dimanche 20 avril 2008

Le portefaix et les dames... (fin...)

Benjamin Jean Joseph Constant (1845-1902) ; Les sherifas [détail]

Puis ce fut au tour de l'aimable intendante de se lever et de se débarrasser de ses vêtements, à l'exemple de sa sœur la portière.
Elle cria :
-Glou-glou!
Et plongea prestement dans la piscine où elle se mit à barboter comme l'autre avait fait. Elle se lava consciencieusement les seins et le haut des cuisses puis, sortant de l'eau, courut se laisser choir entre les bras du portefaix qu'elle commença à interroger à son tour :
-Ô toi, le tréfonds de mon cœur, peux-tu me dire ce qu'est ceci ?
-C'est ta fissure, se hasarda le portefaix.
Elle se mit à le frapper si fort que toute la salle retentit du bruit de ses coups.
-You!... criait-elle. N'as-tu pas honte ?
-Alors ta matrice ?
-Fi donc! Quel vilain mot! S'esclaffèrent les deux autres sœurs en le brutalisant de plus belle.
-Alors c'est ton frelon...
-Fi! n'as-tu donc aucune pudeur ? s'indigna la troisième en lui administrant un bon coup de poing.
Et elles ne cessèrent l'une de le bourrer de coups de poing, l'autre de le souffleter; celle-ci de lui flanquer de grandes claques, celle-là de le battre comme plâtre...
Mais il n'arrivait toujours pas à donner la bonne réponse.
-Matrice... mortier... pendentif...
-Non, non!... tu n'y es pas du tout! S'entendait-il répondre.
Alors, avouant sa défaite, il risqua pour finir :
-...plante aromatique des ponts...
Ce dont les trois sœurs rirent si fort qu'elles en tombèrent à la renverse, avant d'assaisonner mieux que jamais la nuque du malheureux portefaix.
-Tu ne devines vraiment pas ?
-Je ne sais plus, sœurette, confessa le jeune homme.
-Que n'as-tu trouvé la réponse! Sache donc qu'on l'appelle : la graine de sésame décortiquée!...
-Louanges à Dieu qui m'a délivré! Clama le portefaix. Ce sera donc la graine de sésame décortiquée!...


Giulio Rosati (1858-1917) ; Les favorites [détail]


Comme ils en avait fini de la devinette, la belle enfant nue remit un semblant d'ordre dans sa tenue et tous se remirent à boire, ce qui fit oublier pendant une nouvelle heure de temps au jeune homme et sa nuque meurtrie et ses épaules endolories.
Puis la plus âgée et la plus belle des trois sœurs se déshabilla à son tour; ce que voyant, le portefaix porta par avance la main à sa nuque et en frotta la peau endolorie en gémissant :
Aïe!... ma nuque... Mes épaules... pour la gloire de Dieu!...
Mais l'adolescente, se montrant enfin dans sa nudité, plongeait déjà et disparaissait au fond de la piscine. Quand elle reparut, le portefaix oublia tout : il trouva qu'elle ressemblait à un fragment de lune; que son visage, lui, était la lune pleine dans tout son éclat... ou la clarté de l'aurore au-dessus de l'horizon... Il la contemplait sans cacher son plaisir, appréciant à leur juste valeur sa taille, ses seins bien arrondis, la lourde croupe qui frémissait au moindre de ses mouvements. Et la belle enfant se laissait admirer, aussi nue qu'Allah, son seigneur, l'avait créée. Soupirant d'émotion, le portefaix lui dédia alors ces vers :

Ô taille parfaite que la tienne!
Si je la compare au rameau flexible et tendre,
je te calomnie, chargeant ma conscience
d'une faute impardonnable.

Car le rameau n'a de beauté
que s'il est revêtu de feuilles,
tandis que tu n'es belle
que dans la plus entière nudité

et ces vers encore :

Quelle est donc cette flèche
que ton regard
a planté solidement
au fond de mon cœur ?

Tes joues seraient des roses pourpres,
n'était le grain de beauté qui les marque
d'un point noir. Ta taille est une lance,
mais la lance est rigide,

au lieu que toi, pour mieux nous émouvoir,
tu la ploies en marchant : moins par nonchaloir
que par sympathie envers ceux
que tourmente l'affliction des cœurs.

Malheur à la troupe
des passionnés d'amour!
Que de souffrances, que de blessures!...
et pour finir, quelle peine!...


