dimanche 29 avril 2012

Des immigrés roumis...





 La fin des "vrais travailleurs" immigrés en Algérie, c'était il y a cinquante ans...
Bon anniversaire à l'Algérie qui n'en pouvait plus, désormais, d'accueillir "toute la misère du monde"...



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Malika Mehnes, 10 ans, originaire de Bône ; Enregistré en arabe

Je suis Bônoise. Les soldats sont venus. Ils ont pris mon frère et mon père. Mais, on s'est sauvés, on est allés à la montagne. On a trouvé des djounoud (1) qui nous ont emmenés à la frontière de la Tunisie. Il fallait pas faire de bruit, pas chanter, rien. Il fallait marcher. Il fallait pas trop manger ni trop boire, parce qu'il y avait pas beaucoup. Il y a eu une attaque. Tous les petits ont été rassemblés d'un côté, et les parents par là. Nous on a passé. On nous a dit que les grands ils avaient été obligés de retourner en Algérie... J'ai pas de nouvelles. Les responsables du Front, ils savent pas.

(1) Soldats algériens.


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Mabrouka Bent Mohamed, 10 ans, originaire de Metlata ; Enregistré en arabe

Il y a longtemps que je suis partie de Métlata. Je sais pas combien... Je suis venue seule par la montagne parce que les Français, ils tuent avec du feu. Mon cousin a eu la poitrine écrasée. Mon père a été tué pendant qu'il faisait sa prière. Quand je me suis sauvée, j'ai perdu ma mère, je l'ai pas vue, je sais pas ce qu'elle est devenue. Les autres du village, ils ont pris une direction, et moi, je me suis trouvée seule. J'étais perdue dans la grande montagne. Des djounoud m'ont vue et m'ont prise avec eux. Heu... chez nous les Français, ils ont brûlé nos gourbis, puis, ils ont déchiré notre linge.
Et il nous restait plus que ce qu'on portait... ils nous frappaient avec des grenades. Ils cassaient notre vaisselle et nos coffres. Et nous on se sauvait, et les avions qui nous frappaient aussi. Et mon frère il est tombé, il est mort. Je suis arrivée à Gardimaou (1). Il fait froid et les distributions il y en n'a pas assez. Et puis on entend encore les avions de la France, et puis, il y a pas pour jouer, et le canon, et les tout petits qui pleurent toujours. Tout ça !

(1) Village tunisien situé près de la frontière


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Lamine M'Saria Ben Salah, 15 ans, originaire de Souk-Ahras ; Enregistré en arabe

Je suis de Souk-Ahras, de la ville. J'ai un peu étudié à la Médersa. Un jour, je rentrais chez moi, j'ai trouvé mes frères tués et la maison (1) dispersée... Puis je suis allé au douar Ain-Nechma et j'ai trouvé que tous mes cousins étaient tués. Alors, on s'est sauvés en Tunisie.
Quand ils sont venus, ils ont encadré, ils ont attrapé un et, un devant, un derrière, un de chaque côté, ils le frappaient et ils l'ont tué d'un coup de faucille ; ils l'ont frappé là, et puis ils ont brûlé le corps, et ils ont brûlé tous les gourbis. Nous on savait plus où aller. Alors, un voisin, il nous a dit : « Venez dormir chez moi ». Dans la nuit on a pris la décision de partir en Tunisie. Je sais pas, quand même, pourquoi ils ont fait tout ça les Français... Ils nous avaient dit : « Vous donnez à manger aux fellagas ! », « les fellagas » c'est-à-dire les moudjahidines. Quand on s'est sauvé, les soldats nous ont tiré dessus. Ils ont pris à partie les réfugiés et lançaient sur eux des obus de leur artillerie. Lorsque nous avons pris la route goudronnée, on avait trouvé un barrage. Nous nous sommes camouflés, et quand ils ont levé le barrage, nous avons pu continuer notre route jusqu'à Tajerouine. Nous sommes restés quinze jours, puis on a été au Kef.

(1) C'est à dire les femmes de la maison.


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Embarek Boumezine, 10 ans, originaire de La Calle ; Enregistré en arabe

Avant de venir à Tunis, un combat a eu lieu devant moi, à côté de la Calle, la population contre les Français. Un grand combat. Les Français ils sont venus au douar pour battre les gens. Les gens se sont sauvés mais pas des enfants, ils les ont tués et aussi des vieux, ils les ont tués ; des vieux, et les enfants. Moi je me sauvais et le blindé m'a poursuivi. Je suis descendu dans l'oued et il tirait sur moi avec du feu. Je me suis caché dans l'oued. Ils ne m'ont pas touché, puis quand le combat a fini, ils sont partis. Je suis remonté et je n'ai pas vu ni soldats, ni Européens, ni autos, ni blindés. Puis quand je rejoignais le douar, j'ai vu de loin les soldats, ils frappaient les habitants, alors je me sauvais et je suis venu en Tunisie, ici. J'avais beaucoup peur et beaucoup faim parce que je suis venu seul. J'ai rencontré le Croissant Rouge qui m'a amené ici à la Maison d'enfants. Demain je veux devenir... ministre ou instituteur... caïd ou président ou... gendarme ou... caïd. A cette heure, .louanges à Dieu, je suis bien, il ne me manque rien. J'apprends à lire, je suis habillé, je mange. Il ne me manque rien, puisque mon père et ma mère ils sont morts et que je peux plus les avoir.
Il ne me manque rien.


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Abdelhamid Bouklatem, 11 ans, originaire de Souk-Ahras. Maison d'enfants à Ariana (près de Tunis) ; Écrit en arabe

C'est la guerre entre la France et l'Algérie. L'Algérie, elle s'était déjà révoltée le 8 mai [1945], je l'ai entendue dire par mon instituteur. Il a dit vous êtes la jeunesse de l'Algérie et chacun de vous sera l'un ingénieur, l'autre administrateur et ces charges vous les assurerez dans l'avenir. Vous serez des hommes utiles à votre pays et vous serez bien éduqués dans les pays étrangers, et chacun de vous sera plus éduqué que l'autre.
La France a dit aux Algériens faites sortir de chez nous les Allemands, et les soldats de la République Algérienne ont fait sortir les Allemands de son pays et elle a retrouvé l'indépendance. Après la France a trahi les Algériens et les tue avec un armement considérable. Dans ma ville beaucoup se sont sauvés de la tuerie mais la France a tué 845 Algériens.
Et la France mange la viande de porc et elle dit quelle bonne viande que cela ! Et ils sont assaillis par les soldats Algériens et chacun d'eux dit Maman ! par la peur de l'A.L.N.
Le Salut sur tous les combattants Algériens car ils combattent pour nous. Et nous serons vraiment la jeunesse Algérienne en apprenant à lire, à écrire et à être bien éduqués.


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Henia Mohammed, 10 ans, originaire de La Chaouiya, dans les Aurès. Maison de fillettes « Djamila Bouhired » à Sidi-Bou-Saïd, près de Tunis ; enregistré en arabe

J'habitais dans la « Chaouiya ». Je sais que... c'était avec mon père et ma mère. Mais, avant de passer, les Français les ont pris tous les deux. (On lui demande où ils se trouvent maintenant.) Je sais pas. Ils ont attaché mon père à l'arbre. Ils le remplissaient de terre... de la terre dans sa bouche, son nez, ses oreilles. Et ils voulaient le tuer... Ils l'ont pris et... on ne sait plus ce qu'il devenu... Nous on s'est sauvé et nous sommes venus à Gardimaou. Nous sommes venus par la montagne. Moi, je suis entrée dans une rivière sans m'en rendre compte, et cette rivière était en crue et la pluie tombait sur moi, et hé ! les oiseaux chantaient eux ! .. et... et... les insectes sous moi, les insectes. Maintenant... je me rappelle... mon petit frère dormait dans un lit et les soldats lui ont mis une arme à feu dans la bouche, et la balle a cassé la tête... de... de mon petit frère... Et puis alors... mon frère Madjid a été pris par les soldats, ils voulaient l'égorger. Et nous, et nous … On s'est sauvé et on a trouvé une rivière. Ah ! je sais pas ce qu'il leur a pris aux soldats français !...
Les djounoud de l'armée de libération m'ont amenée ici.


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Mostefa Bellaïd, 10 ans, originaire de Tébessa. Maison d'enfants « Yasmina » ; Enregistré en arabe

Père et mère morts. Ma mère elle préparait le thé les militaires sont arrivés. Ils l'ont tuée avec des balles et mon père qu'était dehors en train de faire ses ablutions il s'est retourné et ils l'ont abattu. Moi j'étais à côté de ma mère. Les Français ils sont venus pour nous prendre du blé. Je me suis sauvé avec mon frère qui avait huit ans, moi j'en avais sept ans, enfin je crois. Pendant qu'on se sauvait ils ont abattu mon frère. j'ai reçu une balle à la jambe gauche derrière mon genou. Je suis tombé, ils m'ont attrapé. Ils étaient trois, m'arrêter, deux étaient grands et un petit. Ils m'ont pris et ils m'ont amené où les autres étaient assis. Ils ont posé mon bras et ma main sur un fourneau à pétrole allumé et m'ont brûlé. Ils m'ont relâché. Ça m'a fait mal. J'ai pleuré beaucoup parce que ça me faisait beaucoup mal. Après les maquisards m'ont vu et m'ont rapatrié vers Tunis. Les Français m'ont fait ça parce qu'ils m'ont vu me sauver. Je me suis sauvé parce que j'avais peur d'eux. J'avais peur qu'ils me tuent et que je suis plus vivant. Je ne sais même pas pourquoi les militaires français viennent marquer après ils viennent les bombarder. Sur le gourbi où j'habitais ils avaient marqué Et. Ils ont aussi écrit mon frère et ma mère, mon père et moi. Après l'A.L.N. m'a emmené ici il y avait des familles tunisiennes qui prenaient des enfants algériens. Quand ils m'ont brûlé une heure après ils ont parti, moi j'étais resté assis. Ma balle de la jambe a été soignée par un soldat français le tout petit. Il n'a rien fait pour mon bras. J'ai marché une nuit seul. J'ai dormi mon bras je l'ai couvert par mes habits. Le sang coulait ça me faisait mal beaucoup. J'ai passé une nuit sous l'arbre je n'ai rien mangé. Après j'ai marché. Notre armée m'a vu. Ils m'ont pris. Ils m'ont amené en Tunisie. Ils m'ont mis un pansement ils m'ont dit « qu'est ce tu as ? » j'ai dit « ils m'ont brûlé. » Ils m'ont dirigé dans un hôpital. Ils ont posé mon bras sur mon ventre ils ont enlevé de la viande de mon ventre. Je suis resté un an à l'Hôpital. Je suis resté sept jours chez les gens à Tunis dans une famille. Après l'Assistance Sociale Algérienne m'a pris et m'a amené à Yasmina. Ici à Yasmina je suis chef de groupe. J'ai quinze enfants dans mon groupe. Je chante avec les enfants des chants. Je sais travailler le plâtre, avec ma main brûlée je tiens le plâtre et je travaille avec l'autre. Une fois indépendants, je resterai avec l'instituteur et les autres enfants parce que je n'ai pas où aller. Je veux être djoundi pour combattre la France parce qu'elle m'a brûlé. Je les brûlerai comme ils m'ont brûlé. Je ne brûlerai pas un enfant parce qu'ils m'ont rien fait. Ceux qui m'ont .brûlé je leur ferai souffrir et je les égorgerai je les oublierai jamais ceux m'ont brûlé même s'ils viennent me dire pardon je leur pardonnerai pas.



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Souleima Aquila Bent Tahar, 8 ans. Maison de fillettes « Djamila Bouhired » ; Enregistré en arabe

Ils sont venus dans ma maison les soldats français. Mon père était debout, on le frappa à la tête, il s'est écroulé, le sang lui couvrait le visage ; ma mère s'est sauvée. Je me suis précipitée sur ses traces en criant : « Maman ! Maman ! Maman ! On a tué mon père ! » Et après, ils ont obligé ma mère et moi à danser toutes nues devant le corps de mon père. Sur la tête de mon père affectionné que les soldats français nous ont obligé à faire ça !



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Fatima Lealli, 9 ans. Maison de fillettes « Dar Hassiba » à Méhédia, prés de Rabat ; Enregistré en arabe

(Elle dit ne pas savoir d'où elle est) . ...mais, je suis algérienne. Je suis venue à l'école pour lire. Là-bas nous n'avons pas d'argent. Mon père est pauvre, j'ai huit frères et sœurs. Avant d'être ici, j'étais avec les réfugiés à la frontière. J'ai venu ici il y a deux ans. Maintenant, on me laisse pas aller en Algérie, les Français. Un jour, j'ai vu, en sortant de l'école, ils ont trouvé un homme, ils l'ont tué, je me rappelle, j'avais cinq ans. Moi, je voudrais apprendre l'anglais pour être institutrice. Vous avez vu ma poupée ? Je la frappe si elle est pas sage. Mais si elle est sage, je lui dit : il était un lapin, il a vu en l'air, il est devenu aveugle, il a frappé son petit, il est devenu maigre, puis il a frappé sa fille avec le bâton, le bâton est revenu sur elle et l'a frappé. Le lapin était mort. Je l'ai inventée cette histoire ! Hi ! hi ! hi ! J'aime bien les lapins. J'aime aussi les belles robes. J'en voudrais une.



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[*] Illustrations issues de : Grégory Jarry & Otto T. ; Petite Histoire des Colonies Françaises, Tome 3 [sur 4], Éditions FLBLB, 2009

[**] Illustrations issues de : Les enfants d'Algérie : témoignages et dessins d'enfants réfugiés en Tunisie, en Libye et au Maroc ; Éditions François Maspero, coll. Voix, n°6 ; Paris, 1962...
Les textes de ce post sont tous tirés de cet ouvrage...

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