samedi 3 avril 2010

Voyage circumterrestre / 2 ... Ou de l'orgueil déplacé des roys ...


... Bien pensé à des historiettes bien plus salaces et à des petits pots de confiture de framboise à vous offrir en matière de délice ... Mais une Fée me le défendit naguère ... quoique je me le défendis seul en cette occurrence ... Puis comment lutter contre les Fées, je vous le demande, moi qui ne connais aucun sortilège et qui n'ai prononcé aucun vœuxxx ... ???



Louis XVI donnant des instructions à Lapérouse le 26 juin 1785 ; Huile sur toile par Nicolas-André Monsiau, 1817

Tabé des biels marins, la famillo fiérouzo,
Quan entend sous grans noums, fa bisté lugri l'el ;
Mais an aquel de Lapèyrouso
S'aluco, et tiro lou copèl !
Et joou tiro méou daban soun estatuyo,
Car lou puplé m'appren sa glorio tout à fèt,
Et l'entendi que fay brounzina dins la ruyo :
S'en enguèt lèn que pel fret ou pel fèt,
Fusguet cambiat en brounzo... et brounzo nous tournès.


Portrait de Lapérouse (1741-1788) ; huile sur toile attribuée à François-Hubert Drouais (1727-1775), XVIIIe siècle


Jeunesse et carrière d'un navigateur ...

Jean-François de Galaup, comte de Lapérouse, est né le 23 août 1741 au château de Guo, à Albi, dans la province du Languedoc.

Comme la plupart des familles nobles albigeoises, sa famille s'était enrichie dans le commerce puis s'était élevée de la bourgeoisie à la noblesse. Au XVIe siècle, la famille de Galaup est parmi les plus importante d'Albi et elle possédera au XVIIIe siècle, une assez grande fortune dont la terre du Guo et un hôtel considérable dans la ville d'Albi, qui existe toujours dans la rue de l'École-Mage ...

C'est dans ce climat familial que Lapérouse grandit et prendra bientôt la mer, à quinze ans, comme garde de la marine, en 1756.


Plan de la région d'Albi ; carte de Cassini, 1780


Pendant ses études à Brest, il est engagé dès l'âge de 17 ans dans les conflits maritimes de la guerre de Sept Ans avec la Grande-Bretagne au large de l'Amérique du Nord, notamment à Terre-Neuve et sur le Saint Laurent avec son cousin Clément puis avec le chevalier de Ternay, qui deviendra son véritable tuteur, ainsi qu'aux Antilles.


Vue de l'intérieur du port de Brest, 1793 ; huile sur toile par Jean-François Hue (1751-1823), 1793
(... On notera l'anachronisme du drapeau tricolore, à l'époque ou Lapérouse fréquenta ce port ... ndla)


En 1759, à bord du Formidable , il est blessé et fait prisonnier par une escadre anglaise au large de la presqu'île de Quiberon jusqu'en 1761.

En septembre 1763, Bidé de Chézac prend avec lui quelques Gardes de la Marine, dont La Pérouse, pour conduire de Lorient à Brest le vaisseau neuf Les Six Corps. La Pérouse sera promu au grade d'enseigne le 1er octobre 1764.

Après près de dix ans, pendant lesquels il resta affecté à la reconnaissance et à la surveillance des côtes françaises, il fut chargé de deux voyages : le premier, du mois d'avril 1773 à 1775, comme commandant de la flûte le Seine, où il prit part aux campagnes du Bengale, de Chine et d'Inde.
 
Un second voyage entrainera le voyageur pour l'île de France (île Maurice), de 1776 à 1778, à bord de la frégate la Belle-Poule.



Paysage de l'île Maurice


Pendant cette navigation en temps de paix, Lapérouse fut promu au grade de lieutenant de vaisseau et le 24 mai suivant, nommé chevalier de Saint-Louis, avec pension de trois cents livres sur le Trésor royal.

Le désormais Sieur de Lapérouse, lors de ses voyages, lorsqu'il relâchait en Île de France, avait rencontré une jeune Créole, du doux nom de Louise-Éléonore Broudou, fille d'un fonctionnaire colonial.

À son retour de l'Inde, Lapérouse projetait de se marier avec elle et il en fit part à sa famille. Mais la prétendante était issue d'une couche sociale plus modeste que celle de ce dernier et son père lui signifia son désaccord dans une lettre fort virulente.


