mercredi 26 mars 2008

J'ai de mes ancêtres gaulois l'oeil bleu blanc, la cervelle étroite, et la maladresse dans la lutte...

Chapitre 6




"Prêtres, professeurs, maîtres, vous trompez en me livrant à la justice. Je n'ai jamais été de ce peuple-ci ; je n'ai jamais été chrétien ; je suis de la race qui chantait dans le supplice ; je ne comprends pas les lois ; je n'ai pas le sens moral, je suis une brute : vous vous trompez..."Oui, j'ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d'une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. - Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu'ils demandent à être bouillis. - Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables. J'entre au vrai royaume des enfants de Cham.Connais-je encore la nature ? me connais-je ? - Plus de mots. J'ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l'heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

Arthur Rimbaud ; Une saison en enfer ; Mauvais sang, 1873




Aden 22 nov[em]bre 1887

Mes chers amis
J'espère que vous êtes en bonne santé et en paix, et je suis en bonne santé aussi, mais pas précisément en paix, car je n'ai encore rien trouvé à faire, quoique je pense accrocher prochainement quelque chose.
Je ne reçois plus de vos nouvelles, mais je suis rassuré à votre égard.
Quel est le nom et l'adresse des députés des Ardennes, particulièrement celui de votre arrondissement ? Il se pourrait que j'aie à faire prochainement une demande à un ministère, pour quelque concession dans la colonie d'Obok, ou pour la permission d'importer des armes à feu pour l'Abyssinie par la dite côte, et je ferais appuyer ma demande par votre député.
Enfin où se placent les fonds pour rentes viagères ? Est-ce au gouvernement ? Puis-je avoir une rente viagère à mon âge ? Quel intérêt aurais-je ?
Bien à vous

Rimbaud
Poste restante
Aden cantonment
British Colonies





Aden 15 décembre 1887

Mes chers amis,
J'ai reçu votre lettre du 20 novembre : je vous remercie de penser à moi, je vais assez bien, mais je n'ai encore rien trouvé de bon à mettre en train.
Je vous charge de me rendre un petit service qui ne vous compromettra en rien, c'est un essai que je voudrais faire, si je pouvais obtenir l'autorisation ministérielle et trouver ensuite des capitaux.
Adressez la lettre ci-jointe au député de l'arrondissement de Vouziers, en ajoutant son nom et le nom de l'arrondissement dans l'en-tête intérieur de la lettre, et cette lettre au député doit contenir la lettre au ministère ; ayez seulement soin d'ajouter le nom du député que je charge des démarches, aux plages laissées en blanc à la fin de la lettre au ministre. Cela fait, vous adressez la lettre à l'adresse du député en y enfermant la lettre au ministère laissée ouverte.
Si c'était M. Corneau, marchand de fer, le député de Charleville actuellement, il vaudrait peut-être mieux que cela lui soit envoyé, comme il s'agit d'une entreprise métallurgique, et, alors ce serait son nom qui devrait figurer aux blancs de la lettre, et à la fin de la demande au ministère.
Sinon, et comme d'un autre côté, je ne suis pas au courant des cuisines politiques actuelles, adressez au député de votre arrondissement au plus tôt. Vous n'avez rien à faire que cela, et par la suite rien ne vous sera adressé, car vous voyez que je demande au ministre de me répondre au député, et au député de me répondre ici au consulat.
Je doute que cette démarche réussisse à cause des conditions politiques actuelles sur cette côte d'Afrique, mais enfin cela ne coûte que du papier pour commencer.
Ayez donc la bonté d'adresser cette lettre au député (contenant la demande au ministère) au plus tôt et sans aucune annotation ; l'affaire avancera toute seule si elle doit avancer.
J'adresse cela par votre entremise parce que je ne connais pas l'adresse du député, et que je ne veux pas écrire au ministre sans joindre une recommandation à ma requête. J'espère que ce député fera quelque chose. Enfin il n'y a qu'à attendre. Je vous dirai par la suite ce qu'on m'aura répondu, si on me répond, ce que j'espère.
J'ai écrit la relation de mon voyage en Abyssinie pour la Société de géographie. J'ai envoyé des articles au Temps, Figaro etc... J'ai aussi l'intention d'envoyer au Courrier des Ardennes quelques récits intéressants de mes voyages dans l'Afrique orientale. Je crois que cela ne peut pas me faire de tort.
Bien à vous.

