Le 4 février 1794, pour la première fois dans l’histoire, fut proclamée par la Convention nationale, l’abolition de la traite et de l’esclavage, près de 4 ans après l’adoption par l’Assemblée de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Mais l’abolition, appliquée dans toutes les colonies françaises, sauf à l’île Bourbon et aux Mascareignes, fut révoquée en 1802 par un certain... Napoléon Bonaparte. Il fallut attendre le 27 avril 1848 pour que le gouvernement provisoire de la République abolît par décret l’esclavage. Désormais, selon l’article 7 du décret d'abolition immédiate de l’esclavage : « Le sol de France affranchit l’esclave qui le touche ».
1794 : la première abolition
La République proclame la liberté universelle : le débat à la Convention en l'an II
En octobre 1790, une rébellion éclate dans la partie française de Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, regroupant la majorité des esclaves français. L'Assemblée nationale constituante avait en août 1789 aboli les privilèges et proclamé l'égalité. Or les colons refusent d'appliquer aux "mulâtres" le droit de vote que le décret de l'Assemblée nationale du 28 mars 1790 accordait aux hommes libres âgés de vingt cinq ans. Vincent Ogé et Jean-Baptiste Chavannes prennent les armes contre les Blancs. Ils sont capturés, torturés par le supplice de la roue et exécutés le 25 février 1791. Le 22 août 1791 éclate une grande insurrection de près de 50 000 esclaves qui, en dépit de l'adoption par l'Assemblée nationale de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon laquelle « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », n'ont pas été libérés. Les esclaves, tenus d’obéissance absolue à leur maître jusqu’à leur mort ou, du moins, leur affranchissement, se révoltent contre les planteurs, sous la direction d'un des leurs, Boukman, puis de Jean-François et Biassou, afin d’obtenir leur libération. Bientôt Toussaint Louverture, esclave noir affranchi, prend la direction de l’armée noire. Les colons en appellent à l’Angleterre alors que les Espagnols aident les esclaves. La loi du 4 avril 1792 reconnaît l’égalité politique des mulâtres mais les propriétaires répugnent toujours à appliquer la loi. Après la proclamation de la République une commission, composée des commissaires de la République Léger-Félicité Sonthonax, Etienne Polverel et Ailhaux, est envoyée sur place afin de faire appliquer la loi. La tension est vive entre les colons blancs, les mulâtres, les Noirs affranchis et les esclaves. Les troupes de la République appuyées par les esclaves insurgés sont victorieuses. Sonthonax proclame le 29 août 1793 de sa propre initiative l’émancipation des esclaves - suivi de Polverel dans deux autres provinces de la colonie- et organise l'élection de députés.
L’île de Saint-Domingue envoie à Paris, à la Convention, un député blanc, Louis-Pierre Dufay, un mulâtre libre, Jean-Baptiste Mills et un ancien esclave noir, Jean-Baptiste Belley. Les trois députés se présentent à la Convention le 15 pluviôse an II (3 février 1794) au terme d’un long parcours semé d’embûches : embarqués pour Philadelphie, ils sont pris à bord à New York à bord d'un navire qui les amène à Lorient. Mais ils sont écroués sous l'instigation de colons et inculpés d'intelligence avec les Girondins. Libérés ils sont admis à siéger à la Convention le 3 février 1793. Représentant aux yeux de l'assemblée l'association de trois couleurs, le blanc, le rouge et le noir, ils reçoivent l'accolade du Président, Vadier.
Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson (1767-1824)
Jean-Baptiste Belley, ex-représentant des colonies (1747-1805), 1797 huile sur toile (159 x 111 cm)Versailles, musée national du château et de Trianon
Le lendemain, les conventionnels entendent l'un d'entre eux, le colon Louis-Pierre Dufay. Au discours de Dufay, relatant l'oppression et l'humiliation des esclaves et les affres de leur condition, succède celui de Danton défendant, sous les applaudissements, l'extension au nouveau monde de « la liberté universelle ». Puis la Convention décrète l'abolition de l'esclavage, votant par acclamation le texte rédigé par Lacroix et donnant satisfaction à Toussaint Louverture, le chef des esclaves noirs insurgés.