Rigobert Bonne (1727–1795) Isle de France ; Paris 1791


Lors de la reprise des hostilités (en 1778), il reçut le commandement de la frégate l'Amazone, et se distingua dans l'escadre du comte d'Estaing par la prise d'une frégate britannique, nommée l'Ariel.

Il participe ensuite à la guerre d'indépendance des États-Unis et aux combats contre les Britanniques aux Antilles jusqu'au Labrador (expédition de la baie d'Hudson), où il démontre sa valeur maritime et militaire en capturant deux forts britanniques. En 1779, il rentre en franc-maçonnerie ...

 
Auguste-Louis de Rossel de Cercy (1736-1824) ; Bataille de la Martinique, 1779


Devenu capitaine de vaisseau, en 1780, il se rendit avec l'Astrée sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre ; s'y étant réuni à la frégate l'Hermione, commandée, par Louis-René-Madeleine de Latouche-Tréville, il rencontra près de l'île royale une frégate ennemie et cinq petits bâtiments. La frégate fut prise avec un des cinq bâtiments ; les autres s'échappèrent.

La Pérouse se rendit ensuite au cap Français. C'est là qu'on lui apprit qu'il était chargé d'aller attaquer les établissements britanniques de la baie d'Hudson.



En 1783, après son retour du combat et alors qu'il a quarante-deux ans, il écrit à M. et Mme de Vésian, parents de Melle de Vésian, à laquelle ses parents semblait vouloir le voir marié, puisqu'elle était de fort noble condition ... Il écrira d'autres lettres aux parents de sa « promise » albigeoise semblant ainsi vouloir se conformer au choix de son père. Néanmoins, il épousera Éléonore Broudou ...

Dans une lettre à sa mère, aux accents très romantiques, il écrit : « J'ai vu Éléonore. Je n'ai pu résister aux remords dont j'étais dévoré [...]. J'oubliais mes serments, les vœux de mon cœur, les cris de ma conscience... Je ne puis être qu'à Éléonore. J'espère que vous y donnerez votre consentement... »

La famille consent malgré tout à ce mariage célébré religieusement à Paris, le 17 juin 1783 ... Il installe alors son épouse à Albi.

Pendant ces deux ans où il n'est pas en mer, Lapérouse est souvent absent de l'Albigeois, ainsi que le montre sa correspondance venant tantôt de Lorient, tantôt de Paris.


Portrait d'Éléonore Broudou, comtesse de Lapérouse (1755-1807)


Le projet d'expédition ...

C'est alors qu'il est "chaudement recommandé" auprès du roi par le ministre de la Marine, et par de Fleurieu, directeur des ports et arsenaux. Louis XVI lui confie une mission extraordinaire : un voyage autour du monde afin de poursuivre et parachever l'œuvre de Cook. La personnalité de Lapérouse le destine à une telle expédition : « Réunissant à la vivacité des habitants des pays méridionaux un esprit agréable et un caractère égal, sa douceur et son aimable gaîté le firent toujours rechercher avec empressement : mûri par une longue expérience, il joignait à une prudence rare cette fermeté de caractère qui est le partage d'une âme forte et qui, augmentée par le genre de vie pénible des marins, le rendait capable de tenter et de conduire avec succès les plus grandes entreprises. »



 
C'est en 1785 que Lapérouse prépare avec passion son voyage, en un siècle qui voit les expéditions se multiplier et les découvertes s'ajouter aux découvertes, siècle où la marine est à son apogée. L'Académie de marine, fondée en 1752 à Brest, est rétablie comme Académie royale en 1769. Elle fera considérablement progresser les instruments de navigation. Relever la longitude, grand problème d'alors, devient possible grâce à deux inventions récentes, respectivement anglaise et française : le chronomètre marin et l' « échappement libre ».


Carte préparatoire au voyage de Lapérouse dressée au dépot de la Marine en 1785. Exemplaire de Louis XVI


La rivalité franco-anglaise et la concurrence coloniale (en Inde de 1745 à 1761, en Amérique à partir de 1776) sont accentuées par les découvertes importantes des explorateurs anglais. En dix ans, les trois voyages de Cook firent faire à la géographie du globe plus de progrès que tous ceux de ses prédécesseurs réunis. L'essor des voyages n'est pas seulement le fruit d'un désir de connaître, tel qu'il s'exprime par exemple chez les encyclopédistes français, mais reflète aussi les ambitions coloniales de la France, entrée depuis un siècle en concurrence avec l'Empire britannique.
 
