dimanche 29 juin 2008

L'art d'aimer ... (suite...)





Mais le féroce sanglier, dans sa plus grande furie, lorsque ses défenses foudroyantes font rouler au loin les rapides limiers ; la lionne, lorsqu'elle présente sa mamelle aux petits qu'elle allaite ; la vipère que le voyageur a foulée d'un pied distrait, sont moins à craindre que la femme qui a surpris une rivale dans le lit de son époux. Sa fureur se peint sur sa figure : le fer, la flamme, tout lui est bon ; oubliant toute retenue, elle court, pareille à la Bacchante agitée par le dieu d'Aonie. La barbare Médée vengea sur ses propres enfants le crime de Jason et la violation de la foi conjugale ; cette hirondelle que vous voyez fut aussi une mère dénaturée. Regardez ! sa poitrine est encore teinte de sang. Ainsi se rompent les unions les mieux assorties, les liens les plus solides. Un amant prudent doit craindre d'exciter ces jalouses fureurs.
Ce n'est pas que, censeur rigide, je veuille te condamner à n'avoir qu'une maîtresse : m'en préservent les dieux ! Une femme mariée peut à peine tenir un semblable engagement. Donne-toi de l'amusement, mais couvre d'un voile modeste tes tendres larcins ; il faut se garder d'en tirer vanité. Ne fais point à une femme un présent qu'une autre puisse reconnaître ; change l'heure et le lieu de vos rendez-vous, de peur qu'une d'elles ne te surprenne dans une retraite dont elle connaît le mystère. Quand tu écriras, relis avec soin tes épîtres avant de les envoyer : bien des femmes lisent dans une lettre plus qu'on ne leur dit.
Vénus blessée prend justement les armes, rend trait pour trait à l'agresseur, et lui fait éprouver à son tour le mal qu'il a causé. Tant qu'Atride se contenta de son épouse, elle fut chaste ; l'infidélité de son mari la rendit coupable. Elle avait appris que Chrysès, le laurier à la main, le front ceint de bandelettes sacrées, avait en vain redemandé sa fille. Elle avait appris, ô Briséis, l'enlèvement qui causa tes chagrins, et par quels honteux retards se prolongeait la guerre. Tout cela, cependant, elle ne l'avait su que par ouï-dire. Mais elle avait vu de ses propres yeux la fille de Priam ; elle avait vu le vainqueur, ô honte ! devenu l'esclave de sa captive. Dès lors la fille de Tyndare ouvrit à Égisthe et son cœur et son lit, et se vengea par un crime du crime de son époux.



Si, quoique bien cachés, tes amours secrets viennent à se découvrir, tout découverts qu'ils sont, ne laisse pas de nier. Ne sois pour cela ni plus soumis, ni plus flatteur que de coutume : un tel changement est la marque d'un cœur coupable. Mais n'épargne aucun effort, et emploie toute ta vigueur aux combats de l'amour ; la paix est à ce prix ; c'est ainsi que tu pourras nier tes précédents exploits. Il en est qui te conseilleraient de prendre pour stimulants des plantes malfaisantes ; la sarriette, le poivre mêlé à la graine mordante de l'ortie, ou le pyrèthre jaune infusé dans du vin vieux : à mon avis, ce sont de vrais poisons. La déesse qui habite les collines ombreuses du mont Eryx ne souffre pas pour l'usage de ses plaisirs ces moyens forcés et violents. Tu pourras cependant te servir de l'oignon blanc que nous envoie la ville de Mégare, et de la plante stimulante qui croît dans nos jardins : joins-y des œufs, du miel de l'Hymette, et ces pommes que porte le pin élancé.



