguant de ce que dans nos lettres de délégation ni les provinces, cités, diocèses, districts et autres localités : ni les délégués eux-mêmes ni les excès visés n'étaient nommément indiqués et spécifiés, (ils) ne rougissent pas d'affirmer obstinément que pareils excès n'existent pas dans leurs régions et donc qu'il n'est pas licite à nos délégués de remplir le ministère d'Inquisition dans les provinces, cités, diocèses, districts et autres localités, et qu'ils ne doivent pas être autorisés à punir, incarcérer et corriger les personnes en cause pour les excès et crimes susdits. Et c'est pourquoi dans ces provinces, cités, diocèses, districts et localités, les excès et crimes de ce genre demeurent impunis, non sans danger évident pour les âmes et risque de leur éternelle perdition.
Nous donc, désirant comme il incombe à Notre Charge écarter du milieu (du chemin) tous les obstacles quels qu'ils soient qui pourraient retarder de quelque manière l'exercice de la charge des Inquisiteurs eux-mêmes et pourvoir par les remèdes opportuns à ce que la souillure de la perversion hérétique et autres excès de ce genre ne diffusent pas leur venin pour la perte des autres innocents : le zèle de la foi nous y poussant au plus haut point, afin de ne pas voir les provinces, cités, diocèses, districts et localités susdits de la région de Germanie supérieure manquer du nécessaire ministère de l'Inquisition : en vertu de Notre Autorité Apostolique, par les présentes (lettres), nous établissons qu'il est licite aux mêmes Inquisiteurs d'exercer le ministère de l'Inquisition et qu'il faut les admettre pour la correction, l'incarcération, la punition des personnes inculpées des excès et crimes susdits ; exactement en tout et partout comme si dans nos lettres précitées les provinces, cités, diocèses, districts et localités, ainsi que personnes et excès de cette espèce avaient été nommément spécifiés. Et pour une sécurité plus grande, nous étendons les lettres susdites et la délégation des Inquisiteurs sus-nommés aux provinces, cités, diocèses, localités, personnes et crimes ci-dessus mentionnés ; de manière que tous deux ou l'un d'entre eux, s'étant adjoint notre bien-aimé fils Jean Gremper- clerc du diocèse de Constance, maître-ès-arts modernes, ou tout autre notaire public mandaté par tous les deux ou l'un d'entre eux pour un temps, ils exercent leur ministère d'Inquisition dans les provinces, cités, diocèses, districts et localités susdits, contre toutes personnes de quelque condition et de quelque état que ce soit ; et que ces personnes reconnues coupables des crimes de ce genre, selon leurs démérites ils les corrigent, incarcèrent, punissent et châtient.

De plus, de par la même Autorité, nous leur concédons la faculté entière et libre, de proposer et de prêcher la Parole de Dieu au peuple fidèle dans toutes les églises paroissiales de ces provinces, autant de fois qu'il sera opportun et qu'il leur semblera bon, comme d'accomplir librement et licitement aux mêmes endroits et d'exécuter toutes autres choses et chacune qui en ce domaine leur sembleraient nécessaires et opportunes.

Néanmoins, à notre vénérable frère l'évêque de Strasbourg, par Lettre Apostolique, nous donnons mandat de faire lui-même, par lui-même, par un autre ou par d'autres, la promulgation solennelle de ces décisions, où, quand, et autant de fois qu'il le jugera opportun et qu'il en sera légitimement prié par les deux Inquisiteurs ou l'un d'entre eux. Et qu'il ne permette pas, à qui que ce soit et quelle que soit son autorité, contre la teneur des présentes lettres et des précédentes, de les attaquer à ce sujet ou de leur faire obstacle, de quelque façon que ce soit. Et pour ce faire, leurs persécuteurs, opposants, contradicteurs quels qu'ils soient et rebelles de tout ordre, état, position, primauté, dignité, condition, de quelque privilège d'exemption qu'ils soient munis : qu'il les accable par des condamnations, censures et peines d'excommunication, suspense et interdit ou autres plus redoutables (dont il est juge), tout droit d'appel leur ayant été enlevé. Et même qu'il prenne soin, dans les procès justement menés par lui en ce domaine, autant que ce sera nécessaire, de par Notre Autorité Suprême, d'aggraver et aggraver encore les justes condamnations, en appelant si besoin est au secours du bras séculier.

Nonobstant tous précédents, constitutions et ordinations apostoliques contraires... Que personne... Et si quelqu'un osait le faire, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'il sache que sur lui tombera le châtiment du Dieu tout puissant et des saints apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome près saint Pierre, l'année quatorze cent quatre-vingt-quatre de l'Incarnation du Seigneur, le cinq décembre, de notre pontificat la première.



