dimanche 24 avril 2011

... De la Terreur en Révolution...



François Gérard (1770-1837) ; 10 août 1792, dessin à  la plûme avec rehauts de gouache 1794-95


 "Les rois sont dans l'ordre moral ce que les monstres sont dans l'ordre physique. Les cours sont l'atelier du crime, le foyer de la corruption et la tanière des tyrans. L'histoire des rois est le martyrologue des nations."

Henri Grégoire (1750-1831),  Extrait de discours lors la première séance de la convention nationale...
21 septembre 1792
 


 
Rapport de Le Harivel ; 4 pluviôse an II (23 janvier 1794)*

Le comité de la section de Vincent détenu ayant, au mépris des décrets de la Convention nationale, fait incarcérer le beau-père de Camille Desmoulins, et sentant parfaitement, l'effet que pouvait produire uns telle démarche a refusé d'obéir une ou deux fois à la voix du Comité de sûreté générale qui l'appelait dans son sein pour y rendre compte de sa conduite. Il est bien étonnant, disaient quelques citoyens à cet égard, qu'un comité isolé, qu'une quarante-huitième portion d'autorité, se permette une infraction aussi sensible aux lois émanées de la première des autorités, de la Convention nationale, devant laquelle devraient trembler toutes celles qui en dépendent. Le peuple attend une justice éclatante contre ce comité réfractaire

La peine de mort prononcée avant-hier contre l'instituteur pour avoir faussement accusé une maîtresse de pension, chez laquelle il demeurait, a fait le plus grand effet sur l'esprit du peuple. Nous ne serons donc plus, disait-il, exposés à nous voir arrêtés sans des motifs légitimes ! Périssent à l'instant tous les calomniateurs, tous les faux témoin qui sont eux-mêmes les véritables contre-révolutionnaires !

Hier encore un citoyen tenant l'hôtel garni dit d'Angleterre, après avoir passé quatre mois entiers en prison, a été acquitté par le Tribunal révolutionnaire aux acclamation d'un peuple immense qui le portait en triomphe, l'embrassait et le désignait comme une de ces mille et une victime de l'arbitraire, de la mauvaise foi et de l'ignorance d'une foule d'intrigants qui surnagent sur l'océan politique de notre République naissante, et qu'une vague peut, en un instant, précipiter dans l'abîme le plus affreux...

Cet homme reconnu pour excellent patriote par tous les individus de sa section ci-devant du Mail, appelés au Tribunal pour y faire leurs dépositions, avait été accusé, par deux aristocrates logeant dans son hôtel, d'avoir eu des intelligences avec les ennemis extérieurs, d'avoir, entretenu une correspondance active avec eux, tandis,qu'il a été authentiquement prouvé que cet honnête citoyen ne savait ni lire ni écrire. Un mandat d'amener et de suite un mandat d'arrêt ont été lancés contre ces deux individus qui, peut-être aujourd'hui, porteront leurs têtes sur l'échafaud.

Ce malheureux acquitté se demandait, et demandait à ses amis qui  l'environnaient : "Est-ce bien moi ? Ai-je encore ma tête ?", en la touchant : ce spectacle était le plus touchant qu'on ait encore rencontré.

 
Charles-Al​exis Alexandre (?) protégean​t une cargaison de sucre à  Paris en février 1792 ; Huile sur toile, 0,995x0,80, signé et daté en bas à  droite sur un pain de sucre : Bizard Pt juillet 1792. Inscriptio​n sur l'épée : La Nation et la Loi


"Au dehors tous les tyrans vous cernent au dedans tous les amis de la tyrannie conspirent : ils conspireront jusqu’à ce que l’espérance ait été ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle ; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être qu’on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur."

Maximilien  Robespierre (1758-1794), sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ; Discours devant la Convention le 17 pluviôse an II (5 février 1794)



Jeanne-Lou​ise, dite Nanine, Vallain (1767-1815) ; La Liberté ; Huile sur toile 1,28x0,97 ;
Tableau saisi au Club des Jacobins lors de sa fermeture le 22 brumaire an III (12 novembre 1794)


Rapport de Rolin ; 4 pluviôse an II*


Malgré les peines rigoureuses portées contre les agitateurs et les accapareurs, il y a encore l'un et l'autre. Les premiers sont très difficile à surprendre, vu qu'ils ont des associés, et qu'il n'est pas aisé de les prendre sur le fait. En voici un dont je suis certain, mais il faudrait faire une visite impromptue chez lui. Il se nomme Richoux. II demeure rue d'Enfer, en la Cité, n° 7. Il était ci-devant valet de chambre chez des ci-devant nobles ; depuis deux ans environ, il fait commerce d'argent et d'effets d'or et d'argent ; il est associé avec le fils d'un huissier priseur demeurant à Pontoise. Le père vend les biens nationaux dans ce pays ; le fils, Richoux et compagnie achètent à bon compte, et les revendent sur-le-champ de la main à la main, et par conséquent font d'exellents coups de fripons. Le citoyen Richoux a une cassette bien fermée qui, dit-il, contient des effets précieux. J'ignore quels sont ces effets, mais j'imagine que l'avis n'est point à négliger.

Les accapareurs sont aujourd'hui des individus qui vont au devant de ceux qui apportent leurs marchandises à Paris, les forcent de [les] leur vendre en totalité, puis les revende encore à d'autres, qui les revendent enfin aux détaillants, ce qui fait qu'une marchandise qui vaudrait vingt sols revient à trois livres et même quatre francs. Certes on peut se convaincre aisément de ceci, car il n"y a point de jour que pareilles sottises ne se commettent.

La commune de Belleville vient, dit-on, de faire une visite chez tous les agriculteurs, et a mis chez eux en réquisition l'orge, l'avoine et autres grains, avec défense d'en porter pour vendre à Paris.

On se plaint toujours de la cherté des denrées. Il faut cependant convenir que l'année n'a point été abondante en légumes, ce qui en fait la cherté, et occasionne une plus grande consommation de viande ; mais on est quelquefois déraisonnable.

Les charbonniers et les conducteurs de voitures des chantiers de bois à brûler commencent à faire usage du maximum du prix de port.

Il y a toujours des filous à Paris ;  les rues en fourmillent, et malheureusement rien ne ressemble mieux à un honnête homme qu'un coquin.



Jean-Bapti​ste Thonnesse (1755-1838​) ; La Liberté parcourant le monde ; crayons noir et blanc, lavis d'encre de Chine,
sur papier bleu. Sur l'étendar​d : Liberté à  tous les peuples...



"Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie.

On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté, ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous aurez raison comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n’est-elle faite que pour protéger le crime ? et n’est-ce pas pour frapper les têtes orgueilleuses que la foudre est destinée ?"

Maximilien Robespierre (1758-1794), sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ; Discours devant la Convention le 17 pluviôse an II (5 février 1794)




Guillotine élevée en place du Caroussel le 13 août 1792, servant à  punir les conspirate​urs et ennemis de la Patrie



Rapport de Beraud ; 5 pluviôse an II (24 janvier 1794)*

Ne vaudrait-il pas mieux, disaient plusieurs citoyens dans un groupe, employer les sommes que la Convention donne pour des spectacles gratis, en pain, vin et viande ; le pauvre pourrait se procurer de quoi se sustenter pendant deux jours avec sa famille, au lieu qu'il perd une journée entière à la porte d'un théâtre pour avoir une place. Puisqu'on veut mettre sous les yeux du peuple les traits de bravoure des défenseurs de la République, eh bien ! qu'on élève un théâtre sur une place publique ; en admirant leurs vertus, il ponrra du moins profiter des bienfaits de la Nation.

Beaucoup de personnes pensent qu'au lieu de conduire au supplice les conspirateurs et les autres, on devrait les charger de fers et les faire travailler aux travaux publics et à dessécher les marais ; le passage de la vie à la mort que ne précède aucune douleur, aucune torture, n'a rien qui les épouvante, au lieu que la crainte de vivre dans un dur esclavage serait un supplice qu'ils redouteraient, car la guillotine, une fois qu'ils sont détenus, est souvent la seule chose qu'ils invoquent.



Éxécutio​n de Louis Capet ; gravure à  l'eau forte d'origine allemande


"La nature impose à tout être physique et moral la loi de pourvoir à sa conservation ; le crime égorge l’innocence pour régner, et l’innocence se débat de toutes ses forces dans les mains du crime. Que la tyrannie règne un seul jour, le lendemain il ne restera plus un patriote. Jusqu’à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple, barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour les oppresseurs, et inexorables pour les opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne hait point le crime, ne peut aimer la vertu.

Il faut cependant que l’un ou l’autre succombe. Indulgence pour les royalistes, s’écrient certaines gens. Grâce pour les scélérats ! Non : grâce pour l’innocence, grâce pour les faibles, grâce pour les malheureux, grâce pour l’humanité !"

Maximilien Robespierre (1758-1794), sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ; Discours devant la Convention le 17 pluviôse an II (5 février 1794)




Danton conduit au supplice ; dessin de Pierre-Alexandre Wille (1748-1821), 1794


Rapport de Letassey ; 5 pluviôse an II (24 janvier 1794)*

Étant à la Convention, dix citoyens venaient pour réclamer quelques personnes de leurs communes et des environs du côté de Saint-Maur, et s'entretenaient ensemble des affaires du temps. L'un dit : "J'avons pour secrétaire au Comité de sûreté générale le fils de notre maître d'école. - C'est mon neveu, dit un autre ; je vais le faire venir, et il va parler pour nous." Un plaisant leur demande : "N'est-ce pas des ci-devant nobles que vous réçlamez ? - Oui, mais c'étaient de bons citoyens avec nous ; depuis l'affaire du 10 août, ils ont fait beaucoup de bien chez nous. - Sans doute, dit un autre, b... de bêtes, ils feraient encore de même dans ce moment-ci parce qu'ils voient qu'ils sont foutus, et que leurs trames se trouvent déjouées par les patriotes."