Sur les mers, la France a moins d'atouts que sa concurrente. Les ports de Brest et de Toulon sont éloignés du pouvoir central ; le passage vers Toulon est verrouillé par les Anglais à Gibraltar. La France n'a pas de base sur la Manche, contrôlée par les deux grands arsenaux de Plymouth et Portsmouth. En tant qu' île, l'Angleterre finance grandement sa flotte alors que la France, tenue de garantir ses frontières terrestres, n'y investit que le quart de ses crédits. Le désarmement des bateaux en temps de paix, tradition française, interrompt l'entraînement des équipages.

"Carte du Grand Océan ou mer du sud.  Dressée pour la Relation de voyage de Découverte faites par les Frégates Françoises la Boufsole et l'aftrolabe dans les Années 1785, 86, 87 et 88"


Lapérouse mentionne fréquemment Cook, sur un ton fort élogieux d'ailleurs, pour en critiquer les erreurs, tout en se flattant d'être plus précis que lui. D'ailleurs, les instructions rédigées en partie par Louis XVI au sieur de Lapérouse montrent clairement que celui-ci est chargé de compléter « les blancs laissés par Cook ». La coopération existe : un envoyé rapportera d'Angleterre des recettes antiscorbutiques, deux boussoles ayant appartenu à Cook et prêtées par la Royal Society, ainsi que deux sextants d'un type nouveau. À l'exemple de Cook, Lapérouse combinera plusieurs méthodes afin d'arriver aux relevés les plus exacts possible. Il embarque les ouvrages de Cook, d'ailleurs fort appréciés des lecteurs français. Mais les conflits politiques et économiques prévalent. Il s'agit d'ouvrir de nouvelles routes maritimes et d'établir de nouveaux comptoirs, notamment en Alaska et au Kamtchatka, d'étudier les projets des Anglais en Nouvelle-Zélande, de préparer le commerce des fourrures entre l'Amérique du Nord et la Chine, de prospecter pour chasser la baleine dans l'océan Atlantique sud, d'établir une éventuelle coopération coloniale avec les Espagnols aux Philippines, pour ne citer que quelques exemples. Lapérouse « [...] fera avec prudence [...] toutes les recherches qui pourront le mettre en état de faire connaître, avec quelque détail, la nature et l'étendue du commerce de chaque nation, les forces de terre et de mer que chacune y entretient, les relations d'intérêt ou d'amitié qui peuvent exister entre chacune d'elles et les chefs et naturels des pays où elles ont des établissements, et généralement tout ce qui peut intéresser la politique et le commerce ».


Perles et boutons en verre servant aux échanges, épaves de la Boussole et de l'Astrolabe


Le plan de voyage de Lapérouse procède de l'étude des voyages de Cook, et surtout du troisième. Ses objectifs sont au nombre de quatre :

« Dans l'océan Austral, il devait tirer au clair les incertitudes relatives au cap de Bouvet, puis compléter les investigations de Cook aux Sandwich du Sud et en Géorgie du Sud. Sous les tropiques, il devait continuer l'exploration des îles situées entre l'archipel de la Société, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Nouvelle-Guinée, puis examiner le golfe de Carpentaria. Sur les côtes d'Asie, Lapérouse devait étendre ses recherches de la Chine au Kamtchatka, en mettant un soin particulier à résoudre les problèmes relatifs à l'île de Yéso (que Lapérouse écrit Jesso). De l'autre côté du Pacifique, il devait explorer soigneusement la côte d'Amérique en vue de découvrir un passage vers l'Atlantique à travers ce continent ». 

Voyage très ambitieux d'environ 150 000 kilomètres pendant 1 300 jours, devant compléter à lui seul les trois voyages de Cook : « Si, comme on a droit de l'attendre du zèle et de l'habileté du commandant de l'expédition, tous les objets indiqués dans ses instructions ont été remplis, le voyage de M. de La Pérouse ne laissera plus aux navigateurs qui voudront tenter des découvertes, que le mérite de nous donner des détails plus circonstanciés sur quelques positions du globe ». Cinq cartes sont dressées pour l'occasion « à partir des meilleures cartes françaises, espagnoles, anglaises et hollandaises ». Deux exemplaires par navire, et un sur lequel Louis XVI suivra le voyage.