[...] Il convient, Messieurs, de ne pas perdre un moment pour rassurer les planteurs et pour les ramener aux sentiments d'amour et d'attachement qu'ils doivent à la mère patrie. Il faut ôter tout prétexte aux ennemis étrangers et intérieurs ; il faut donc que l'Assemblée décrète que la traite des Noirs sera continué comme par le passé.
Ici j'aperçois la Déclaration des Droits de l'homme qui repousse ce décret ; cette Déclaration, Messieurs, est un fanal lumineux qui éclairera toutes les décisions de l'Assemblée nationale qui auront la France pour objet ; mais j'aurai le courage de vous dire que c'est un écueil placé dans toutes nos relations extérieures et maritimes. Il est nécessaire de tourner ce danger contre lequel nos navires et la fortune publique se briseront. En renvoyant à la prochaine législature, en ajournant indéfiniment, en disant qu'ils n'y a eu à délibérer, en usant de ces palliatifs, on ne calmerait pas les inquiétudes des ports de mer, on donnerait de nouvelles armes dans les colonies aux ennemis de l'État qui interpréteraient défavorablement ce décret. Il faut donc que l'Assemblée nationale n'entend faire aucune application de ses décrets aux colonies, et que leur commerce ainsi que toutes les branches qui en dépendent seront exploités comme par le passé, sauf à s'expliquer sur leur régime intérieur et extérieur, quand elles auront manifesté leur voeu.
Ce n'est pas tout, Messieurs : les décrets de l'Assemblée nationale peuvent arriver dans nos colonies au moment où la fermentation sera telle que les bons esprits ne pourront plus la dominer, au moment où les Anglais auront tout disposé pour l'insurrection. Je crois donc nécessaire de pourvoir à ce danger et d'envoyer une escadre capable, non d'arrêter l'organisation intérieure de la colonie, mais d'empêcher que nos ennemis ne la dérangent et ne s'emparent de nos possessions, en augmentant le désordre à dessein.
C'est, Messieurs, au nom des finances que la perte de vos colonies ruinerait dans ses ressources, au nom de six millions d'hommes qui en vivent et que le désespoir porterait à tous les excès, au nom de la mendicité que vous voulez détruire et que vous ne pouvez combattre efficacement que par le travail des ports de mer et des manufactures ; c'est au nom même de votre marine militaire nécessaire à la dignité de l'Empire et à sa conservation dans l'étendue de trois cents lieues de la côte, c'est enfin au nom de la Révolution à laquelle vous devez attacher tous les citoyens par les plus puissants intérêts, que je vous conjure de prendre dans la plus prompte et la plus sérieuse considération les divers objets que les députés du commerce, réunis aux citoyens de la Guyane, ont soumis à l'Assemblée nationale. [...]
Mosneron de l'Aunay, Société des Jacobins, 26 février 1790
[...] On fait lecture de l'article 1er, conçu en ces termes : « Article 1er. L'Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, qu'aucune loi sur l'état des personnes ne pourra être faite, par le corps législatif, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales. »
Lucas. Je demande qu'à ces mots, sur l'état des personnes, on ajoute non libres.
Moreau (dit Saint-Méry). Vous savez quels effets ont produit les doutes élevés sur l'article IV des instructions dans l'Assemblée et dans les colonies ; le moment est venu où il est indispensable de s'expliquer clairement. Il ne faut pas dire des personnes non libres, mais des esclaves. (Il s'élève des murmures.) En proposant ce changement de rédaction, je n'ai pas la faiblesse d'abdiquer ce qui est relatif aux hommes de couleur. Je demande donc également l'initiative sur les hommes de couleur.