Gravure anonyme, 1909






Hans Franck (1485-1522) ; Sorcières




Le Malleus Maleficarum (« Marteau des sorcières »), de Heinrich Kramer (alias Henri Institoris) et Jacques Sprenger, publié en 1486, est le traité qu'utilisaient les inquisiteurs pour identifier, confondre et persécuter les sorcières, ou plus précisément les femmes qu'il leur plaisait d'appeler ainsi.
Il s’agit pour la majeure partie du texte d’une codification de croyances préexistantes, souvent tirées de textes plus anciens comme le Directorium Inquisitorum de Nicolas Eymerich (1376), et le Formicarius de Johannes Nider (1435). L'invention de Gutenberg permit de diffuser le manuel à grande échelle pour l'époque. L'ouvrage fut réédité de nombreuses fois, et largement utilisé en Europe occidentale malgré son interdiction par l'Église catholique peu après sa publication, en 1490 car il est en contradiction avec l'enseignement catholique en matière de démonologie (par exemple, le pouvoir des démons de causer des catastrophes naturelles par exemple, idée déclarée fausse au premier concile de Braga vers 561 dans son canon 8).
La première partie du livre traite de la nature de la sorcellerie. Une bonne partie de cette section explique pourquoi les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. Le titre même du livre présente le mot maleficarum (avec la voyelle de la terminaison au féminin) et les auteurs déclarent (de façon erronée) que le mot femina (femme) dérive de fe + minus (foi mineure). Le manuel soutient que certains des actes confessés par les sorcières, comme par exemple le fait de se transformer en animaux ou en monstres, ne sont qu’illusions suscitées par le Diable, tandis que d’autres actions, comme par exemple la possibilité de voler au sabbat, de provoquer des tempêtes ou de détruire les récoltes sont réellement possibles. Les auteurs insistent en outre de façon morbide sur l’aspect licencieux des rapports sexuels que les sorcières auraient avec les démons.
La seconde et dernière partie explique comment procéder à la capture, instruire le procès, organiser la détention et l’élimination des sorcières. Cette partie traite aussi de la confiance qu’on peut accorder ou non aux déclarations des témoins, dont les accusations sont souvent proférées par envie ou désir de vengeance ; les auteurs affirment toutefois que les indiscrétions et la rumeur publique sont suffisants à conduire une personne devant les tribunaux et qu’une défense trop véhémente d’un avocat prouve que celui-ci est ensorcelé. Le manuel donne des indications sur la manière d’éviter aux autorités d’être sujettes à la sorcellerie et rassurent le lecteur sur le fait que les juges, en tant que représentants de Dieu, sont immunisés contre le pouvoir des sorcières. Une grande partie est dédiée à l’illustration des techniques d’extorsion des confessions et à la pratique de la torture durant les interrogatoires : il est en particulier recommandé d’utiliser le fer rougi au feu pour le rasage du corps en son entier des accusées, afin de trouver la fameuse « marque du Diable », qui prouverait leur culpabilité. ...






John William Waterhouse ; Le cercle magique, 1886







Daniel Hopfer (v.1470-1536) ; Trois vieilles femmes faisant mordre la poussière à un démon




Où l'on considère l'énormité (des crimes) des sorcières

Dans la question sur l'énormité de ces crimes, on se demande s'ils dépassent tous les autres fléaux que Dieu permet aujourd'hui et qu'il a permis depuis l'origine du monde, en matière de faute, de peine, de dam. Et il semble que non, surtout quant à la faute : Le péché en effet que quelqu'un commet, alors qu'il aurait pu facilement l'éviter, dépasse le péché qu'un autre commet alors qu'il ne pouvait pas facilement l'éviter. La chose est claire, Augustin disant dans le livre de la Cité de Dieu : Grande est l'iniquité du péché, là où est si grande la facilité de ne pas pécher. Or Adam et les autres, qui ont péché quand ils étaient dans l'état de perfection ou même de grâce, ceux-là pouvaient éviter le péché, surtout Adam, qui fut créé dans la grâce. Davantage que beaucoup de sorcières qui n'ont pas reçu de dons de ce genre. Donc leurs péchés à ceux-là dépassent les crimes des sorcières. Et quant a la peine : plus grande peine est due à plus grande faute. Or le péché d'Adam eut la punition la plus grave, puisqu'on retrouve sa peine avec sa faute dans toute sa postérité par la transmission du péché originel. Donc son péché est plus grave que tous les autres. Enfin quant au dam : D'après Augustin en effet, une chose est mauvaise parce qu'elle prive d'un bien. Donc là où on est privé de plus de bien, là il y a au départ une faute plus grave. Or le péché du premier père nous a valu un plus grand dommage, en nature et en grâce, nous privant de l'innocence et de l'immortalité : nul en effet des péchés subséquents ne nous a apporté pareille perte. Donc...

Pourtant en sens contraire : Ce qui renferme davantage d'aspects de mal est davantage le mal. Or les péchés des sorcières sont de ce genre ; car elles peuvent causer tous les maux dans les biens de nature et de forme (grâce) avec la permission de Dieu, comme on le déduit de la Bulle papale. De plus : Adam pécha seulement en faisant le mal qui l'est sous un seul aspect : parce qu'il est interdit, mais sans être mal en soi. Les sorcières par contre et les autres criminels pèchent en faisant un mal qui l'est sous les deux aspects, et en soi et par son interdiction, comme sont les homicides et autres choses interdites. Donc leurs péchés sont plus graves que les autres. De plus, le péché qui se fait avec une malice certaine (lucide) est plus grave que le péché par ignorance. Or les sorcières méprisent la foi et les sacrements de la foi avec grande malice comme plusieurs l'ont souvent avoué. D'où la réponse : Ainsi qu'on l'a dit au début de cette question, les crimes perpétrés par les sorcières modernes surpassent tous les autres maux que Dieu a jamais permis, quant à ce qui est des péchés dans l'ordre de la perversité morale (même s'il en va autrement des péchés contraires aux autres vertus - théologales). On le prouve de trois manières : Premièrement en général, comparant leurs œuvres à tous les autres fléaux du monde. Deuxièmement en particulier, en comparant avec toutes autres sortes de superstitions, basées sur n'importe quel pacte avec le démon (Question XVI). Troisièmement en les comparant aux péchés des mauvais anges et des premiers parents (Question XVII).