Canon de méridienne


Deux flûtes, l'Autruche et le Portefaix, chacune de quarante-cinq mètres et cinq cents tonneaux (environ 1400 m3), furent armées en frégates dans le port de Brest et rebaptisées. Lapérouse s'embarque sur la Boussole ; l'Astrolabe a pour commandant le vicomte Fleuriot de Langle, capitaine de vaisseau, un des plus savants officiers de la marine et ancien compagnon de guerre de Lapérouse. Les états-majors, choisis par Lapérouse, étaient composés d'officiers expérimentés ; plusieurs savants et artistes se joignent aussi à l'expédition. La Boussole embarque deux lieutenants, trois enseignes, quatre gardes de la marine, onze ingénieurs savants et artistes, sept officiers mariniers et pilotes, huit canonniers et fusiliers, douze charpentiers, calfats et voiliers, quarante gabiers, timoniers et matelots, quatorze canonniers servants, sept surnuméraires et sept domestiques.



Sextant fabriqué par Mercier à Brest, avant 1785 - Epave de la Boussole (fouille 2005)


L'Astrolabe était à peu près composée de la même façon. Soit environ deux cent trente personnes pour les deux navires, dont presque la moitié de Bretons. Ce nombre baissera sensiblement au cours du voyage à cause du naufrage au port des Français, en Alaska (vingt et un décès) puis du massacre de Tutuila, aux îles Samoa (treize décès dont un plus tard suite aux blessures). Six personnes seront débarquées en divers endroits, parfois un peu malades. Environ la moitié de ces effectifs sera remplacée : deux lieutenants, huit fusiliers, un matelot et un domestique seront embarqués à Manille, douze matelots chinois ainsi qu'un autre lieutenant à Macao. Deux membres seulement de l'équipage seraient morts de maladie, et en fin de voyage seulement : un enseigne, de la dysenterie, sur l'Astrolabe et le cuisinier des officiers de la Boussole, du scorbut, en 1787.

Cette même année, un commis aux vivres est également mort d'un accident par arme à feu : « Aucun navigateur n'a fait une campagne aussi longue [...] avec des équipages aussi sains [...] après trente mois [...] et plus de 16 000 lieues de route. »



Vivres de la marine. Services extraordinaires. Liste des vivres embarqués pour l'expédition


Lapérouse aura fait appliquer les mesures de prévention du scorbut et d'hygiène préconisées par Cook : « Faire visiter et aérer, pendant ses séjours dans les ports, les parties de ces vivres qui annonceraient un principe d'altération [...] et il s'occupera essentiellement de toutes les ressources qui pourront se présenter dans les différentes relâches, pour procurer [...] du poisson frais à ses équipages et [...] renouveler ses salaisons. »



Compas azimutal avec sa plaque en mica, fabriqué par Gregory à Londres, avant 1785 - Epave de La Boussole (fouille 2005)


Parfaitement secondé par l'infatigable Rollin, médecin qu'il tient en haute estime, il aura respecté les recommandations suivantes : « Il fera usage de tous les moyens connus tels que les ventilateurs, les fumigations, les parfums, pour renouveler et purifier l'air de la cale et de l'entrepont. Il fera tous les jours, s'il se peut, exposer à l'air libre les hamacs et les hardes de l'équipage. ».



Instruments scientifiques (compas à pointe sèche, pieds de roi) de l’expédition Lapérouse


En ce qui concerne la relation de Lapérouse avec ses équipages, « le lecteur [...] sera peu étonné de [...] la confiance, quelque fois même de la déférence qu'il témoignait à ses officiers et de ses soins paternels envers ses équipages : rien [...] n'échappait à sa surveillance, à ses sollicitudes. Ne voulant pas faire d'une entreprise scientifique une spéculation mercantile, et laissant tout entier le bénéfice des objets de traite au profit des seuls matelots de l'équipage, il se réservait pour lui la satisfaction d'avoir été utile à sa patrie et aux sciences ».