Répondez-moi à l'adresse suivante exclusivement :
A. Rimbaud, poste restante Aden-Camp
Arabie



Cliché : Georges Révoil, 1882



A M. Fagot

Aden, le 15 décembre 1887

Monsieur,
je suis natif de Charleville (Ardennes), et j'ai l'honneur de vous demander par la présente de vouloir bien transmettre, en mon nom, en l'appuyant de votre bienveillant concours, la demande ci-jointe au ministre de la Marine et des Colonies.
Je voyage depuis huit années environ sur la côte orientale d'Afrique, dans les pays d'Abyssinie, du Harar, des Dankalis et du Somal, au service d'entreprises commerciales françaises, et M. le Consul de France à Aden, où j'élis domicile ordinairement, peut vous renseigner sur mon honorabilité et mes actes en général.
Je suis un des très peu nombreux négociants français en affaire avec le roi Ménélik, roi du Choa (Abyssinie méridionale), ami de tous les pouvoirs européens et chrétiens, - et c'est dans son pays, distant d'environ 700 kilomètres de la côte d'Obock, que j'ai l'intention d'essayer de créer l'industrie mentionnée dans ma demande au Ministère. Mais, comme le commerce des armes et munitions est interdit sur la côte orientale d'Afrique possédée ou protégée par la France (c'est-à-dire dans la colonie d'Obock et les côtes dépendantes d'elle), je demande par la présente au Ministère de me donner une autorisation de faire transiter le matériel et l'outillage décrits, par la dite côte d'Obock, sans m'y arrêter, que le temps nécessaire à la formation de ma caravane, car tout ce chargement doit traverser les déserts à dos de chameaux. Comme rien de ce matériel ni de cet outillage ne doit rester en retard sur les côtes que vise la prohibition, comme rien de tout le dit chargement n'en sera distrait, ni en route, ni à la côte, et que l'importation dudit matériel et outillage est exclusivement destinée au Choa, pays chrétien et ami des Européens ; et comme je dois m'engager à m'adresser, pour la dite commande, à des capitaux français et à l'industrie française exclusivement, j'espère que le ministre voudra bien favoriser ma demande et m'envoyer l'autorisation dans les termes requis, c'est-à-dire : laisser passer sur toute la côte d'Obock et les côtes Dankalies et somalies adjacentes, protégées ou administrées par la France, la totalité de la dite commande à destination du Choa.
Permettez-moi, monsieur, de vous prier encore une fois d'appuyer ma demande auprès du Ministère dont je vous serai obligé de me faire parvenir la réponse.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération très distinguée.

Arthur Rimbaud
Adresse : au Consulat de France,
Aden (Colonies anglaises).
Monsieur Fagot,
député de l'arrondissement de Vouziers,
département des Ardennes.







Au ministre de la Marine et des Colonies

Aden, 15 décembre 1887

Monsieur le Ministre,
J'ai l'honneur de vous demander par la présente une autorisation officielle de débarquer sur les territoires français de la côtes orientale d'Afrique, comprenant la colonie d'Obock, le protectorat de Tadjourah et toute l'étendue de la côte Somalie protégée ou possédée par la France, les marchandises suivantes, à destination du roi Ménélik, roi du Choa, où elles doivent être rendues par caravanes devant se former à ladite côte française :
1° Toutes les matières, l'outillage et le matériel requis pour la fabrication de fusils à percussion centrale système Gras ou Remington.
2° Toutes les matières, l'outillage et le matériel requis pour la fabrication des cartouches aux dits fusils, des amorces de cartouches, et des capsules de guerre en général.
Je m'adresserai pour le tout à des capitaux français et à l'industrie française, et l'établissement de cette industrie au Choa devra être confiée à un personnel français. Il s'agit de l'essai d'une entreprise industrielle française à 700 kilomètres des côtes, au profit d'une puissance chrétienne, intéressante, amie des Européens et des Français en particulier, et l'autorisation demandée doit simplement accorder et protéger le transit de la dite caravane à la côte, où le commerce des armes et des munitions est d'ailleurs défendu.
Agent de commerce français, voyageant depuis environ huit années sur la côte orientale d'Afrique, honorablement connu de tous les Européens, aimé des indigènes, j'espère, Monsieur le Ministre, que vous voudrez bien m'accorder ma demande ; que j'ai l'honneur de faire aussi au nom du roi Ménélick, et j'attendrai la réponse du Ministère par les soins de M. Fagot, député de l'arrondissement de Vouziers, département des Ardennes, d'où je suis originaire.
Agréez, monsieur le Ministre, l'assurance de mes respects très dévoués.