Premièrement, triple est le mal : de faute, de peine et de dam ; car triple est le bien auquel il s'oppose ; l'honnêteté, le délectable et l'utile.

La faute s'oppose à l'honnêteté, la peine au délectable, le dam à l'utile. or que la faute des sorcières surpasse tous autres péchés, on le montre comme ceci : en effet, selon la doctrine de saint Thomas, dans le péché beaucoup de choses doivent être considérées, d'où peut découler la gravité ou la légèreté d'un péché. D'où il arrive que le même péché se trouve être grave sous un aspect et léger sous un, autre. Ainsi on peut dire : dans la fornication le jeune homme pèche, mais le vieillard perd la tête. Pourtant pris absolument, ces péchés sont plus graves qui n'ont pas seulement des circonstances plus vastes et plus lourdes, mais sont d'une espèce plus grave par essence. Or nous pouvons dire que le péché d'Adam est plus grave que tous les autres quant à certaines circonstances : il tomba en effet poussé par une tentation plus petite, la seule tentation intérieure ; et puis il aurait pu résister plus facilement à cause de la justice originelle dans laquelle il avait été créé. Et pourtant sous le rapport de l'espèce et de la quantité du péché, et d'autres circonstances aggravantes comme le fait que des péchés plus graves en découlent, Les péchés des sorcières l'emportent sur tous les autres. De plus on le déduit plus clairement encore de deux choses : Un péché est dit plus grand qu'un autre, soit pour sa portée causale comme le péché de Lucifer, soit pour sa portée générale comme le péché d'Adam, soit pour son horreur comme le péché de Judas, soit pour sa difficulté de rémission comme le péché contre le Saint-Esprit, soit pour son danger comme le péché d'ignorance, soit pour son inséparabilité avec d'autres comme le péché de cupidité, soit pour son inclination (au mal) comme le péché de chair, soit pour son offense de la majesté divine comme le péché d'idolâtrie et d'infidélité, soit pour sa difficulté d'élimination comme l'orgueil, soit pour la cécité de l'esprit comme la colère. Or, après le péché de Lucifer, le péché des sorcières surpasse tous les autres, tant par son horreur puisqu'elles renient le Crucifié, que par son (poids) d'inclination puisqu'elles se livrent aux souillures de la chair avec les démons, et par l'aveuglement de l'esprit manifesté en s'adonnant à des orgies de toute la malice de leur cœur, au détriment des âmes et des corps des hommes et des bêtes, comme on l'a vu plus haut. Et puis le nom même prouve (cette énormité), Isidore appelant « maléficiers» ces sorciers à cause de la grandeur de leurs crimes. Nous déduisons aussi (cette gravité plus haute) de ceci : Il y a deux choses dans le péché, qui sont aversion et conversion. Selon le mot d'Augustin : le péché, c'est sur la base d'un mépris du bien qui ne change pas l'adhésion aux choses qui changent. L'aversion de Dieu est comme l'élément formel ; la conversion est comme l'élément matériel. D'où un péché est d'autant plus grave que par lui l'homme est davantage séparé de Dieu. Or puisque c'est par l'infidélité que l'homme est le plus éloigné de Dieu ; le maléfice par infidélité s'impose comme plus grand que tous les péchés. On l'exprime par le nom d'hérésie qui est aussi apostasie (trahison) de la foi et qui fait de toute leur vie un péché.

Sur le premier point, l'infidélité : Ce péché consiste dans le reniement de la foi. Ce qui peut se faire de deux manières : soit que l'on dise non à la foi non encore reçue, soit (qu'on le dise) à la foi déjà reçue. Dans le premier cas, c'est l'infidélité des païens et des gentils ; dans le second cas, ou bien on dit non à la foi chrétienne reçue en figure, et c'est l'infidélité des juifs ; ou bien on dit non à la manifestation actuelle de la vérité, et c'est l'infidélité des hérétiques. Mais il ressort de là que l'hérésie des sorcières est la plus grave parmi les trois espèces d'infidélité, comme on le prouve par la raison et par l'autorité : Il est dit d'abord dans une lettre de Pierre : Mieux vaudrait pour eux n'avoir pas connu la voie de la Justice que de s'en détourner après l'avoir connue. (En raison) celui-là pèche plus gravement qui n'accomplit pas ce qu'il a promis, que celui qui n'accomplit pas ce qu'il n'a jamais promis. D'où des hérétiques, qui professent la foi de l'Evangile et cependant se rebellent contre elle et la corrompent, pèchent plus gravement que les juifs et les païens. Et alors à leur tour, les juifs péchèrent plus gravement que les païens : ils reçurent en effet la figure de la foi chrétienne dans l'ancienne Loi, qu'ils corrompent en l'interprétant mal, ce que ne font pas les païens. D'où leur infidélité à eux aussi est péché plus grave que l'infidélité des gentils qui jamais ne reçurent la foi de l'Evangile.