Graphomètre, instrument de mesure angulaire - Epave de La Boussole (fouille 1999)


Parmi les savants, on trouve ingénieur, chirurgien, météorologue, astronome, physicien, médecin, interprète, botaniste, horloger, naturaliste. Les artistes sont chargés de « dessiner [...] toutes les vues de terre et les sites remarquables, les portraits des natures des différents pays, leurs costumes, leurs cérémonies, leurs jeux, leurs édifices, leurs bâtiments de mer, et toutes les productions de la terre et de la mer dans les trois règnes ». Parmi les surnuméraires, on trouve boulanger, commis aux vivres, boucher, tonnelier, cuisinier, charpentier, forgeron, maître armurier. Il y a aussi à bord des aumôniers et un tambour. Le roi se plaisait à dire que les bâtiments de Cook n'étaient pas aussi bien approvisionnés que ceux de Lapérouse. On emporte notamment trois cent cinquante tonneaux de vivres, beaucoup d'ouvrages scientifiques ainsi que des graines à distribuer aux populations visitées. Le matériel scientifique est bien supérieur à celui de Cook : plus d'agrès et de voiles en supplément (Cook en avait manqué) ; plus de savants à bord, dont un interprète qui avait fait défaut à Cook. Les moyens accordés à Lapérouse sont considérables, à la hauteur de ce qu'il écrit à Fleurieu avant son départ : « Si nous remplissons les vues du ministre, il est certain que ce voyage pourra être cité dans la postérité et nos noms surnager dans l'espace des siècles après ceux de Cook et de Magellan. »



L' ile de Vanikoro


Le départ de l'aventure ... et la tragique disparition de l'expédition ...

Les deux vaisseaux quittent la rade de Brest le le, août 1785 et atteignent l'île de Madère le 13 août, puis Ténériffe (19-30 août). Après avoir traversé l'équateur, le 29 septembre, ils s'approchent de la Trinité puis se dirigent vers Sainte-Catherine où ils mouillent le 6 novembre. En chemin, Lapérouse cherche vainement l'île de l'Ascension dont la position était alors fort douteuse. Partie de Sainte-Catherine le 19 novembre, l'expédition recherche l'île Grande jusqu'au mois de décembre, en vain.

En janvier 1786, les vaisseaux franchissent le détroit de Le Maire en longeant la Terre de Feu jusqu'au cap Horn. qu'ils doublent le 8 février pour mouiller à La Conception à la fin de ce mois. Le 9 avril, les vaisseaux mouillent à l'île de Pâques dans la baie de Cook. De là, ils se dirigent vers l'archipel des Sandwich en suivant une route à peu près parallèle à celle de Cook en 1777, mais portée d'environ huit cents lieues plus à l'est, à travers une mer tout à fait inconnue.

Le 29 mai, les frégates mouillent à l'île de Mowee (Maui) aux îles Sandwich, puis se dirigent vers la côte ouest de l'Amérique (d'où Cook avait sans cesse été repoussé par les courants) et la longent jusqu'à Monterey (23 juin-15 septembre). Durant ce voyage, Lapérouse reconnaît l'embouchure de la rivière de Behring et le mont Beau-Temps. Il découvre et nomme la baie de Marti, le port des Français, et l'île baptisée « du Cénotaphe » en hommage aux disparus. Ces découvertes seront confirmées par Vancouver. C'est pendant ce trajet qu'a lieu un naufrage en chaloupe qui engloutit six officiers et quinze hommes.

Le 24 septembre, les bateaux quittent Monterey pour Macao, où ils mouillent le 3 janvier 1787 après avoir passé par les îles Mariannes et Bashi. II apprend le 2 novembre qu'il est promu chef d'escadre. C'est de Macao qu'il envoie la première partie de son voyage par Dufresne, naturaliste. Ce dernier aurait laissé un récit de l'expédition sous un pseudonyme.


Plan des îles Vanikoro (ou de Lapérouse),
extrait de l’Atlas du voyage de la corvette L’Astrolabe par J. Dumont d’Urville (1826 -1829), publié en 1833


Durant le voyage, Lapérouse découvre un rocher aride, qu'il nomme île Necker, et un écueil fort dangereux, qu'il nomme Basse des frégates françaises. Il arrive à Manille le 28 février et repart le 9 avril afin de reconnaître les côtes du Japon et celles de Tartarie. Après avoir reconnu l'île de Formose, l'expédition entre dans la mer du Japon par le détroit de Corée. On découvre en mai une île qu'on nomme île Dagelet. Le 11 juin, les vaisseaux atteignent la côte de Tartarie, la longent et pénètrent dans le canal qui les sépare de l'île Ségalien ; Lapérouse y découvre alors les baies de Ternay, de Suffren, de Castries et de Langle. Puis, redescendant vers le sud, il découvre le détroit qui porte toujours son nom et, traversant par le canal de la Boussole le chapelet d'îles qui prolonge le Japon, il atteint le Kamtchatka le 7 septembre. De ce mouillage, il envoie en Europe Barthélemy de Lesseps, consul de France parlant plusieurs langues (dont le russe), et qui ramène ainsi une partie de son journal après treize mois de voyage dans des conditions très difficiles. Il a même dû apprendre à conduire des chiens de traîneau. C'est ainsi que de Lesseps, oncle de Ferdinand de Lesseps, échappa au sort funeste qui attendait Lapérouse et ses compagnons. Il a laissé un récit passionnant de son aventure.