Jean-Léon Gerôme (1858-1904) ; Femme nue, 1889


Il avait à peine fini de déclamer qu'elle ressortait de l'eau et se précipitait, comme avait fait ses sœurs, dans le creux de ses bras. Enfin, désignant elle aussi du doigt sa partie chaude, elle l'interrogea :
-Dis-moi donc, ô petite prunelle de mes yeux! Ô mon petit foie!... quel nom donnes-tu à ceci ?
Le portefaix répondit avec une feinte assurance :
-La plante aromatique des ponts!
-Hou!
-La graine de sésame décortiquée!
-Hou!
-Ta petite matrice...
-You!... n'a-t-il pas honte!
Et la main s'abattit sur la nuque du malheureux jeune homme à coups redoublés. Il avait beau hasarder de nouvelles réponses, invariablement on lui répondait :
-Non, non et non!
A la fin, n'en pouvant plus de pinçons, de morsures et de coups et sentant sa nuque enfler, il commença à trouver le procédé un peu rude et implora d'un air sombre :
-Allons! Sœurette, dis-moi donc ce qu'il fallait dire...
-Que ne l'as-tu appelé : les entrepôts du Père-la-Joie ?...
Et le portefaix, enfin soulagé, d'éclater de rire.
-Bravo!... bien trouvé!... Les entrepôts du Père-la-Joie!...


Jean-Léon Gerôme (1858-1904) ; Femmes du Harem au bain maure


Sur quoi l'adolescente reprit son vêtement, et tous quatre ne se firent pas prier pour continuer la fête. Et la coupe circula entre eux une bonne heure encore de temps...
Soudain le portefaix se leva et on le vit à son tour se dépouiller de sa vêture, révélant au regard de ses compagnes l'objet qui se dressait entre ses cuisses. D'un bond il plongea dans la piscine où il s'ébroua et se frictionna vigoureusement. Il se rafraîchit enfin la barbe et les aisselles et, tout ragaillardi, s'élança hors de l'eau et courut s'affaler dans le giron de la plus belle, tout en laissant sa main errer sur le sein de la jolie portière, et confiant ses jambes et ses pieds aux caresses de l'aimable intendante. Désignant alors son sexe de sa main, il interrogea ses trois amies :
-Ô dames, pouvez-vous me dire ce qu'est cette chose ?
Les « pucelles » se regardèrent et se mirent à rire. Cette manière d'agir leur plaisait visiblement; de même était-il clair que leur hôte prenait un vif plaisir à s'exhiber ainsi devant elles, son caractère, sur ce point, s'accordant fort bien au leur.
L'une des dames lança une première réponse :
-C'est ton zebb...
-N'avez-vous pas honte ? Ce que vous dites là est trop laid!
-C'est ton membre viril, fit l'autre.
-Soyez décentes, qu'Allah vous confonde!
-C'est l'objet qui se dresse, risqua la troisième.
Puis toutes à qui mieux mieux :
-C'est ta mamelle.
-Non!
-Ce sont tes bourses.
-Que non!
-Ton pilon.
-Non, non et non!
De guerre lasse, elles implorèrent :
-Allons, dis-nous quel est son nom!
Mais il était trop occupé à prendre sa revanche, embrassant l'une, caressant le menton de l'autre, accrochant la troisième avec les dents, pinçant celle-ci, mordant celle-là, tandis qu'elles en riaient jusqu'à tomber à la renverse. A la fin, n'en pouvant plus, elles le supplièrent :
-Frérot, s'il te plaît, dis-nous le nom de cet objet ?
-Vraiment, vous ne savez pas ? s'étonna le portefaix. Eh bien! sachez qu'on l'appelle Mulet Hardi...
-Et pourquoi donc Mulet Hardi ? pouffèrent-elles.
-Parce qu'il broute la plante aromatique des ponts, avale la graine de sésame décortiquée et s'ébroue dans les entrepôts du Père-la-Joie...
Elles s'esclaffèrent, se renversèrent sur le dos et faillirent perdre le sens à force de rire. Puis nos quatre convives revinrent à leur festin et continuèrent à banqueter jusqu'à la tombée de la nuit.