Sur le second point, l'apostasie : Selon saint Thomas l'apostasie est une certaine façon de se retirer de Dieu (et de la religion), qui se fait selon les diverses manières dont l'homme tente de s'unir à Dieu : soit par la foi, soit par l'humble volonté de lui obéir, soit par les vœux de religion soit dans la cléricature. Selon ce que disent Raymond et (Henry) Hostiensis : l'apostasie est une sortie téméraire de l'état de foi, d'obéissance et de religion. Puisque enlever ce qui est premier, c'est enlever ce qui est postérieur mais non vice versa ; la première apostasie dépasse les deux autres, c'est-à-dire l'apostasie de la foi (surpasse) celle de la religion. Cependant selon Raymond, on n'est pas jugé apostat ou fugitif, même si on a erré longtemps et loin, sauf quand on vit de manière à montrer que l'on a abandonné l'intention de rentrer : par exemple ce serait le cas si on avait pris une épouse ou autre chose semblable... De même pour l'apostasie de désobéissance : lorsque quelqu'un spontanément méprise les préceptes de l'Eglise et des supérieurs, il devient infâme, indigne de témoigner en justice et doit être excommunié... Or l'apostasie dont nous parlons en parlant de l'apostasie des sorcières, c'est l'apostasie de la foi ; et elle est d'autant plus grave qu'elle s'accomplit sur la base d'un pacte exprès avec l'ennemi de la foi et du salut. C'est cela qu'ont à faire les sorcières ; c'est ce que cet Ennemi exige en tout ou en partie. Nous, Inquisiteurs, nous en avons trouvé qui avaient renié tous les articles de la foi, d'autres seulement quelques-uns ; toujours cependant elles avaient à renier la confession réelle et sacramentelle. D'où la trahison de Julien l'Apostat ne semble pas avoir été aussi grande ; même si par ailleurs il a davantage persécuté l'Eglise. Quelqu'un pourrait incidemment demander : Si jamais elles gardaient la foi dans l'esprit et le cœur (ce dont Dieu seul est juge non la créature même angélique, comme on l'a dit plus haut), ne feraient-elles pas seulement acte de révérence et d'obéissance au diable dans des gestes extérieurs ? Il semble que l'on doive dire ceci l'apostasie de trahison peut se faire de deux manières : Ou bien par des actes d'infidélité extérieure sans pacte exprès avec le démon, comme ferait celui qui embrasserait la vie musulmane sur la terre des infidèles ; ou bien celle qui se fait en terre des chrétiens avec pacte exprès. Les premiers gardent la foi en esprit et renient en actes extérieurs ; bien qu'ils ne soient ni apostats ni hérétiques, ils pèchent cependant mortellement. C'est ainsi que Salomon rendit hommage aux dieux de ses épouses ; mais personne ne peut s'excuser de devoir le faire en arguant de crainte, Augustin disant : «Il est préférable de mourir de faim que de se nourrir de viandes offertes aux idoles.» Quant aux sorciers, même s'ils gardent la foi de cœur en la reniant de bouche, eux ils sont jugés apostats car ils ont fait alliance avec la mort et passé un pacte avec l'enfer. D'où saint Thomas, parlant de pareilles œuvres de magie et de ceux qui de quelque manière font appel au démon, affirme : «Chez tous il y a apostasie de la foi à cause de l'acte passé avec le démon, soit en paroles s'il y a invocation, soit en acte même s'il n'y a pas sacrifice. L'homme en effet ne peut servir deux maîtres.» Albert va dans le même sens lorsqu'il se demande : Aux magiciens et astrologues doit-on imputer un péché et l'apostasie de la foi ? Il répond : Chez eux il y a toujours apostasie en paroles et en actes. Si en effet il y a invocation, il y a ouvertement pacte avec le démon et donc apostasie ouverte en paroles. Si au contraire il n'y a qu'une action magique, alors il y a apostasie en acte. Mais puisque en tout cela il y a toujours mépris de la foi, vu que l'on attend du démon ce qu'il faut attendre de Dieu seul, alors il y a toujours apostasie. Voyons combien clairement tous posent une double apostasie, sous-entendant d'ailleurs une troisième celle du cœur. Si elle fait défaut, les sorcières sont cependant jugées apostates de paroles et d'actes et donc (on le verra) doivent tomber sous les châtiments des hérétiques et des apostats.
Troisième point pour l'énormité du crime chez elles parmi tous les autres hérétiques : S'il est vrai, comme le dit Augustin, que toute la vie des infidèles est un péché ; et comme dit la Glose sur les Romains, que tout ce qui ne procède pas de la foi est un péché ; comment alors juger de toute la vie et de toutes les autres œuvres des sorcières, qui ne sont pas faites par complaisance envers le démon, comme de jeûner, de fréquenter l'Eglise, de communier, etc ? Réponse : En tout cela, elles pèchent mortellement ; et on le prouve ainsi : La tache de ce péché est si grande que, même si elles ne se privent pas de toute faculté de résurrection puisque le péché ne corrompt pas toute la nature et que la lumière naturelle demeure en elles, cependant à cause du serment prêté au diable, sauf si on en est délié, toutes leurs œuvres même bonnes en soi sont à classer plutôt dans le genre œuvres mauvaises. Or on ne voit pas cela chez les autres infidèles ; saint Thomas en effet, se demandant si toute action de l'infidèle est péché, répond : même si les œuvres des infidèles qui sont du genre bonnes œuvres, comme les jeûnes, les aumônes, et autres semblables, ne sont pas méritoires en raison de l'infidélité qui est le péché le plus grave ; cependant parce que ce péché ne corrompt pas totalement toute la bonté de leur nature et qu'il reste en eux la lumière naturelle, tout acte provenant d'eux n'est pas péché mortel. Mais seulement l'acte procédant de l'infidélité en se référant à elle, fût-il du genre bonnes œuvres : par exemple un sarrasin qui jeûne, pour observer la loi de Mahomet sur le jeûne ; un juif qui observe ses jours de fête, etc. ; chez eux tout cela est péché mortel. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le texte d'Augustin cité plus haut.