Vestiges de l’équipement des troupes chargées de la protection de l’expédition Lapérouse


Repartant le 29 septembre du Kamtchatka, Lapérouse abandonne le projet de reconnaître les îles Kuriles, à cause des vents d'ouest, et cherche en vain une île prétendument découverte par les Espagnols en 1620, puis, le 9 décembre, arrive à Tutuila (qu'il nomme Maouna, du nom du chef de l'île). Le navigateur traverse l'équateur pour la troisième fois. C'est dans cette relâche que périssent, massacrés par les habitants, M. de Langle, M. de Lamanon, physicien, et dix hommes de l'équipage.

Lapérouse garda son sang-froid et ne fit aucune représaille. Au contraire de Cook, assassiné à Hawaii lors d'une expédition punitive organisée par lui pour des motifs bien moindres. Après ce drame, l'expédition reconnaît les îles des Amis, celles des Navigateurs (Samoa) et enfin l'île de Norfolk, avant d'atteindre Botany Bay, près de Sydney, où elle mouille le 26 janvier 1788.

C'est de là que part pour la France la dernière lettre de Lapérouse, datée du 7 février 1788, ainsi qu'une partie de son journal, rapportée par les Anglais qui ont toujours respecté et admiré le navigateur.

Pistolet appartenant à l'un des passagers ou des officiers de la Boussole (fouilles 1999)


Il comptait explorer les îles subtropicales et le golfe de Carpentaria, mais on ne saurait dire ce qu'il a pu réaliser avant sa disparition dans l'immensité du Pacifique sud, probablement lors d'un cyclone tropical, en 1788. Il a joué en France un rôle analogue à celui de Cook en Angleterre. Lié à lui jusque dans son tragique destin, il n'a pas eu le temps pour l'égaler dans ses découvertes. Néanmoins, représentant avec beaucoup d'exactitude nombre de faits importants, ses relevés et ses observations constituent un monument de valeur.


Encrier et autres objets appartenant aux membres de l'expédition Lapérouse - Epave de la Boussole


Le journal de l'explorateur ...

Les notes et lettres de Lapérouse, dictées et parfois écrites de sa main, sont conservées aux Archives nationales. En 1791, un décret de la Convention ordonne l'impression des cartes et mémoires envoyés par le navigateur.

L'auteur déclarait à propos de leur éventuelle publication : « Si l'on imprime mon journal avant mon retour, que l'on se garde bien d'en confier la rédaction à un homme de lettres ; ou il voudra sacrifier à une tournure de phrase agréable le mot propre qui lui paraîtra dur et barbare, celui que le marin et le savant préféreraient [...] ; ou bien, mettant de côté tous les détails nautiques et astronomiques, [...] il commettra, par le défaut de connaissances [...] des erreurs qui deviendront funestes à mes successeurs : mais choisissez un rédacteur versé dans les sciences exactes, qui soit capable de [...] rectifier les erreurs qui ont pu m'échapper, de n'en point commettre d'autres. Ce rédacteur s'attachera au fond, il ne supprimera rien d'essentiel ; il présentera les détails techniques avec le style âpre et rude, mais concis, d'un marin, et il aura bien rempli sa tâche en me suppléant, et en publiant l'ouvrage tel que j'aurais voulu le faire moi-même. »

L'ouvrage ne paraîtra qu'en 1797, en quatre volumes, à la fin du Directoire ...



Site de la Faille, épave de la Boussole



La lecture de la relation de voyage de Lapérouse est intéressante à plusieurs titres pour un lecteur d'aujourd'hui. On est surpris d'abord par l'intrépidité, le courage et l'ambition de ce marin formé, ne l'oublions pas, à la rude école des guerres maritimes sur une période de plus de vingt ans. C'est un navigateur expérimenté et compétent. Ensuite, certaines parties de son récit peuvent être considérées comme un embryon de littérature anthropologique. La découverte du monde est aussi la découverte des hommes. Les descriptions des habitants de l'île de Pâques, des Indiens des missions de Californie, des populations du Kamtchatka ou de la Chine, très minutieuses, révèlent des dons d'observation remarquables, le désir d'identifier les autres et de voir ce qui est original, imprévu, bizarre même.

Lapérouse a le sentiment que, sous l'apparente diversité des formes de la vie sociale, il existe un principe commun qui relie tous les êtres, l'unité du genre humain.

À cela s'ajoute une foule d'observations géographiques, climatiques etc., qui représentent la somme du travail accompli non seulement par Lapérouse, mais aussi par les savants embarqués avec lui et qui avec lui périront tous.

Verres à liqueur, épave de la Boussole (fouille 2005)


Le récit n'est pas seulement intéressant par ce qu'il nous apporte d'informations inédites sur les contrées et les peuples visités, mais aussi par ce qu'il nous apprend sur l'idéologie d'un Français cultivé et curieux du siècle des Lumières. La vision est certes, dans la plupart des cas, purement européocentrique et « naïvement » coloniale. On remarque, par exemple, qu'à aucun moment Lapérouse ne se pose la question de savoir s'il est bon d'imposer, ne serait-ce que sous forme de dons, de nouveaux animaux ou de nouvelles plantes aux « naturels ».

Porteur de l'optimisme rationaliste de son siècle et de sa foi dans le progrès et l'utilité, Lapérouse conçoit son exploration comme introduction à une colonisation possible, à une exploitation profitable (le commerce des peaux de loutre par exemple) et à une mise en valeur des territoires et des hommes. S'il critique la colonisation espagnole, c'est parce qu'il considère qu'elle n'est pas suffisamment efficace, moderne et « humaine » pour transformer les habitants des colonies en producteurs et en consommateurs.



Pile à godets, poids de balance de précision, épave de La Boussole, (fouille 1999)


Lapérouse, semble-t-il, a tenté d'employer le moins possible la force dans ses rapports avec certains peuples qui paraissent avoir été agressifs contre l'expédition, comme en témoigne le massacre de de Langle et de onze de ses marins. Il se sera ainsi attaché « à imiter la bonne conduite de quelques-uns des navigateurs qui l'ont devancé, et à éviter les fautes de quelques autres. A son arrivée dans chaque pays, il s'occupera de se concilier l'amitié des principaux chefs, tant par des marques de bienveillance que par des présents [...]. Il emploiera tous les moyens honnêtes pour former des liaisons avec les naturels du pays. Il cherchera à connaître quelles sont les marchandises ou objets d'Europe auxquels ils paraissent attacher le plus de prix, et il en composera un assortiment qui leur soit agréable, et qui puisse les inviter à faire des échanges ».

À cet effet, on avait emporté, entre autres objets, des médailles frappées à l'effigie du roi et mille quatre cents paquets de rassades (verroterie). « Le sieur La Pérouse, dans toutes les occasions, en usera avec beaucoup de douceur et d'humanité envers les différents peuples qu'il visitera dans le cours de son voyage. » Ces recommandations visaient à prévenir toute violence à l'encontre des navigateurs. N'oublions pas que Cook lui-même avait été assassiné à Hawaii et qu'aucun navire n'avait osé y aborder pendant sept ans.

Ces instructions visaient également à mettre le voyage à l'abri de toute critique. Certains philosophes désapprouvaient les expéditions car elles pouvaient entraîner des actes de barbarie laissant dans l'histoire de certains peuples des traces douloureuses voire indélébiles. L'introduction de maladies (rougeole, grippe, syphilis) mettaient aussi à mal les populations visitées. (Celle d'Hawaii, par exemple, passa en quatre-vingts ans de 300 000 à 50 000 habitants.)



Ciel de Brest ; cliché Arnaud Abélard


Cependant, Lapérouse n'a pas trouvé partout où il est passé ce qu'on appelle vulgairement des « sauvages ». En dépit de ce qu'il écrit sur l'homme de la nature : « Il est impossible de faire société [...] avec l'homme de la nature parce qu'il est barbare, méchant et fourbe » ; en dépit du désaccord qu'il exprime avec les « philosophes » : « Ils font leurs livres au coin du feu et je voyage depuis trente ans », en précisant que « les peuples qu'on nous peint si bons parce qu'ils sont très près de la nature » sont cruels et dépourvus de tout sentiment du juste et du bien, il ajoute ces mots significatifs : « Cette nature n'est sublime que dans ses masses, elle néglige tous les détails. »

C'est pourquoi on trouve dans son récit des témoignages qui vont à l'encontre de ce qu'il dit sur l'homme de la nature ; il a décrit en effet des peuples pacifiques, hospitaliers et dotés, selon lui, d'un certain degré de « civilisation ».

Au sein de ces contradictions apparentes, le lecteur de Lapérouse pourra voir se dégager un certain nombre d'idées nouvelles qui sont le fondement de la réflexion anthropologique du XIXe et du XXe siècle. Tel est le cas, par exemple, de la notion de l'inégalité de développement des divers secteurs de la vie sociale ou intellectuelle des peuples, à une époque où l'on croyait encore aux progrès nécessairement uniformes de tous ces secteurs.

C'est ainsi qu'il faut relire Lapérouse, dans toute son approche européocentrique d'homme des Lumières, simultanément humaniste, scientifique et colonial.

Récit de l'aventure, librement inspiré, quoique largement librement recopié, d'après la notice introductive de l'édition du « Voyage autour du monde sur l'Astrolabe et la Boussole (1785-1788) » par Hélène Patris, 2008 ...


(À suivre ...)


5 commentaires:

Dan a dit…

Votre article me rappel mon enfance...
Je suis né à Madagascar et j'ai laissé un gros morceau de ma tendre jeunesse dans les îles de Bourbon (Réunion) et de France (Maurice)...
Ah... les parfums doux de l'enfance...
Merci M.Ogre pour cela.

la Mère Castor a dit…

M. Ogre, votre billet ravira ma fille Alice, qui aime tant les îles de la Réunion et Maurice, quant à moi, comme j'ai le plaisir d'avoir été invitée à accompagner une classe d'enfants de CM2 à la Rochelle au mois de mai, je penserai à vous en (re)voyant le charmant cabinet de curiosités du muséum.

M. Ogre a dit…

Dan > Que ne vous lancez vous dans la création d'un blog où l'on apprendrait à partager heureusement les "parfums doux de l'enfance", et tant d'autres choses encore ... ?

Mère Castor > J'avoue être un peu perplexe devant le fait qu'on me parle de la Réunion et de l'île Maurice à propos de ce post ... De la première, je ne parle pas, et de la seconde, je l'évoque juste à propos de ce qui, somme toute, reste une infime anecdote ... Je reconnais toutefois, m'être passionné à trouver un portrait de la Dame, annoncée comme créole de Maurice (voir d'autres "recettes" publiées dans ce blog ...), et à propos de laquelle je m'étais pris à douter de la couleur de peau (des mariages mixtes à cette époque, et dans ce milieu, voilà qui m'aurait agréablement surpris ... mais hélas ...)...

Malheureusement, et sans vouloir cesser de susciter l'intérêt de votre fille, je crains de ne plus revenir autant que je le voudrais, sur les doux voyages de Lapérouse au Royaume de ces anciennes colonies ... Qu'elle veuille bien ne pas m'en tenir trop de rigueur

... En revanche, je puis lui promettre de lui parler bientôt d'autres heureuses terres et même de nouvelles îles ...

M. Ogre a dit…

... PS ... Je crois être le plus curieux des Ogres en matière de "cabinet de curiosités" ... Bonne(re)visite et bon vent à vous ...

Dan a dit…

M.Ogre,

J'y pense de plus en plus à créer mon propre blog...Mais il faut y consacrer du temps et pour ça faire le choix d'abandonner d'autres pratiques toutes aussi passionnantes...
Si je me lance, je ne manquerai pas de vous faire signe.

Mère Castor < Votre évocation de la Rochelle me rappelle là aussi son tout petit musée maritime rempli de curiosités où l'on pouvait observer des embryons monstrueux côtoyer des ossements de baleine, des masques d'îles lointaines avec leurs plumes exotiques, des maquettes de vaisseaux de guerre, des registres merveilleusement calligraphiés, le tout dans une odeur de poussière et de parquet ciré ... L'étrange fascination de la science, de l'art, de l'histoire et quelque chose du "memento mori" qui donne du goût à l'éphémère...

Votre blog M.Ogre contient ces ingrédients et bien d'autres qui éveillent la curiosité... ;)