Robespierre. J'ai une simple observation à faire sur l'amendement. Votre plus grand intérêt est de rendre un décret qui n'attaque pas d'une manière trop révoltante les principes de l'honneur de l'Assemblée. (Il s'élève beaucoup de murmures. -On entend quelques applaudissements.) Dès le moment où dans un de vos décrets vous aurez prononcé le mot esclave, vous aurez prononcé et votre propre déshonneur, et... (Mêmes murmures, mêmes applaudissements.) Je me plains, au nom de l'Assemblée elle-même, de ce que, non content d'obtenir d'elle ce qu'on désire, on veut l'obtenir d'une manière déshonorante pour elle, et qui démentirait tous ses principes. (Nouveaux murmures, nouveaux applaudissements.) Si je pouvais soupçonner que, parmi ceux qui ont combattu les droits des hommes de couleur, il y eût un homme qui détestat la liberté et la constitution, je croirais que, pour servir sa haine, il a voulu vous faire lever le voile sacré et terrible que la pudeur même du législateur... (On applaudit et on murmure.) Je croirais qu'on cherche à se ménager le moyen d'attaquer toujours avec succès et vos décrets et vos principes ; quand il s'agira de l'intérêt direct de la métropole on vous dirait : Vous nous alléguez sans cesse les Droits de l'Homme, et vous y avez si peu cru vous-mêmes que vous avez décrété constitutionnellement l'esclavage. (Il s'élève beaucoup de murmures.)
Lucas. Je demande si les colons doivent délibérer, il est étonnant qu'on les laisse interrompre un orateur qui exprime des sentiments qui doivent être dans le coeur de tous les citoyens.
Robespierre. L'intérêt suprême de la nation et des colonies est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos propres mains les bases de la liberté. Périssent les colonies ! (Il s'élève de violents murmures) s'il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ! Je le répète : Périssent les colonies si les colons veulent, par les menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts ! Je déclare, au nom de l'Assemblée..., au nom de ceux des membres de cette Assemblée qui ne veulent pas renverser la constitution ; je déclare, au nom de la nation entière, qui veut être libre, que nous ne sacrifierons pas aux députés des colonies qui n'ont pas défendu leurs commettants [...] je déclare, dis-je, que nous ne leur sacrifierons ni la nation, ni les colonies, ni l'humanité entière !
[...] Je demande que l'Assemblée déclare que les hommes libres de couleur ont le droit de jouir des droits de citoyens actifs. Je demande de plus la question préalable sur l'article du comité.
Assemblée nationale, 13 mai 1791
Maximilien de Robespierre
[...] Sans perdre de temps à vérifier les nouvelles de Saint-Domingue, on ne peut révoquer en doute qu'il ne s'y fasse dans peu une révolution semblable à la nôtre. L'aristocratie révoltante des Blancs y a provoqué de longue main la vengeance des mulâtres et des Noirs.
Et pourquoi les hommes de couleur en Amérique ne réclameraient-ils pas aussi leurs droits, à l'exemple du peuple de France ? Pourquoi appellerait-on révolte dans nos îles, ce qu'on appelle insurrection à Paris ? Ou nous sommes des rebelles à Paris, ou ils ne sont à Saint-Domingue que des opprimés qui secouent le joug : les mêmes causes doivent donner les mêmes résultats.
On nous embastillait, on nous affamait, on vidait nos bourses, on répandait notre sang pour le bon plaisir du prince et de ses ministres. Une noblesse insolente, un clergé corrompu rampaient à la cour pour en obtenir le droit de nous marcher sur le ventre ; excédés de mauvais traitements, révoltés de l'impudence de ceux que nous qualifions nous-mêmes du titre de grand, nous avons demandé à être entendus : on nous a répondu par des menaces et par l'appareil des supplices. Des grils et des boulets furent apportés jusque devant nos portes, pour nous intimider, si nous eussions été des lâches, pour nous punir, si nous persistions dans nos justes réclamations. L'excès du mal porte avec lui son remède. Nous nous sommes levés avec indignation, et nous nous sommes dit, en nous apercevant de nos forces : Plus de Bastille ! Plus de noblesse insolente ! Plus de clergé corrompu ! Nous voulons la liberté et du pain ; nous avons fermé nos bourses ; et aux baïonnettes, pointées sur nous, nous avons répondu avec des piques, et avec la corde pour les chefs de bande. Le soldat esclave s'est joint au citoyen opprimé ; et les grands, réduits à leurs propres forces, ont fui en pâlissant ; et l'étendard de l'égalité a été déployé aux applaudissements unanimes de vingt-quatre millions d'hommes. Si la cause du despotisme eût triomphé, c'en était fait de nous, la nation insurgée eût été châtiée comme rebelle ; on l'eût décimée, et le reste mis aux fers.