Enfin les fléaux des maléfices surpassent tous les autres péchés pour ce qui est du démérite et de la peine. On L'explique : Cela dépasse la peine due aux hérétiques et même aux apostats. Les hérétiques en effet sont punis selon Raymond par l'excommunication, la déposition, la privation de leurs biens et la peine capitale. Encourent de même les peines les plus graves leurs fidèles, leurs receleurs, leurs partisans, leurs défenseurs. Outre la peine d'excommunication à eux infligée, les hérétiques avec leurs partisans, défenseurs, receleurs, fils et descendants jusqu'à la deuxième génération en ligne paternelle et la première génération en ligne maternelle, ne sont plus admis à aucun bénéfice et office ecclésiastiques. Comme troisième peine, si les hérétiques ont des fils catholiques, en exécration du crime, ceux-ci sont privés de l'héritage paternel. Comme quatrième peine, si quelqu'un surpris en délit d'hérésie ne veut pas tout de suite revenir à la foi et abjurer l'hérésie, il faut le brûler aussitôt si c'est un laïc (les faussaires de la monnaie sont livrés de suite à la mort, combien plus les faussaires de la foi !) ; s'il est clerc, après sa dégradation solennelle, on doit le livrer à la justice séculière pour qu'il soit mis à mort. Si par contre il revient à la foi, on doit le jeter en prison à perpétuité. Ceci en toute rigueur de droit ; toutefois on agit plus doucement avec eux après l'abjuration qu'ils doivent faire au jugement de l'évêque et de l'Inquisiteur, comme on le dira dans la troisième partie de cet ouvrage. On y traitera des diverses manières de juger pareils gens et sur la signification des mots comme «surpris, convaincu, relapse». Par contre les punitions de ce genre ne semblent pas suffire pour les sorcières, qui ne sont pas de simples hérétiques mais des apostats et même davantage. Dans leur apostasie en effet elles ne renient pas la foi face à des hommes par crainte et avantages charnels ; mais outre le reniement, c'est aux démons eux-mêmes qu'elles se livrent, offrant l'hommage de leurs corps et de leurs âmes. Par là il semble assez probable que, quels que soient leur pénitence et leur retour à la foi, elles ne doivent pas, comme les autres hérétiques, être soumises à la seule prison perpétuelle mais plutôt être punies du dernier supplice. D'ailleurs cette peine, les lois l'ordonnent à cause des dommages temporels, causés aux hommes et aux bêtes de diverses manières, la faute étant la même, si on apprend et enseigne ces (secrets) interdits. Les lois parlent ainsi des sortilèges (mais combien plus des maléfices), quand elles disent que leurs peines c'est la confiscation, la vente aux enchères de leurs biens et la décapitation. Et si quelqu'un par artifice magique a entraîné une femme à la luxure ou vice versa, on l'exposera aux bêtes. On a déjà touché à cela dans la première question.




Hans Baldung ; Sabbat de sorcière, 1515





Comment les sorcières savent frapper d'incapacité la puissance génitale

Au sujet des méthodes par lesquelles elles ont coutume d'empêcher la fonction de procréation chez les hommes comme chez les bêtes de l'un et de l'autre sexe, le lecteur peut déjà en connaître - par ce qui a été dit dans la question : est-ce que les démons par les sorcières peuvent retourner les cœurs pour l'amour ou la haine ? Là, en effet, après la réponse aux objections, on expose en particulier la manière dont elles peuvent avec la permission de Dieu mettre un empêchement à la puissance génitale.