Mais pourquoi, divine Érato, nous égarer dans ces détails de l'art d'Esculape ? Rentrons dans la carrière dont mon char ne doit pas sortir. Tout à l'heure je te conseillais de cacher avec soin tes infidélités ; quitte maintenant cette voie, et, si tu m'en crois, publie tes conquêtes. Garde-toi pourtant de m'accuser d'inconséquence. La nef recourbée n'obéit pas toujours au même vent ; elle court sur les flots, tantôt poussée par l'Aquilon, tantôt par l'Eurus ; le Zéphyr et le Notus enflent tour à tour ses voiles. Vois ce conducteur monté sur son char ; tantôt il laisse flotter les rênes, tantôt il retient d'une main habile ses coursiers trop ardents.
II est des amants que sert mal une timide indulgence : l'amour de leur maîtresse languit si la crainte d'une rivale ne vient le ranimer. Le bonheur souvent nous enivre, et difficilement on le supporte avec constance. Un feu léger s'éteint peu à peu faute d'aliments et disparaît sous la cendre blanchâtre qui couvre sa cime ; mais, à l'aide du soufre, sa flamme assoupie se rallume et jette une clarté nouvelle. Ainsi, lorsque le cœur languit dans une indolente torpeur, il faut, pour le réveiller, employer l'aiguillon de la jalousie. Donne des inquiétudes à ta maîtresse, et réchauffe son cœur refroidi ; qu'elle pâlisse à la preuve de ton inconstance.
Ô quatre, ô mille et mille fois heureux, celui dont la maîtresse gémit de se voir offensée ! À peine la nouvelle de son crime, dont elle voudrait douter encore, a frappé son oreille, elle tombe ; malheureuse ! la couleur et la voix l'abandonnent. Que ne suis-je l'amant dont elle arrache les cheveux dans sa fureur ! que ne suis-je celui dont elle déchire le visage avec ses ongles, dont la vue fait couler ses larmes, qu'elle regarde d'un œil farouche, sans lequel elle voudrait pouvoir, mais ne peut vivre ! Combien de temps, me diras-tu, dois-je la laisser en proie au désespoir ? Hâte-toi d'y mettre un terme, de peur que sa colère ne s'aigrisse en se prolongeant. Hâte-toi d'entourer de tes bras son cou si blanc et de presser sur ton sein son visage baigné de larmes. À ses pleurs donne des baisers ; à ses pleurs mêle les plaisirs de l'amour. Elle s'apaisera ; c'est le seul moyen de fléchir sa colère. Lorsqu'elle se sera bien emportée, lorsque la guerre sera ouvertement déclarée entre vous, demande-lui à signer sur son lit le traité de paix ; elle s'adoucira. C'est là que, sans armes, habite la pacifique Concorde ; c'est là, crois-moi, que naquit le Pardon. Les colombes qui viennent de se battre unissent plus amoureusement leurs becs ; leur roucoulement semble plein de caresses et dit quel est leur amour.
La nature ne fut d'abord qu'une masse confuse et sans ordre, où gisaient pêle-mêle les cieux, la terre et l'onde. Bientôt le ciel s'éleva au-dessus de la terre, la mer l'entoura d'une liquide ceinture ; et de ce chaos informe sortirent les éléments divers. La forêt se peupla de bêtes fauves, l'air d'oiseaux légers ; les poissons se cachèrent sous les eaux. Alors les hommes erraient dans les campagnes solitaires, et la force était l'unique partage de ces corps grossiers et endurcis. Ils avaient les bois pour demeure, l'herbe pour nourriture, les feuilles pour lit ; et pendant longtemps chacun vécut ignoré de son semblable. La douce volupté amollit, dit-on, ces âmes farouches, en réunissant sur la même couche l'homme et la femme. Ils n'eurent besoin d'aucun maître pour apprendre ce qu'ils avaient à faire : Vénus, sans le secours de l'art, remplit son doux office. L'oiseau a une femelle qu'il aime ; le poisson trouve au milieu des ondes une compagne pour partager ses plaisirs. La biche suit le cerf ; le serpent s'unit au serpent ; le chien s'accouple à la chienne ; la brebis et la génisse se livrent avec joie aux caresses du bélier et du taureau ; le bouc, tout immonde qu'il est, ne rebute point la chèvre lascive. La cavale, en proie aux fureurs de l'amour, franchit, pour rejoindre le cheval, et l'espace et les fleuves mêmes.
Courage donc ! emploie ce puissant remède pour calmer le courroux de ta maîtresse ; seul il peut assoupir ses cuisantes douleurs, baume plus efficace que tous les sucs de Machaon. Il saura, si tu as quelques torts, te les faire pardonner.

Ovide ; L'art d'aimer

(À suivre ...)

Aucun commentaire: