dimanche 9 mars 2008

La terre n'est à personne, les fruits sont à tout le monde...




Élisée Reclus




Clarens, Vau, le 26 septembre 1885


Compagnons,

Vous demandez à un homme de bonne volonté, qui n'est ni votant ni candidat, de vous exposer quelles sont ses idées sur l'exercice du droit de suffrage.
Le délai que vous m'accordez est bien court, mais ayant, au sujet du vote électoral, des convictions bien nettes, ce que j'ai à vous dire peut se formuler en quelques mots.
Voter, c'est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à sa propre souveraineté. Qu'il devienne monarque absolu, prince constitutionnel ou simplement mandataire muni d'une petite part de royauté, le candidat que vous portez au trône ou au fauteuil sera votre supérieur. Vous nommez des hommes qui sont au-dessus des lois, puisqu'ils se chargent de les rédiger et que leur mission est de vous faire obéir.
Voter, c'est être dupe ; c'est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d'une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. Vos mandataires ayant à légiférer sur toutes choses, des allumettes aux vaisseaux de guerre, de l'échenillage des arbres à l'extermination des peuplades rouges et noires, il vous semble que leur intelligence grandisse en raison même de l'immensité de la tâche. L'histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.
Voter, c'est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l'honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages – et peut-être ont-ils raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l'homme change avec lui. Aujourd'hui, le candidat s'incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L'ouvrier, devenu contremaître, peut-il rester ce qu'il était avant d'avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n'apprend-il pas à courber l'échine quand le banquier daigne l'inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l'honneur de l'entretenir dans les antichambres ? L'atmosphère de ces corps législatifs est malsaine à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s'ils en sortent corrompus.
N'abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d'autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d'action futur, agissez ! Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c'est manquer de vaillance.
Je vous salue de tout coeur, compagnons.

Élisée Reclus,

Lettre adressée à Jean Grave
(in Le révolté, 11 octobre 1885)





Louise Michel










11 commentaires:

Anonyme a dit…

Hum ... J'ai voté ... et j'en suis fière.

Cette façon de fonctionner n'est peut être pas la meilleure, mais le vote nous permet de nous exprimer, de choisir ... Et dans ce mode de fonctionnement, il me semble que celui qui, délibérément, ne va pas voter, n'a pas le droit de se plaindre par la suite ...

C'que j'en dis ...

Anonyme a dit…

tout à fait d'accord avec vous petitchap...
le droit de vote notamment celui des femmes a été acquis dans la douleur (cf les sufragettes et compagnie). il est considéré par beaucoup comme le premier moyen d'expression dans une démocratie. Ne pas le respecter relève de la liberté de chacun, mais n'oubliez pas que ce droit est bafoué dans de nombreux pays.

Anonyme a dit…

Point besoin de participer à la farce représentative pour abdiquer. La plupart le fait chaque jour, au boulot, à l'école, à l'heure de payer ses impôts.

Alors cracher sur le suffrage universel, ça me fait un peu rire, c'est un bon bouc-émissaire. Le tenir pour sacré aussi en fait. Les élections libres, c'est un peu l'oripeau de Bush au Proche-Orient hein...

Le suffrage universel n'est qu'un outil parmi d'autres. Ni plus, ni moins.

link886 a dit…

ouai euhh.. d't'manière, tous pourris...

H a dit…

Euh, bon, j'arrive comme un cheveu sur la soupe là, et forcémenent, je suis un peu hors-sujet.

Mais ayant quelque peut vogué sur votre site, je me disais qu'un ogre, même étant ogre, pouvait avoir peur aussi quand il était petit, non ?

Alors, Monsieur l'Ogre, de quoi aviez-vous peur quand vous étiez petit ?