Pourtant nous devons noter ici que pareil empêchement est provoqué de l'intérieur et de l'extérieur. De l'intérieur elles le causent de deux manières : Premièrement là où directement elles empêchent l'érection du membre nécessaire à l'union féconde. Ce qui ne semble pas impossible de leur part quand on sait qu'elles peuvent vicier l'usage naturel de tout membre. Deuxièmement quand elles empêchent le flux des essences vitales vers les membres où réside une force motrice, obturant quasiment les conduits séminaux afin que la semence ne descende pas vers les organes générateurs et ne soit pas éjaculée ou soit éjaculée à perte. De l'extérieur elles peuvent procurer (l'empêchement) tantôt par le moyen d'images ou par la consommation d'herbes, tantôt par d'autres choses extérieures comme des testicules de coqs. Il ne faut pas croire toutefois que par la vertu de ces choses l'homme soit rendu impuissant ; mais en vertu de la puissance occulte des illusions diaboliques au travers de ces moyens, les sorcières peuvent ensorceler la puissance génitale au point de rendre l'homme incapable de copulation et la femme de conception. La raison de tout cela est que Dieu permet davantage de choses contre cet acte par lequel le premier péché est diffusé que contre les autres actes humains. De même qu'elles ont davantage de pouvoir sur les serpents, plus sujets aux incantations que les autres animaux. Voilà pourquoi nous avons plusieurs fois trouvé, nous et d'autres Inquisiteurs, qu'elles causaient cet empêchement par le moyen de serpents et autres choses de ce genre.

Ainsi en effet un certain sorcier capturé avait avoué que durant plusieurs années il avait jeté un maléfice de stérilité sur tous les hommes et toutes les bêtes qui habitaient telle maison. J. Nider, au même endroit que plus haut, rapporte qu'un sorcier nommé Staedlin, fut capturé dans le diocèse de Lausanne. Il avoua que dans une maison où un homme et sa femme vivaient ensemble, à cause de ses maléfices, le mari avait successivement tué sept enfants dans le sein de son épouse, si bien que durant plusieurs années la femme avortait continuellement. Et dans la même maison encore il avait causé la même chose chez toutes les bêtes gravides : aucune ni grande ni petite ne mit au monde un petit vivant durant ces années. Comme on questionnait ce sorcier sur la manière dont il avait fait cela et comment il pouvait en être coupable, il révéla son crime en disant : Sous le seuil de la porte de la maison j'ai placé un serpent ; si on l'enlève, la fécondité reviendra à tous ses habitants. Et il arriva comme il avait prédit : on ne retrouva pas le serpent qui était réduit en poussière, on changea complètement la terre de la maison et dans l'année même la fécondité fut rendue à la femme et à toutes les bêtes.

Un autre fait encore qui s'est passé il y a quatre ans à peine à Reichshofen ; il y avait là une sorcière très connue, qui pouvait à tout moment et d'un seul geste ensorceler les femmes et les faire avorter. Or la femme d'un noble était enceinte et pour la garder elle avait pris chez elle une sage-femme ; et celle-ci l'avait avertie de ne pas sortir du château et surtout de veiller à ne pas parler et lier conversation avec la dite sorcière. Au bout de quelques semaines, oubliant la recommandation, elle sortit du château ; elle s'en vint rendre visite à quelques femmes réunies pour un repas. Elle était à peine assise que survint la sorcière, qui comme pour saluer la maîtresse lui posa les deux mains sur le ventre. Aussitôt elle sentit que l'enfant bougeait douloureusement ; affolée elle revint vers les siens et raconta à la sage-femme ce qui s'était passé. Celle-ci s'écria : Vous avez déjà perdu votre enfant. Et en effet dans l'accouchement il arriva comme prévu : elle donna naissance non pas à un fœtus mort complet, mais petit à petit à des morceaux de tête, de pieds et de bras. Toute cette grande peine avec la permission divine pour punir un mari qui aurait dû punir les sorcières et venger les insultes au Créateurs. Enfin dans la ville de Mersbourg au diocèse de Constance, un homme jeune était si ensorcelé qu'il ne pouvait accomplir aucun acte charnel avec aucune femme sauf une. Beaucoup l'avaient entendu raconter que très souvent il avait voulu quitter cette femme et s'enfuir pour habiter d'autres régions. Mais alors parfois, la nuit, il se trouvait contraint de se lever pour revenir d'une course rapide, tantôt sur terre tantôt comme en volant dans les airs.




Hans Baldung ; Trois sorcières, 1514


Gravure anonyme, 1587



Des remèdes pour les gens qui par maléfice sont fous d'amour ou de haine.

Le maléfice qui atteint la puissance génitale atteint aussi la volonté causant la séduction et la haine. Il nous faut traiter de la cause et, autant que possible, des remèdes :

