lundi 30 juin 2008

L'art d'aimer ... (fin...)


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N'allez pas surtout reprocher à une belle ses défauts : que d'amants se sont bien trouvés de cette utile dissimulation ! Le héros aux pieds ailés, Persée, ne blâme jamais dans Andromède la couleur brune de son teint. Andromaque, d'un commun avis, était d'une taille démesurée : Hector était le seul qui la trouvât d'une taille moyenne. Accoutume-toi à ce qui te déplaît ; tu t'y feras : l'habitude adoucit bien des choses ; mais l'amour, à son début, s'effarouche d'un rien. Une branche nouvellement greffée, qui commence à se nourrir sous la verte écorce, tombe si le moindre souffle l'ébranle ; mais, si on lui laisse le temps de s'affermir, bientôt elle résiste aux vents, et, branche robuste, enrichit l'arbre qui la porte de ses fruits adoptifs. Le temps efface tout, même les difformités du corps, et ce qui nous parut une imperfection cesse un jour d'en être une. L'odeur qui s'échappe de la dépouille des taureaux blesse d'abord nos narines délicates : elles s'y font à la longue et finissent par la supporter sans dégoût.
II est d'ailleurs des noms par lesquels on peut pallier les défauts. La femme qui a la peau plus noire que la poix d'Illyrie, dis qu'elle est brune. Est-elle un peu louche : compare-la à Vénus ; est-elle rousse : c'est la couleur de Minerve.
Celle qui, dans sa maigreur, semble n'avoir qu'un souffle de vie a la taille svelte. Elle est petite : tant mieux ! elle en est plus légère. Sa taille est épaisse : c'est un agréable embonpoint. Déguise ainsi chaque défaut sous le nom de la qualité qui en approche le plus.




Ne t'informe jamais de son âge, ni du consulat sous lequel elle est née : laisse le censeur remplir ce rigoureux devoir, surtout si elle n'est plus dans la fleur de la jeunesse, si la belle saison de sa vie est passée, et si déjà elle est réduite à s'arracher des cheveux gris.
Jeunes Romains, cet âge, et même un âge plus avancé, n'est pas stérile en plaisirs : c'est un champ qu'il faut ensemencer pour qu'il donne un jour sa moisson. Travaillez, tandis que vos forces et votre jeunesse le permettent : assez tôt, dans sa marche insensible, viendra la vieillesse caduque. Fendez l'océan avec la rame, ou les sillons avec la charrue ; armez du glaive meurtrier vos mains belliqueuses, ou consacrez aux belles vos efforts, votre vigueur et vos soins. C'est un autre genre de milice, où l'on peut aussi recueillir de riches trophées. Ajoutez que les femmes déjà sur le retour sont plus savantes dans l'art d'aimer : elles ont l'expérience, qui seule perfectionne tous les talents. Elles réparent par la toilette les outrages du temps, et parviennent, à force de soins, à déguiser leurs années. Elles sauront à ton gré, par mille attitudes diverses, varier les plaisirs de Vénus : nulle peinture voluptueuse n'offre plus de diversité. Chez elles le plaisir naît sans provocation irritante : ce plaisir le plus doux, celui que partagent à la fois et l'amante et l'amant. Je hais des embrassements dont l'effet n'est pas réciproque : aussi les caresses d'un adolescent ont-elles pour moi peu d'attrait. Je hais cette femme qui se livre parce qu'elle doit se livrer, et qui, froide au sein du plaisir, songe encore à ses fuseaux. Le plaisir qu'on m'accorde par devoir cesse pour moi d'être un plaisir, et je dispense ma maîtresse de tout devoir envers moi. Qu'il m'est doux d'entendre sa voix émue exprimer la joie qu'elle éprouve, et me prier de ralentir ma course pour prolonger son bonheur ! J'aime à la voir, ivre de volupté, fixer sur moi ses yeux mourants, ou, languissante d'amour, se refuser longtemps à mes caresses !
Mais, ces avantages, la nature ne les accorde pas à la première jeunesse : ils sont réservés à cet âge qui suit le septième lustre. Que d'autres, trop pressés, boivent un vin nouveau ; pour moi, que l'on me verse d'un vieux vin qui date de nos anciens consuls. Ce n'est qu'après un grand nombre d'années que le platane peut lutter contre les ardeurs du soleil, et les prés nouvellement fauchés blessent nos pieds nus. Quoi ! tu pourrais préférer Hermione à Hélène ? et la fille d'Althée l'emporterait sur sa mère ? Si donc tu veux goûter les fruits de l'amour dans leur maturité, tu obtiendras, pour peu que tu persévères, une récompense digne de tes vœux.



Mais déjà le lit complice de leur plaisirs a reçu nos deux amants. Muse, arrête-toi à la porte close de la chambre à coucher ; ils sauront bien, sans toi, trouver les mots usités en pareil cas, et leurs mains dans le lit ne resteront pas oisives. Leurs doigts sauront s'exercer dans ce mystérieux asile où l'Amour aime à lancer ses traits. Ainsi, jadis, près d'Andromaque, en usait le vaillant Hector, dont les talents ne se bornaient pas à briller dans les combats. Ainsi le grand Achille en usait avec sa captive de Lyrnesse, lorsque, las de carnage, il reposait près d'elle sur une couche moelleuse. Briséis, tu te livrais sans crainte aux caresses de ces mains, toujours teintes du sang des Troyens. Ce qu'alors tu aimais le plus, voluptueuse beauté, n'était-ce pas de te sentir pressée par ces mains victorieuses ?
Si tu veux m'en croire, ne te hâte pas trop d'atteindre le terme du plaisir ; mais sache, par d'habiles retards, y arriver doucement. Lorsque tu auras trouvé la place la plus sensible, qu'une sotte pudeur ne vienne pas arrêter ta main.
Tu verras alors ses yeux briller d'une tremblante clarté, semblable aux rayons du soleil reflétés par le miroir des ondes. Puis viendront les plaintes mêlées d'un tendre murmure, les doux gémissements, et ses paroles, agaçantes qui stimulent l'amour. Mais, pilote maladroit, ne vas pas, déployant trop de voiles, laisser la maîtresse en arrière ; ne souffre pas non plus qu'elle te devance : voguez de concert vers le port. La volupté est au comble lorsque, vaincus par elle, l'amante et l'amant succombent en même temps. Telle doit être la règle de ta conduite, lorsque rien ne te presse et que la crainte ne te force pas d'accélérer tes plaisirs furtifs. Mais, si les retards ne sont pas sans danger, alors, penché sur les avirons, rame de toutes tes forces, et presse de l'éperon les flancs de ton coursier.

Ovide ; L'art d'aimer

2 commentaires:

Marraine a dit…

Sacrée série! Il y avait une émission à la radio il y a peu de temps sur l'érotisme pendant la Rome antique... édifiant!

Anonyme a dit…

... J'ai en effet entendu parler de cette emmission ... Mais me permettrez-vous de ne pas être tout à fait d'accord (...quoique...) avec les conclusions d'austérité sexuelle que l'on prête à nos latins ancêtres ... Il est vrai, que je ne l'ai pas écouté moi-même et que j'ai peut-être mal apréhendé les conclusions de cette emmission ...
Veuillez recevoir mes hommages ...