(Et pour voir le billet, ben c'est sur mon blog ;)

Anonyme a dit…

Churchill a dit un jours que la démocratie est le pire des régime a l'exception de tous les autres.
Mais comment ne pas être représenté? Peut-on être boulanger ou técaire et député en même temps? Il faut tout de même reconnaitre que le suffrage universel est une avancée dans l'histoire de l'humanité. Si je refuse de concidérer la démocratie comme le régime ultime de la liberté, elle permet au peuple une certaine mesure de souveraineté. L'homme aura-t-il toujours besoin d'un maître ou apprendra-t-il a vivre sans hiérarchie et ordre social?

Anonyme a dit…

Ben dites donc, l'Ogre, voilà un article qui suscite des commentaires ...!!

Moi, quand j'étais petit, j'avais peur des ... Ogres ...!!^^

Anonyme a dit…

Voter... Trahison... Courber l'échine...
Voilà donc l'antre de l'Ogre au lait-fraise ! Depuis le temps que vous insinuez que je glande rien...

Evidemment, je me joint à Link sur ce qui est du sujet profond de cet article. Et j'ajouterais que l'homme se soumettant à l'homme détient une part d'inconscience... Et d'idiotie. Si l'homme doit se soumettre à quelqu'un, c'est bien aux divins pieds de la Tavernière. Nan mais ! :D

A la Vôtre, Ogrichon que vous êtes ! Z'avez le bonjour de la patronne !

Anonyme a dit…

..."La démocratie, c'est la dictature de la majorité", fait dire pierre Desproges à un royaliste dans un sketch du 3 mars 1986, intitulé "La démocratie"... C'est sur que vu comme ça...
Mais Jean-Jacques d'ajouter : "S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes." Et Ernest Renan d'ajouter : " L'election encourage le charlatanisme"... Ce que j'en dis...
Pour le reste, ce post voulait encourager une reflexion ou un avis, et dans cette perspective, je dois dire que je ne suis pas déçu... Merci à tous pour votre contribution !!!

PetitChap >> Qu'est-ce donc que ce meilleur qui nous empêcherait de nous plaindre ???

K.mer >> Ne pas voter n'est pas nécessairement penser que celui-ci n'est pas respectable... On peut simplement considérer qu'il n'est pas suffisant et que l'on ne peut pas toujours laisser parler des "représentants" à notre place !
Bienvenue dans l'antre...

Iyhel >> Pas sur d'avoir tout compris... Mais entièrement d'accord avec le premier point que vous soulevez... En revanche, l'idée de bouc-émissaire...
Bienvenu(e) aussi dans l'antre...

Link >> Même toi, je sais, je sais... Rendors-toi, ça va passer...

Chryseis >> Ravi de vous accueillir enfin ici... Quand j'étais petit, j'avais peur de ne pas avoir peur... J'ai été servi... j'arrive pour vous raconter ça...

Ulmoyavanna >> Je sens qu'il va y avoir encore une sacré tempête de neige pour te voir ramener ta fraise par ici... C'est pô trop tôt...
Le moyen de ne plus être représenté c'est de se représenter soi-même !!! Quand aux mots : maître, hiérarchie, ordre social... ils expriment bien toute la misère de notre époque...
Merci de ramener ta sale tête souvent...

Noble Fée >> Je me rends tout entier à votre volonté et à vos arguments... Je me prosterne bien bas (aïe...) devant vos Divins Pieds et vous pouvez disposer de moi comme bon vous semblera, Sublime Maîtresse...

L'Ogre >> Cette petite phrase à méditer avant d'aller dormir :
"Les gouvernements démocratiques sont ceux qui plus facilement osent faire tout le contraire de ce que les masses désirent. Aussi, est-ce précisément là où le peuple, en principe, gouverne, qu’il est le plus souvent irrité contre le gouvernement : c’est-à-dire, au moins théoriquement, contre lui-même."
FERRERO Guglielmo Ferrero, historien italien (1871-1943)

Anonyme a dit…

Elections, pièges à cons ? peut-être, mais sans élections, c'est pareil... (c'est pire, même)
Alors amusons-nous, comme à la foire, au jeu de massacre, à leur envoyer des urnes dans la figure ! (et je suis polie)

Anonyme a dit…

... je sais, je sais ... j'avais promis ... désolée ... mais je suis passée à la Taverne ...