L'amour fou de quelqu'un pour un autre peut provenir d'une triple cause : parfois de la seule imprudence des yeux, parfois de la seule tentation du démon, parfois du maléfice des nécromants et sorcières en même temps que des démons. On parle de la première cause dans la lettre de Jacques : «(Dieu ne tente lui-même personne) ; chacun est plutôt tenté, attiré et appâté par sa propre convoitise. Ensuite la convoitise conçoit et met au monde le péché ; puis le péché une fois consommé engendre la mort.» Ainsi Sichem ayant vu Dina qui sortait pour voir les femmes de la région s'éprit d'amour (fou) pour elle, l'enleva, coucha avec elle et son cœur ne put s'en détacher. Selon la Glose : c'est ce qui arrive à l'âme faible quand elle s'occupe des affaires des autres, au point de ne plus se soucier d'elle-même. Elle se laisse prendre par l'habitude et donne le consentement aux choses illicites. Dans un second cas la cause principale est la tentation du diable. Ainsi Amnon s'éprit de sa très belle sœur, et il se rongeait au point de se rendre malade d'amour. En effet il n'aurait pu être assez corrompu de cœur pour passer au crime de viol, s'il n'avait pas été gravement tenté par le démon. C'est de ce genre d'amour aussi que parle le Livre des saints Pères : On y raconte que même dans les ermitages il leur avait fallu s'arracher à l'amour charnel. Certains pourtant demeuraient parfois tentés de l'amour des femmes au-delà de tout ce que l'on peut croire. Aussi l'Apôtre aux Corinthiens dit : Il m'a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter (et m'empêcher de m'enorgueillir), sur quoi la Glose : Il a été donné une écharde par la tentation de la chair. Quelques-uns disent : la tentation à laquelle on ne consent pas n'est pas un péché, elle est matière pour l'exercice de la vertu. Il faut l'entendre de la tentation qui vient du démon non de la chair : celle-ci est pêché véniel même si on n'y consent pas. De tout cela on trouve des exemples en différents endroits. Dans le troisième cas, l'amour fou provient des démons mais aussi des maléfices des sorcières. Dans notre première partie nous avons traité de la possibilité de ces maléfices, là où on demandait si les démons par les sorcières peuvent exciter et retourner les cœurs des hommes pour l'amour et la haine ? Longuement on l'a prouvé à partir de faits et gestes par nous rapportés. Il faut dire plus : parmi tous les maléfices celui-là est le pire par sa généralité, et si l'on demande : Pierre saisi d'amour fou, etc., ne sait pas si c'est de la première, de la seconde ou de la troisième manière ? On répond : la haine entre les époux jusqu'au crime d'adultère peut provenir de l'œuvre du démon ; mais quand quelqu'un se trouve enveloppé et enflammé par la poix de l'amour de concupiscence charnelle au point de ne plus pouvoir être forcé à la résistance ni par la honte ni par les paroles ni par les coups et les gestes, alors (il y a maléfice). De même quand quelqu'un abandonne une belle épouse pour s'attacher à une femme laide. Là encore où (des hommes) ne peuvent plus en dormir la nuit mais «délirent» au point de devoir s'en aller vers leur maîtresse par des chemins impossibles. Des princes, des prélats et autres riches sont emportés très souvent dans ces misères. Ce temps-ci est «ce temps de la femme» au sujet duquel pourtant Hildegarde a prédit selon Vincent (de Beauvais) dans son Miroir historique, qu'il ne durerait pas aussi longtemps qu'on le voit persister. En effet, ce monde est plein d'adultères surtout chez les princes.

A quoi bon alors leur parler des remèdes à eux qui n'en ont pas envie ? Oui sans doute, mais pour répondre au désir du lecteur pieux, il nous faut toucher brièvement à l'amour fou sans maléfice : Avicenne propose sept remèdes, pour le cas où cet amour commence à rendre quelqu'un malade. En vérité ils conviennent peu à notre recherche, sauf dans la mesure où mystérieusement ils serviraient à l'âme malade. Il dit en effet que la racine de la maladie se découvre en prenant le pouls et sa variation au moment où l'on nomme la personne aimée. Si la loi alors le permet, qu'il y ait union de mariage, car on guérit en obéissant ainsi à la nature. Ou encore qu'on fasse application de remèdes dont il traite et fait la présentation au même endroit : soit afin que par des moyens licites le malade retourne son amour d'une personne vers une autre personne que l'on choisit d'abord, soit afin que, fuyant la présence, l'esprit s'oriente (vers un autre objet). Ou encore s'il est susceptible de correction, qu'on l'éprouve et qu'on 1"exhorte (en disant) que l'œuvre d'amour est la plus grande misère. Ou encore qu'on l'adresse à quelqu'un qui, aussi loin qu'on le peut dans la vérité et en Dieu, dise du mal du corps, de la passion d'amour, et des murs (de chair) au point de leur donner un visage sordide et difforme. Ou intimement au moins qu'on l'occupe à des travaux pénibles et à des tâches distrayantes. Réellement si l'homme animal (charnel) est guéri par des remèdes de ce genre, chacun étant transposé au spirituel ils réformeront l'homme spirituel : qu'il obéisse à la loi de l'esprit plutôt qu'à la loi de la nature ; qu'il tourne son amour vers certaines joies ; qu'il se souvienne combien provisoire est ce qui délecte et éternel ce qui torture ; qu'il cherche ses délices dans la vie où elles commencent pour ne jamais finir ; (qu'il sache) que celui qui voudra aimer de cet amour fou perdra cette vie, ne trouvera pas l'autre mais sera envoyé aux supplices éternels : trois dommages irréparables nés de l'amour fou. Si cet amour fou provient d'un maléfice, on peut sans inconvénient appliquer ici les remèdes proposés dans le précédent chapitre. Principalement l'exorcisme par les paroles sacrées, que l'ensorcelé peut d'ailleurs s'appliquer à lui-même. Chaque jour qu'il invoque l'ange saint député pour sa garde. Qu'il fréquente la confession ; les sanctuaires des saints, surtout de la bienheureuse Vierge; et sans aucun doute il sera délivré. Mais combien blâmable (la conduite) de ces hommes qui comme des barbares méprisant leurs dons naturels et les armes de la vertu, refusent de se protéger !