Ce que nous avons fait pour le continent, les insulaires de couleur se proposent aujourd'hui de le tenter, et ils doivent réussir. Ils ont pour eux le climat, le nombre, les forces, et plus de motifs encore que nous. Quoi ! On refuse à trente mille propriétaires, parce qu'ils ne sont pas tout à fait blancs, les droits de citoyens actifs ! Quoi ! Vingt-cinq mille créoles, le fouet levé, font marcher devant eux, et travailler comme des bêtes de somme, cinq cent mille hommes, parce qu'ils sont noirs ; on les vend, on les échange, on les marque au front ou sur les épaules, comme un vil bétail ; on les mutile, on les met à la chaîne ; on les épuise au travail, ou on les fait expirer sous les lanières. L'agriculteur, dans nos contrées, traite plus humainement les animaux de sa ferme. On choisit parmi ces malheureuses créatures les femmes les moins dégradées ou les plus jeunes, pour assouvir les caprices libertins du maître ; et leurs enfants servent de jouet à l'héritier du maître, et en sont les martyrs. [...] La proclamation des droits de l'homme excite la bile du planteur, qui n'a pas plus de principes que d'entrailles ; et l'infâme égoïste ose bien en appeler aux droits de la propriété, quand quelques-uns de ses esclaves brisent son joug, et prennent le chemin des montagnes, où l'aimant de la liberté les attire ! Et parce que l'homme de couleur n'a pu taire ce mot en passant devant la cabane du nègre, il faut que toute la France armée passe vite les mers pour fusiller des hommes nus, sans défense, exténués de besoin, et a qui il reste à peine assez de force pour se dire tout bas à l'oreille l'un de l'autre : et nous aussi, nous sommes nés pour être libres ! [...]
« Révolutions de Paris », n° 121 – 5 novembre 1791
Toussaint-Louverture
Les 15 et 16 pluviôse An II (3 et 4 février 1794)
15 pluviôse (3 février)
Camboulas. Depuis 1789 un grand procès restait en suspens ; l'aristocratie nobiliaire et l'aristocratie sacertotale étaient anéanties, mais l'aristocratie cutanée dominait encore ; celle-ci vient de pousser le dernier soupir : l'égalité est consacrée ; un noir, un jaune, un blanc vont siéger parmi vous au nom des citoyens libres de Saint-Domingue. (On applaudit.)
Danton. Oui, l'égalité est consacrée, mais il faut que l'arbitraire cesse ; et je demande que le comité des colonies vous fasse un rapport sur les persécutions qu'on a fait éprouver aux Noirs en France depuis 1789.
Cette proposition est décrétée.
16 pluviôse (4 février)
Levasseur (de la Sarthe). Je demande que la Convention, ne cédant pas à un mouvement d'enthousiasme, mais aux principes de la justice, fidèle à la Déclaration des Droits de l'Homme, décrète dès ce moment que l'esclavage est aboli sur tout le territoire de la république. Saint-Domingue fait partie de ce territoire, et cependant nous avons des esclaves à Saint-Domingue.
Je demande donc que tous les hommes soient libres, sans distinction de couleur.
Lacroix (d'Eure-et-Loir). En travaillant à la constitution du peuple français nous n'avons pas porté nos regards sur les malheureux hommes de couleur. La postérité aura un grand reproche à nous faire de ce côté ; mais nous devons réparer ce tort. Inutilement avons-nous décrété que nul droit féodal ne serait perçu dans la république française. Vous venez d'entendre un de nos collègues dire qu'il y a encore des esclaves dans nos colonies. Il est temps de nous élever à la hauteur des principes de la liberté et de l'égalité. On aurait beau dire que nous ne reconnaissons pas d'esclaves en France, n'est-il pas vrai que les hommes de couleur sont esclaves dans nos colonies ? Proclamons la liberté des hommes de couleur. En faisant cet acte de justice, vous donnez un grand exemple aux hommes de couleur esclaves dans les colonies anglaises et espagnoles. Les hommes de couleur ont, comme nous, voulu briser leurs fers ; nous avons brisé les nôtres, nous n'avons voulu nous soumettre au joug d'aucun maître ; accordons-leur le même bienfait.
Levasseur. S'il était possible de mettre sous les yeux de la Convention le tableau déchirant des maux de l'esclavage, je la ferais frémir de l'aristocratie exercée dans nos colonies par quelques blancs.