Arthur Rimbaud
Adresse : au Consulat de France, Aden (Arabie).
le ministre de la Marine et des Colonies,
A Paris.



6 commentaires:

Anonyme a dit…

... magouilles et corruption, pas bien beau tout ça ...!

[attention, question idiote ...:] les ministres et autres députés sollicités connaissaient-ils les écrits de Rimbaud ? Est-ce que cette notoriété l'a aidée dans ces demandes de traffics ?

Et quelle a été la réponse du ministre ? J'imagine que le traffic a été autorisé ...

Anonyme a dit…

...Vous le saurez, en ne ratant pas le prochain épisode de cette fabuleuse saga, et en vous abonnant dès aujourd'hui, pour une modique somme....
Mais, je puis du moins, répondre à ceci : Rimbaud, était à cette époque absolument inconnu du grand public. Seul le milieu, très fermé de certains cercles littéraires avait entendu parler (plus souvent qu'il n'avait lu d'ailleurs...)de cet auteur... Certains poèmes avaient et ont été publié à cette époque dans certaines gazettes littéraires très confidentielles sous l'impulsion de Paul Verlaine en priorité, puis de Léon Vanier... Rimb. avait fait publier à compte d'auteur, son volume d'"une saison en enfer" en 1873. Seuls quelques dizaines de volumes nous sont parvenus, le reste ayant été brûlé par son auteur quelques semaines après sa publication... Je vous laisse imaginer la "cote" de l'article en question...

Anonyme a dit…

Hou hou ... je vais aller faire les fonds de greniers de mes grands-parents, ainsi que les fonds de réserves de la médiathèque ... Avec un peu de bol, j'en trouverai un exemplaire ...!
Il va sans dire que si j'en trouve un, je vous paierai un petit lait-fraise. Je ne suis pas ingrate ...!!

Anonyme a dit…

Cher Ami, ce n'est pas pour l'article que je me suis déplacée jusqu'à votre humble bois.

Nous voilà déjà en train de divorcer alors que nous sommes aucunement liés, vous et moa. Pourtant, il semblerait que nous soyons incapables de finir une discussion sans emportement !

Oh, il ne s'agit pas de lancer la faute sur quiconque, ni comme il n'a jamais été dans mon intention de vous chasser, je suis bien trop faible pour cela.
Seulement, vous avez mérité mon courroux ! Je... je ne sais plus que penser de vous, très cher ! Voyez vous-même : l'enchantement de votre présence, de votre prestance et de vos discours mêlé à votre comportement odieux ; cela... cela est bien trop imprévisible pour que vous puissez vous en sortir sans réaction de ma part !
Oh, et puis, dites-moa pas que je suis en train de me justifier ?! Vous êtes seul responsable de notre différent. Vous avez à jamais mon amitié. A vous de ne pas vous en servir à tord et à travers.
Au plaisir.

Anonyme a dit…

...Sachez, Noble Fée, que je ne vous en veux aucunement, ni de rien, et que je suis bien d'accord avec vous sur tout....
Je vous fais ma révérence, Très Noble Fée.

Anonyme a dit…

Oh, malgré vous, je sens bien que vous me boudez ! Ne me boudez plus ! Ou bien souriez, ou bien gueulez un bon coup, qu'on en finisse !^^
Un p'tit verre ?