mardi 21 décembre 2010

... Les bourgeois c'est comme les cochons... et les nobles encore pis... de vache...


Joueuse de luth. Pierre noire avec réhauts de blanc ; XVIIe siècle

Le Bourgeois gentilhomme est une comédie-ballet de Molière (1622-1673), en cinq actes comportant respectivement 2, 5, 16, 5 et 6 scènes) en prose (sauf les entrées de ballet qui sont en vers), représentée pour la première fois le 14 octobre 1670, devant la cour de Louis XIV, au château de Chambord par la troupe de Molière. La musique est de Jean-Baptiste Lully  (1632-1687), les ballets de Pierre Beauchamp (1631-1705), les décors de Carlo Vigarani (1637-1713) et les costumes turcs du chevalier d'Arvieux (1635-1702).


André Bouys (1656-1740) ; Les ordinaires de la musique du Roi

Dans cette pièce, Molière se moque d'un riche bourgeois qui veut imiter le comportement et le genre de vie des nobles. Ce spectacle fut beaucoup apprécié par la Cour et Louis XIV qui le redemandèrent plusieurs fois.

Francois de Troy (1645-1730) ;  portrait de Charles Mouton, 1690


Cette pièce incarne le genre de la comédie-ballet à la perfection et reste l'un des seuls chefs-d'œuvres de ce genre noble qui ait mobilisé les meilleurs comédiens et musiciens du temps. L'une des raisons du succès qu'elle remporta immédiatement est le goût de l'époque pour ce qu'on appelait les turqueries. L'Empire ottoman était alors un sujet de préoccupation universel dans les esprits et on cherchait à l'apprivoiser. L'origine de l'œuvre est liée au scandale provoqué par l'ambassadeur turc Soliman Aga qui, lors de sa visite à la cour de Louis XIV en 1669, avait affirmé la supériorité de la cour ottomane sur celle du Roi-soleil.

Israël SILVESTRE (1621-1691) ; La Fête "Les Plaisirs de l'Ile Enchantée" donnée par Louis XIV à Versailles, Théâtre ephémère installé dans les jardins de Versailles en 1664 pour le représentation de la comédie et du ballet  : La Princesse d'Elide.(1664)


À la création, Molière jouait le rôle de Monsieur Jourdain, habillé de couleurs vives, paré de dentelles d'argent et de plumes multicolores ; André Hubert jouait le rôle travesti de Madame Jourdain ; Mademoiselle de Brie était Dorimène ; Armande Béjart jouait Lucile; Jeanne Beauval, dont le fou-rire communicatif était réputé, était Nicole, La Grange était Cléonte, Baron : Dorante, Gaye : l'Élève du Maître de musique, Bauval : le Garçon tailleur; le musicien Lully dansait le mufti au cours de la cérémonie turque du dernier acte. Dans la distribution des chanteurs figuraient Arnou, comme Élève de la Musique, Mademoiselle Lalande, comme une musicienne, et Jonquet, comme un musicien, dans le ballet du premier acte, ainsi que Philbert, comme le Mufti, dans celui du troisième acte.

(D'après Wiki... pour faire court... sinon j'aurais fait 20 pages... tant j'aime le lard)


Jean LE PAUTRE (1618-1682) ;  Les Festes de l'Amour et de Bacchus,
Comédie en musique représentée dans le petit Parc de Versailles, 1678


PERSONNAGES

Monsieur Jourdain, bourgeois.
Madame Jourdain, sa femme.
Lucile, fille de M. Jourdain.
Nicole, servante.
Cléonte, amoureux de Lucile.
Covielle, valet de Cléonte.
Dorante, comte, amant de Dorimène.
Dorimène, marquise.
Maître de musique.
Élève du Maître de musique.
Maître à danser.
Maître d’armes.
Maître de philosophie.
Maître tailleur.
Garçon tailleur.
Deux Laquais.
Plusieurs Musiciens, Musiciennes, Joueurs d’instruments, Danseurs, Cuisiniers, Garçons tailleurs, et autres personnages des intermèdes et du ballet.


Petit Théatre de Marie Antoinette ; château de Versailles, XVIIIe siècle...

La scène est à Paris.

ACTE I

Scène I


Cadmus et Hermione ; cliché issu d'une repésentation de la première tragédie lyrique composée par J.B. Lully sur un livret de Philippe Quinault (1635-1688), créée le 27 avril 1673 à l'Académie royale de musique


Maître de musique, Maître à danser, Trois Musiciens, Deux Violons, Quatres Danseurs.

Maître de musique, parlant à ses musiciens.
Venez, entrez dans cette salle, et vous reposez là, en attendant qu’il vienne.

Maître à danser, parlant aux danseurs.
Et vous aussi, de ce côté.

Maître de musique, à l’Élève.
Est-ce fait ?

L’élève
Oui.

Maître de musique
Voyons… Voilà qui est bien.

Maître à danser
Est-ce quelque chose de nouveau ?

Maître de musique
Oui, c’est un air pour une sérénade, que je lui ai fait composer ici, en attendant que notre homme fût éveillé.

Maître à danser
Peut-on voir ce que c’est ?

Maître de musique
Vous l’allez entendre, avec le dialogue, quand il viendra. Il ne tardera guère.

Maître à danser
Nos occupations, à vous, et à moi, ne sont pas petites maintenant.

Maître de musique
Il est vrai. Nous avons trouvé ici un homme comme il nous le faut à tous deux ; ce nous est une douce rente que ce Monsieur Jourdain, avec les visions de noblesse et de galanterie qu’il est allé se mettre en tête ; et votre danse et ma musique auraient à souhaiter que tout le monde lui ressemblât.

Maître à danser
Non pas entièrement ; et je voudrais pour lui qu’il se connût mieux qu’il ne fait aux choses que nous lui donnons.

Maître de musique
Il est vrai qu’il les connaît mal, mais il les paye bien ; et c’est de quoi maintenant nos arts ont plus besoin que de toute autre chose.

Maître à danser
Pour moi, je vous l’avoue, je me repais un peu de gloire ; les applaudissements me touchent ; et je tiens que, dans tous les beaux arts, c’est un supplice assez fâcheux que de se produire à des sots, que d’essuyer sur des compositions la barbarie d’un stupide. Il y a plaisir, ne m’en parlez point, à travailler pour des personnes qui soient capables de sentir les délicatesses d’un art, qui sachent faire un doux accueil aux beautés d’un ouvrage, et par de chatouillantes approbations vous régaler de votre travail. Oui, la récompense la plus agréable qu’on puisse recevoir des choses que l’on fait, c’est de les voir connues, de les voir caressées d’un applaudissement qui vous honore. Il n’y a rien, à mon avis, qui nous paye mieux que cela de toutes nos fatigues ; et ce sont des douceurs exquises que des louanges éclairées.


Fontaine - Parc du château de Versailles


Maître de musique
J’en demeure d’accord, et je les goûte comme vous. Il n’y a rien assurément qui chatouille davantage que les applaudissements que vous dites. Mais cet encens ne fait pas vivre ; des louanges toutes pures ne mettent point un homme à son aise : il y faut mêler du solide ; et la meilleure façon de louer, c’est de louer avec les mains. C’est un homme, à la vérité, dont les lumières sont petites, qui parle à tort et à travers de toutes choses, et n’applaudit qu’à contre-sens ; mais son argent redresse les jugements de son esprit ; il a du discernement dans sa bourse ; ses louanges sont monnayées ; et ce bourgeois ignorant nous vaut mieux, comme vous voyez, que le grand seigneur éclairé qui nous a introduits ici.

Maître à danser
Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous dites ; mais je trouve que vous appuyez un peu trop sur l’argent ; et l’intérêt est quelque chose de si bas, qu’il ne faut jamais qu’un honnête homme montre pour lui de l’attachement.

Maître de musique
Vous recevez fort bien pourtant l’argent que notre homme vous donne.

Maître à danser
Assurément ; mais je n’en fais pas tout mon bonheur, et je voudrais qu’avec son bien, il eût encore quelque bon goût des choses.

Maître de musique
Je le voudrais aussi, et c’est à quoi nous travaillons tous deux autant que nous pouvons. Mais, en tout cas, il nous donne moyen de nous faire connaître dans le monde ; et il payera pour les autres ce que les autres loueront pour lui.

Maître à danser
Le voilà qui vient.


Cour de marbre - Château de Versailles


Scène II

Monsieur Jourdain, Deux Laquais, Maître de musique, Maître à danser, Violons, Musiciens et Danseurs.

Monsieur Jourdain
Hé bien, Messieurs ? Qu’est-ce ? me ferez-vous voir votre petite drôlerie ?

Maître à danser
Comment ? quelle petite drôlerie ?

Monsieur Jourdain
Eh la… comment appelez-vous cela ? Votre prologue ou dialogue de chansons et de danse.

Maître à danser
Ah ! ah !

Maître de musique
Vous nous y voyez préparés.

Monsieur Jourdain
Je vous ai fait un peu attendre, mais c’est que je me fais habiller aujourd’hui comme les gens de qualité ; et mon tailleur m’a envoyé des bas de soie que j’ai pensé ne mettre jamais.

Maître de musique
Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

Monsieur Jourdain
Je vous prie tous deux de ne vous point en aller, qu’on ne m’ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.

Maître à danser
Tout ce qu’il vous plaira.

Monsieur Jourdain
Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu’à la tête.

Maître de musique
Nous n’en doutons point.

Monsieur Jourdain
Je me suis fait faire cette indienne-ci.

Maître à danser
Elle est fort belle.

Monsieur Jourdain
Mon tailleur m’a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin.

Maître de musique
Cela vous sied à merveille.

Monsieur Jourdain
Laquais ! holà, mes deux laquais !

Premier laquais
Que voulez-vous, Monsieur ?

Monsieur Jourdain
Rien. C’est pour voir si vous m’entendez bien. (Aux deux maîtres.) Que dites-vous de mes livrées ?

Maître à danser
Elles sont magnifiques.

Monsieur Jourdain. Il entr’ouvre sa robe, et fait voir un haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de velours vert, dont il est vêtu.
Voici encore un petit déshabillé pour faire le matin mes exercices.

Maître de musique
Il est galant.

Monsieur Jourdain
Laquais !

Premier laquais
Monsieur.

Monsieur Jourdain
L’autre laquais !

Second laquais
Monsieur.

Monsieur Jourdain
Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme cela ?

Maître à danser
Fort bien. On ne peut pas mieux.

Monsieur Jourdain
Voyons un peu votre affaire.

Maître de musique
Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air qu’il vient de composer pour la sérénade que vous m’avez demandée. C’est un de mes écoliers, qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.

Monsieur Jourdain
Oui, mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier, et vous n’étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.

Maître de musique
Il ne faut pas, Monsieur, que le nom d’écolier vous abuse. Ces sortes d’écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l’air est aussi beau qu’il s’en puisse faire. Écoutez seulement.

Monsieur Jourdain
Donnez-moi ma robe pour mieux entendre… Attendez, je crois que je serai mieux sans robe… Non ; redonnez-la-moi, cela ira mieux.



Maître à danser dans : "Figures du règne de Louis XIV"


Musicien, chantant :
Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,
Depuis qu’à vos rigueurs vos beaux yeux m’ont soumis ;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ?



Henri Gissey ; Le Ballet de la Nuit : Louis XIV habillé en soleil, 1653



Monsieur Jourdain
Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort, et je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-là.

Maître de musique
Il faut, Monsieur, que l’air soit accommodé aux paroles.

Monsieur Jourdain
On m’en apprit un tout à fait joli, il y a quelque temps. Attendez… Là… comment est-ce qu’il dit ?

Maître à danser
Par ma foi ! je ne sais.

Monsieur Jourdain
Il y a du mouton dedans.

Maître à danser
Du mouton ?

Monsieur Jourdain
Oui. Ah !

(Monsieur Jourdain chante)

Je croyais Janneton
Aussi douce que belle,
Je croyais Janneton
Plus douce qu’un mouton :
Hélas ! hélas ! elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle,
Que n’est le tigre aux bois.

N’est-il pas joli ?

Maître de musique
Le plus joli du monde.

Maître à danser
Et vous le chantez bien.

Monsieur Jourdain
C’est sans avoir appris la musique.

Maître de musique
Vous devriez l’apprendre, Monsieur, comme vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.

Maître à danser
Et qui ouvrent l’esprit d’un homme aux belles choses.

Monsieur Jourdain
Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ?

Maître de musique
Oui, Monsieur.

Monsieur Jourdain
Je l’apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre ; car, outre le Maître d’armes qui me montre, j’ai arrêté encore un Maître de philosophie, qui doit commencer ce matin.

Maître de musique
La philosophie est quelque chose ; mais la musique, Monsieur, la musique.

Maître à danser
La musique et la danse. La musique et la danse, c’est là tout ce qu’il faut.

Maître de musique
Il n’y a rien qui soit si utile dans un état que la musique.

Maître à danser
Il n’y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse.

Maître de musique
Sans la musique, un état ne peut subsister.

Maître à danser
Sans la danse, un homme ne saurait rien faire.

Maître de musique
Tous les désordres, toutes les guerres qu’on voit dans le monde, n’arrivent que pour n’apprendre pas la musique.

Maître à danser
Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout cela n’est venu que faute de savoir danser.

Monsieur Jourdain
Comment cela ?

Maître de musique
La guerre ne vient-elle pas d’un manque d’union entre les hommes ?

Monsieur Jourdain
Cela est vrai.

Maître de musique
Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s’accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ?

Monsieur Jourdain
Vous avez raison.

Maître à danser
Lorsqu’un homme a commis un manquement dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d’un état, ou au commandement d’une armée, ne dit-on pas toujours : « Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire » ?

Monsieur Jourdain
Oui, on dit cela.

Maître à danser
Et faire un mauvais pas peut-il procéder d’autre chose que de ne savoir pas danser ?

Monsieur Jourdain
Cela est vrai, vous avez raison tous deux.

Maître à danser
C’est pour vous faire voir l’excellence et l’utilité de la danse et de la musique.

Monsieur Jourdain
Je comprends cela à cette heure.

Maître de musique
Voulez-vous voir nos deux affaires ?

Monsieur Jourdain
Oui.

Maître de musique
Je vous l’ai déjà dit, c’est un petit essai que j’ai fait autrefois des diverses passions que peut exprimer la musique.

Monsieur Jourdain
Fort bien.

Maître de musique
Allons, avancez. Il faut vous figurer qu’ils sont habillés en bergers.

Monsieur Jourdain
Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout.

Maître à danser
Lorsqu’on a des personnes à faire parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps affecté aux bergers ; et il n’est guère naturel en dialogue que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions.

Monsieur Jourdain
Passe, passe. Voyons.



Luthiste. Ballet royal de la Nuit, divisé en quatre parties ou quatre veillées et dansé par Sa Majesté
[Louis le quatorzième Nabot de Bourbon] le 23 février 1653


DIALOGUE EN MUSIQUE

Une musicienne et deux musiciens
Un cœur, dans l’amoureux empire,
De mille soins est toujours agité :
On dit qu’avec plaisir on languit, on soupire ;
Mais, quoi qu’on puisse dire,
Il n’est rien de si doux que notre liberté.

Premier musicien
Il n’est rien de si doux que les tendres ardeurs
Qui font vivre deux cœurs
Dans une même envie.
On ne peut être heureux sans amoureux désirs :
Ôtez l’amour de la vie,
Vous en ôtez les plaisirs.

Second musicien
Il serait doux d’entrer sous l’amoureuse loi,
Si l’on trouvait en amour de la foi ;
Mais, hélas ! ô rigueur cruelle !
On ne voit point de bergère fidèle,
Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour,
Doit faire pour jamais renoncer à l’amour.

Premier musicien
Aimable ardeur,

Musicienne
Franchise heureuse,

Second musicien
Sexe trompeur,

Premier musicien
Que tu m’es précieuse !

Musicienne
Que tu plais à mon cœur !

Second musicien
Que tu me fais d’horreur !

Premier musicien
Ah ! quitte pour aimer cette haine mortelle.

Musicienne
On peut, on peut te montrer
Une bergère fidèle.

Second musicien
Hélas ! où la rencontrer ?

Musicienne
Pour défendre notre gloire,
Je te veux offrir mon cœur.

Second musicien
Mais, bergère, puis-je croire
Qu’il ne sera point trompeur ?

Musicienne
Voyez par expérience
Qui des deux aimera mieux.

Second musicien
Qui manquera de constance,
Le puissent perdre les Dieux !

Tous trois
À des ardeurs si belles
Laissons-nous enflammer :
Ah ! qu’il est doux d’aimer,
Quand deux cœurs sont fidèles !



Costume de scène ; aquarelle XVIIe siècle...


Monsieur Jourdain
Est-ce tout ?

Maître de musique
Oui.

Monsieur Jourdain
Je trouve cela bien troussé, et il y a là dedans de petits dictons assez jolis.

Maître à danser
Voici, pour mon affaire, un petit essai des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une danse puisse être variée.

Monsieur Jourdain
Sont-ce encore des bergers ?

Maître à danser
C’est ce qu’il vous plaira. Allons.

Quatre danseurs exécutent tous les mouvements différents et toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur commande, et cette danse fait le premier intermède.



Château de Versailles





ACTE II

Scène I

Diane ; aquarelle XVIIe siècle


Monsieur Jourdain, Maître de musique, Maître à danser, Laquais.

Monsieur Jourdain
Voilà qui n’est point sot, et ces gens-là se trémoussent bien.

Maître de musique
Lorsque la danse sera mêlée avec la musique, cela fera plus d’effet encore, et vous verrez quelque chose de galant dans le petit ballet que nous avons ajusté pour vous.

Monsieur Jourdain
C’est pour tantôt au moins ; et la personne pour qui j’ai fait faire tout cela, me doit faire l’honneur de venir dîner céans.

Maître à danser
Tout est prêt.

Maître de musique
Au reste, Monsieur, ce n’est pas assez : il faut qu’une personne comme vous, qui êtes magnifique, et qui avez de l’inclination pour les belles choses, ait un concert de musique chez soi tous les mercredis ou tous les jeudis.

Monsieur Jourdain
Est-ce que les gens de qualité en ont ?

Maître de musique
Oui, Monsieur.

Monsieur Jourdain
J’en aurai donc. Cela sera-t-il beau ?

Maître de musique
Sans doute. Il vous faudra trois voix : un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d’une basse de viole, d’un théorbe, et d’un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritornelles.

Monsieur Jourdain
Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux.

Maître de musique
Laissez-nous gouverner les choses.

Monsieur Jourdain
Au moins n’oubliez pas tantôt de m’envoyer des musiciens, pour chanter à table.

Maître de musique
Vous aurez tout ce qu’il vous faut.

Monsieur Jourdain
Mais surtout, que le ballet soit beau.

Maître de musique
Vous en serez content, et, entre autres choses, de certains menuets que vous y verrez.

Monsieur Jourdain
Ah ! les menuets sont ma danse, et je veux que vous me les voyiez danser. Allons, mon maître.

Maître à danser
Un chapeau, Monsieur, s’il vous plaît. La, la, la ; la, la, la, la, la, la ; la, la, la, bis ; la, la, la ; la, la. En cadence, s’il vous plaît. La, la, la, la. La jambe droite. La, la, la. Ne remuez point tant les épaules. La, la, la, la, la ; la, la, la, la, la. Vos deux bras sont estropiés. La, la, la, la, la. Haussez la tête. Tournez la pointe du pied en dehors. La, la, la. Dressez votre corps.



Le Mystère (Le Triomphe de l'Amour) ; aquarelle XVIIe siècle



Monsieur Jourdain
Euh ?

Maître de musique
Voilà qui est le mieux du monde.

Monsieur Jourdain
À propos. Apprenez-moi comme il faut faire une révérence pour saluer une marquise : j’en aurai besoin tantôt.

Maître à danser
Une révérence pour saluer une marquise ?

Monsieur Jourdain
Oui : une marquise qui s’appelle Dorimène.

Maître à danser
Donnez-moi la main.

Monsieur Jourdain
Non. Vous n’avez qu’à faire : je le retiendrai bien.

Maître à danser
Si vous voulez la saluer avec beaucoup de respect, il faut faire d’abord une révérence en arrière, puis marcher vers elle avec trois révérences en avant, et à la dernière vous baisser jusqu’à ses genoux.

Monsieur Jourdain
Faites un peu. Bon.

Premier laquais
Monsieur, voilà votre maître d’armes qui est là.

Monsieur Jourdain
Dis-lui qu’il entre ici pour me donner leçon. Je veux que vous me voyiez faire.
[...]

Jean-Baptiste Poquelinle bourgeois gentilhomme, 1670



Château de Versailles

2 commentaires:

Anonyme a dit…

S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de saucisson... de cheval

M. Ogre a dit…

... Heuuu ... J'allais le dire ... ?!