Lacroix. Président, ne souffre pas que la Convention se déshonore par une plus longue discussion.
L'Assemblée entière se lève par acclamation.
Le président prononce l'abolition de l'esclavage, au milieu des applaudissements et des cris mille fois répétés de Vive la République ! Vive la convention ! Vive la Montagne !
Les deux députés de couleur sont à la tribune, ils s'embrassent. (On applaudit.)
Lacroix les conduit au président, qui leur donne le baiser fraternel.
Ils sont successivement embrassés par tous les députés. [...]
Nicolas A. Monsiau - L'abolition de l'esclavage proclamée à la Convention le 16 pluviôse an II. Dessin à la plume rehaussé de gouache - Musée Carnavalet, Paris
Cambon. Une citoyenne de couleur, qui assiste régulièrement aux séances de la Convention, et qui a partagé tous les mouvements révolutionnaires, vient de ressentir une joie si vive, en voyant la liberté accordée par nous à tous ses frères, qu’elle a entièrement perdu connaissance. (On applaudit.) Je demande que ce fait soit consigné au procès-verbal ; que cette citoyenne, admise à la séance, reçoive au moins cette reconnaissance de ses vertus civiques.
Cette proposition est décrétée.
On voit sur le premier banc de l’amphithéâtre, à la gauche du président, cette citoyenne qui essuie les larmes que cette scène attendrissante fait couler de ses yeux. (On applaudit.)
***. Je demande que le ministre de la marine soit tenu de faire partir sur-le-champ des avisos pour porter aux colonies l'heureuse nouvelle de leur affranchissement.
Danton. Représentants du peuple français, jusqu'ici nous n'avons décrété la liberté qu'en égoïstes et pour nous seuls. Mais aujourd'hui nous proclamons à la face de l'univers, et les générations futures trouveront leur gloire dans ce décret, nous proclamons la liberté universelle. Hier, lorsque le président donna le baiser fraternel aux députés de couleur, je vis le moment où la Convention devait décréter la liberté de nos frères. La séance était trop peu nombreuse. La Convention vient de faire son devoir. Mais après avoir accordé le bienfait de la liberté, il faut que nous en soyons pour ainsi dire les modérateurs. Renvoyons aux comités de salut public et des colonies, pour combiner les moyens de rendre ce décret utile à l'humanité sans aucun danger pour elle. Nous avions déshonoré notre gloire en tronquant nos travaux. Les grands principes développés par le vertueux Las-Casas avaient été méconnus. Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ; c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort. (On applaudit.) En jetant la liberté dans le nouveau monde, elle y portera des fruits abondants, elle y poussera des racines profondes. En vain Pitt et ses complices voudront par des considérations politiques écarter la jouissance de ce bienfait, ils vont être entraînés dans le néant ; la France va reprendre le rang et l'influence que lui assurent son énergie, son sol et sa population. Nous jouirons nous-mêmes de notre générosité, mais nous ne l'étendrons point au-delà des bornes de la sagesse. Nous abattrons les tyrans, comme nous avons écrasé les hommes perfides qui voulaient faire rétrograder la révolution. Ne perdons point notre énergie ; lançons nos frégates ; soyons sûrs des bénédictions de l'univers et de la postérité, et décrétons le renvoi des mesures à l'examen des comités.
Ce renvoi est décrété.
Il s’élève quelques débats relatifs à la rédaction du décret.
Lacroix en propose une qui est adoptée en ces termes :
« La Convention nationale déclare aboli l’esclavage des nègres dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la constitution.
« Renvoie au comité de salut public pour lui faire incessamment un rapport sur les mesures à prendre pour l’exécution du présent décret. »
La séance est levée à deux heures et demie.
2 commentaires:
Très intéressant ! Un peu long pour lire tout d'un coup, peut-être, mais rien n'empêche d'y revenir.
En effet, je viens de m'y coller pendant 45 min. Et d'une traite.
Nous pouvons constater que les débats furent rudes, pour arriver à un résultat annulé quelques années plus tard par une "star" de l'histoire française... Constatons également que les mentalités de certain n'ont pas profondément changé...elles s'expriment seulement moins directement...
En tout cas, très très bon post...
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