Jean-Léon Gerôme (1858-1904) ; La fumeuse de houkah, 1898


L'une des dames lança alors au portefaix :
-Au nom de Dieu, ô maître, il est temps que tu te lève et nous fasse l'honneur de partir d'ici!... Allons! Enfile tes sandales, tourne les talons et cours nous faire admirer de loin la largeur de tes épaules...
-Que je m'en aille ? s'écria le portefaix. Mais existe-t-il hors de chez vous un seul endroit au monde où je puisse trouver du repos ? Par Dieu, je vous l'assure, il est plus facile à mon souffle d'abandonner mon corps qu'à ma personne de quitter cette maison! Je vous propose plutôt de lier la nuit qui commence au jour qui vient de finir, et demain matin, chacun s'en ira sur le chemin de sa destinée...
-Par Dieu! mes sœurs, intervint alors l'intendante, cet homme à raison. Je vous en conjure, oui, par Dieu! Par le prix de ma vie à vos yeux! Gardons-le cette nuit avec nous. Nous avons encore bien d'autres jeux à partager avec lui, bien d'autres propos aiguisés à échanger en sa compagnie. Qui peut nous assurer que nous vivrons assez longtemps pour rencontrer un jour un autre galant de son espèce ? Il est beau garçon, dévergondé, et cela ne l'empêche pas d'avoir des manières...
Les trois en convinrent volontiers et déclarèrent :
-D'accord, nous acceptons que tu passes la nuit chez nous, mais à la condition expresse que tu te soumettes à notre loi et agisse en toutes choses selon notre bon vouloir. Tout ce que tu nous verra faire, tout ce que tu observeras autour de nous... ne cherche pas à en percer la raison. Ne te mêle pas de ce qui ne te concerne pas... et tu éviteras ainsi à tes oreilles d'entendre des choses qui pourraient n'être point à ton goût. Telle est la condition unique que nous mettons à notre autorisation. Rien de plus. Mais tu devras t'y tenir quels que soient les gestes que tu nous verra faire.
-Oui, oui et oui! Acquiesça aussitôt le portefaix. A partir de cet instant, je suis sourd et aveugle!
-Alors lève-toi et va lire ce qui se trouve écrit sur la porte du vestibule.
Il se dirigea vers la porte en question et vit qu'on y avait gravé en lettres d'or fondu cette sentence :
« celui qui parle de choses qui ne le concernent point s'expose à entendre des paroles qui ne lui plairont point. »
-Mes dames, déclara-t-il en revenant vers elles, je le jure devant vous, je me tairai sur tout ce qui ne me regarde pas.
Elles reçurent sa promesse, puis l'intendante se leva pour aller préparer un souper fin. Ils allumèrent cierges et lampions après avoir eu soin de fixer dans la cire des grains d'ambre et des brins d'aloès afin de parfumer l'air de la salle, et passèrent à table. On but encore, on échangea de doux propos et des anecdotes piquantes mettant en scène des personnages célèbres pour leur talent ou pour leur génie... et la soirée passa ainsi, plus calmement que la journée qui l'avait précédée.
Étendus parmi les fruits savoureux, rafraîchis par les boissons convenables, ils s'occupèrent de la sorte un bon moment à manger et à boire, à deviser et à goûter des friandises variées, à rire et à plaisanter. [...]


Les Mille et Une Nuits ; Le portefaix et les dames ; Texte établi sur les manuscrits originaux par René R. Khawam


Edouard Bernard Debat-Ponsan (1847-1913) ; Le massage, 1883

10 commentaires:

Anonyme a dit…

N'importe quoi, l'Ogre !! Cette histoire ne peut pas être terminée !! Le jeune homme déroge forcément à la règle, c'est obligé ... Il est bien évident qu'il ne pourra pas respecter cette seule loi, ou qu'il devra passer par de grandes souffrances pour y arriver (à la respecter) !!

Oui, bon, mes phrases ne sont pas bien claires ... mais je parle ici sous le coup de la colère (petite, hein, la colère ...) ... et puis je vois bien qu'elle n'est pas terminée, cette histoire ... Les points de suspension entre crochets ne sont pas là uniquement pour faire joli ...

... siouplé, l'Ogre ... pourriez-vous mettre la suite ...?! Allez quoi ...

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Anonyme a dit…

...Non !!! Ah, ah, je vous tiens là... Il n'y aura pas de suite... En tous cas, ce n'est pas prévu pour le moment... Mais je peux vous donner les références de l'ouvrage si cela vous intéresse tant de connaître la suite... ou bien, il faudra m'inviter...
Voyez, z'avez le choix, Chère Petite Princesse...

Anonyme a dit…

... hum ... choix cornélien ...

H a dit…

Très belles illustrations, du temps où la mode était aux femmes rondelettes :)

Anonyme a dit…

...Hélas... que ne l'est-elle restée...

Anonyme a dit…

... la mode, on s'en fout ...

Anonyme a dit…

aaarggh ! Cruel et injuste que vous êtes ! Ceci est parfaitement inhumain !
Quelle fin amère... Et vous osez affirmer que suite il n'y aura pas ? Cela vous plait-il de nous faire languir, de nous manipuler, de nous faire souffir, dépérir, morfondre ???

Et moa qui imaginais déjà un retournement à la hauteur du plaisir que j'eus à prendre connaissance de ce conte ! Sont-ce des psychopathes cannibales, ces damoiselles ?
Allez, avouez, j'en suis certaine !

Anonyme a dit…

...Mais vous voulez donc ma mort, ma Noble Fée... Il reste au moins cinquante ou cent pages à ce conte... et mes petits doigts en mourraient... M'enfin !!! je ne promet rien, hein, mais je verrai ce que je puis faire pour vous être agréable ainsi qu'à la Petite Princesse... D'accord ???

Anonyme a dit…

D'accord...
:)


(Même que si vous avez l'extrème bonté d'accéder à nos désirs, je pourrais vous offrir... une poésie ? Un chant ? Un lait-fraise ? Demandez toujours...)