Et pourtant des jeunes filles très souvent dans leur faiblesse invaincue ont par ces armes repoussé les maléfices ! En foi de quoi nous présentons l'exemple suivant : dans un village rural près de Lindau, au diocèse de Constance, il y avait une grande jeune fille, belle de visage, d'allure élégante. Passionné rien qu'à la voir, un homme léger de mœurs, clerc presque uniquement de nom (pourquoi était-il prêtre ?), ne pouvant plus davantage cacher la blessure de son âme, vint à l'endroit où travaillait cette vierge. Tendant le filet du démon avec des paroles honnêtes, pour la première fois enfin il osa en paroles seulement provoquer l'âme de la vierge à l'aimer. Elle, le percevant d'un instinct divin, intacte d'esprit et de corps, répondit : Seigneur, avec de pareilles paroles, veuillez ne pas fréquenter ma maison ; autrement je vous mettrai dehors, au nom de la pudeur ! Lui alors : Maintenant tu refuses de m'aimer après ces mots doux ; d'ici peu, je te le promets, tu m'aimeras contrainte par des gestes.

Cet homme était suspect d'incantations et de maléfices. Mais cette vierge tint ces paroles pour du vent ; sur le moment elle ne sentit pas (sur elle) l'étincelle d'amour charnel pour cet homme. Mais peu de temps après, elle se mit à avoir des rêves (imaginations) amoureux concernant cet homme. Ce que remarquant, sous l'inspiration divine, elle se réfugia vers la Mère de miséricorde ; elle lui demanda dévotement d'implorer le secours de son Fils. Aussitôt, cherchant une compagnie honnête, elle partit en pèlerinage au lieu-des-Ermites Einsiedeln. (On appelle ainsi une église dans le même diocèse consacrée au mystère du culte de la Mère). Là elle fit la confession sacramentelle, afin que l'esprit malin ne pût rien trouver en elle. Une fois ses prières faites à la Mère de Pitié, sur-le-champ cessa toute machination de l'ennemi, au point qu'ensuite il ne la toucha plus jamais. Et puis il y a aussi encore des hommes qui ont du cœur. Atteints en ce domaine par les sollicitations importunes des femmes sorcières jusqu'à paraître ne pouvoir échapper jamais plus à l'amour fou, ils résistent toutefois virilement. Ils peuvent se sentir poussés hors (du chemin) par des imaginations scabreuses, ils ont pourtant déjà vaincu par les remèdes susdits toutes les machinations du diable. Une image-miroir de cette lutte, on l'a chez un jeune homme très riche de la ville d'Innsbruck : Il était si bouleversé par les maléfices qu'il ne pouvait plus tenir la plume ; cependant gardant toujours un cœur viril il s'en sortit sain et sauf avec les moyens susdits. D'où l'on conclut à bon droit que ces remèdes contre cette maladie sont très sûrs et que sont sûrement délivrés tous ceux qui utilisent ces armes.

Tout cela nous l'avons dit de l'amour désordonné ; mais on comprendra que cela vaut aussi de la haine désordonnée, la même règle valant pour les réalités qui s'opposent. S'il y a égalité pourtant dans le genre maléfice, il y a néanmoins une différence. La personne qui est objet de haine a intérêt à chercher aussi un autre remède : L'homme qui en effet déteste sa femme et la sort de son cœur, ne retournera pas facilement vers elle, s'il a été adultère, même s'il fait beaucoup de pèlerinages. Mais puisque par les aveux des sorcières ces maléfices pour la haine apparaissent causés par des serpents - le serpent ayant été le premier instrument du diable et ayant avec sa malédiction reçu l'inimitié (héréditaire) entre lui et la femme -, on comprend que ces femmes sorcières essaient de susciter ces inimitiés avec des serpents, posant la peau et la tête du serpent sous le seuil de la porte de la chambre ou de la maison. Voilà pourquoi il faut autant que possible inspecter et rénover tous les coins de la maison d'habitation ou bien s'en aller habiter des maisons d'autrui. Et quand on a dit par ailleurs que les ensorcelés peuvent eux-mêmes s'exorciser, on veut dire qu'ils peuvent porter sur eux, autour de leur cou des paroles sacrées, des bénédictions, des chants, au cas où ils ne sauraient pas les lire et se bénir eux-mêmes. On va dire cependant par la suite comment tout cela doit se faire.



Francisco de Goya (1746-1828) ; El Aqualarre (1797-1798)


1 commentaire:

Marraine a dit…

Bonjour M. Ogre,
Il y a dans certaines rares églises, un petit diable sculpté dans la pierre, c'est toujours une surprise lorsque j'en croise un. Probablement histoire de dire qu'il n'y a pas de Bien sans Mal, une sorte de Yin et Yang à la chrétienne...