Sur la terrasse, une conversation fort animée se tenait entre plusieurs citoyens, sur le principe de n'envoyer pour commissaires dans les départements que de vrais patriotes, et de faire attention que nous avons des factieux de toutes espèces qui, à l'aide d'une grande théorie, ont l'air de se connaitre à tout. "Cela est vrai, dit un, et les bons patriotes qui les envoient et qui les prennent souvent par des connaissances y sont trompés. - Je conviens, dit un autre, que le patriotisme est la qualité la plus essentielle dans un commissaire envoyé pour éclairer ses frères ; mais il faut encore prendre garde qu'il puisse entendre le langage du pays où on l'envoie, et qu'il puisse se faire entendre, pour acquérir la confiance de ses concitoyens, sans quoi c'est de l'argent perdu ; et cela cause quelquefois bien du désagrément aux uns et aux autres faute de s'entendre."

Étant au Palais de l'Égalité, quelques citoyens se disaient : "Il vient de partir dans une voiture de la rue Neuve du Luxembourg, attellée de quatre chevaux, quatre de nos députés, dont Saint-Just se trouve du nombre, pour Lille - Il faut espérer que toutes nos affaires iront bien, dit un autre ; les traîtres se trouvent déjoués, et ça ira !" 




Giost, adjudant général de la force armée parisienne ; dessin de Pierre-Alexandre Wille (1748-1821)



"Malheur à celui qui oserait diriger vers le peuple la terreur qui ne doit approcher que de ses ennemis ! Malheur à celui qui, confondant les erreurs inévitables du civisme avec les erreurs calculées de la perfidie, ou avec les attentats des conspirateurs, abandonne l’intrigant dangereux, pour poursuivre le citoyen paisible ! Périsse le scélérat qui ose abuser du nom sacré de la liberté, ou des armes redoutables qu’elle lui a confiées, pour porter le deuil ou la mort dans le cœur des patriotes ! Cet abus a existé, on ne peut en douter. Il a été exagéré, sans doute, par l’aristocratie : mais existât-il dans toute la république qu’un seul homme vertueux persécuté par les ennemis de la liberté, le devoir du gouvernement serait de la rechercher avec inquiétude, et de le venger avec éclat."

Maximilien Robespierre (1758-1794), sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l’administration intérieure de la République ; Discours devant la Convention le 17 pluviôse an II (5 février 1794)


Claude-And​ré Deseine (1740-1823​) ; Maximilien Robespierr​e

*Textes extraits de l'ouvrage : Paris pendant la Terreur ; rapports des agents secrets du ministre de l'intérieur ; Tome III ; Édition de Pierre Caron, 1943

7 commentaires:

Mouette a dit…

Quelques centaines d'années plus tard et pas mal de Révolutions avortées (qui avaient bien commencé, pourtant), on en vient à penser que l'idée d'extirper par la Terreur la fouine avide qui sommeille en chacun de nous, et de réformer de fond en comble l'esprit humain, relève d'une grande naïveté... Il faut se battre inlassablement contre les faits et non contre les hommes !

M. Ogre a dit…

Rob. ne disait pas autre chose...
C'est pourquoi il est passé à son époque, pour un "modéré", ce qui semble bien étrange aujourd'hui à la lecture de l'historiographie qui le peint comme un monstre sanguinaire et un aspirant à la dictature...

En fait, pour avoir pas mal potassé le sujet depuis quelques semaines, il s'avère clairement qu'il faille chercher du côté de la commune insurrectionnelle de Paris et du Comité de sureté générale pour trouver des hommes plus prêts d'en découdre avec leurs semblables que de réformer l'esprit et les mœurs...

En tous cas, voilà une étude à propos de laquelle, l'Ogre s'est régalé pendant près de trois semaines d'intenses lectures... Au point de se retenir de faire 10 post consécutifs sur le sujet... et ce n'est pas la matière, ni les têtes qui manquent...

Mouette a dit…

Mes "doux" Communards qui fusillèrent à peine un archevêque et quelques traîtres, refusèrent de toucher au Trésor de la banque de France, et se firent exécuter par milliers comme des moutons !!!

Mouette a dit…

(mais je parle là de la Commune de 1871)

M. Ogre a dit…

...Et moi de la Commune insurrectionnelle de 1793... Celle des Chaumette, Hébert (le Père Duchesne...), Ronsin, Vincent, Momoro et autres...
Une étude vraiment pas facile, en définitive et ardue à démêler...

À propos de celle de 1871 en revanche, suis d'accord... mais ceci est une autre histoire de la Terreur, celle-là établie par les seuls Versaillais...

À lire sur ces "terribles" sujets, l'article "Terreur" du "Dictionnaire politique portatif en cinq mots" de l'excellent Jean-Pierre Faye... paru en 1982 et, hélas, non réédité semble-t-il... où il est question des vraies variances de ce mot...

farfalle a dit…

Bonjour,

quelqu'un parvient-il à lire ce qui est écrit sur la sanguine représentant Danton allant au supplice ?

M. Ogre a dit…

..."Dessiné de souvenir le 5 avril 1794"... à ce qu'il m'en semble...