vendredi 12 février 2010

Coquinare Ogrorum Est ...



Détail d'une fresque murale  trouvée à la villa de Poppée à Oplontis (près de Pompéï)


Il y a eu plusieurs Apicius ou personnes utilisant ce nom. Le plus célèbre d'entre eux fut un cuisinier qui servi les empereurs Auguste et Tibère et qui vécu entre 25 av. J.C. et 37 ap. J.-C...

Plusieurs auteurs dont Pline l'Ancien, Sénèque et Tacite y font référence. Sénèque, en particulier raconte l'anecdote suivante :

"De nos jours vivait Apicius. Dans cette même ville d'où l'on a chassé les imbéciles heureux comme corrupteurs de la jeunesse, il a professé l'art de la bonne chère et il a infecté le siècle de sa science. Sa mort vaut la peine qu'on la raconte. Après avoir dépensé pour sa cuisine 100 millions de sesterces [ soit 3 à 4 millions d’euro ], après avoir absorbé pour chacune de ses orgies tous les revenus du Capitole, se trouvant accablé de dettes, il eut l'idée de faire, pour la première fois, le compte de sa fortune. Il compta qu'il lui restait 10 millions de sesterces [300 à 400 milliers d’euro] et, comme s'il eut dû vivre dans les tourments de la faim avec ses 10 millions de sesterces, il s'empoisonna. Quels devaient être sa corruption et son faste, alors que 10 millions de sesterces lui représentaient l'indigence ?"

Riche, voluptueux, il dépensait des fortunes en festins. Il avait ouvert une école de gourmandise où les fils des patriciens se bousculaient plus que dans les jardins des grands philosophes. Son nom est devenu une référence, et a été adopté comme titre du traité romain de cuisine, qui, sous sa forme actuelle, daterait du Ve siècle.

Le second vécut dans la première moitié du Ier siècle (selon certains, au IVe s.). Il est l'auteur du traité gastronomique que nous connaissons, le De Re Coquinaria, collection de recettes classées par ingrédients et par plats. Sous sa forme actuelle, ce traité, entre-temps remanié, complété, daterait du IVe siècle. On ne sait pas si son auteur portait effectivement ce nom ou l'a utilisé comme pseudonyme par référence au précédent.

Ce traité de cuisine qui a paru sous le nom de Coelius Apicius est l'un des premiers manuels d'art culinaire de l'histoire de l'humanité.



"Vase à boire" en argent -skyphos- ceinturé de rameaux d'olivier,
trouvé dans la villa de Boscoréale, sur les pentes du Vésuve. Fin Ier s. av. JC



RECETTE DU VIN MERVEILLEUX AUX ÉPICES :

On met quinze livres de miel dans un récipient de bronze où on aura préalablement versé deux setiers de vin, de façon à réduire le vin en faisant cuire le miel. On chauffe doucement sur un feu de bois sec, on agite avec une spatule pendant la cuisson. Si cela se met à bouillir, on arrête en arrosant de vin, mais le liquide retombe aussi quand on le retire du feu. Quand il a refroidi, on le remet au feu. On procède ainsi une seconde et une troisième fois ; on retire enfin du feu et on écume le lendemain. alors quatre once de poivre déjà pilé, trois scrupules de mastic, une drachme de feuille de nard et une de safran, cinq noyaux de dattes torréfiés, avec les dattes ramollies dans du vin, en arrosant d'abord de vin de qualité et quantité convenables pour adoucir le mélange. Ceci fait, on verse sur le tout dix-huit setiers de vin doux. On traitera au charbon le produit obtenu.



"La vie est un théatre. Réjouis-toi tant que tu es en vie" ... 
Gobelet en argent de la fin du Ier s. av. JC, trouvé à Boscoréale (Campanie)


RECETTE DU VIN DE ROSES OU DE VIOLETTES :

Prenez des pétales de roses dont vous aurez ôté l'onglet blanc, enfilez-les en chapelets et mettez-en le plus possible dans du vin pour les y laisser sept jours. Les sept jours passés, retirez du vin les roses et remplacez-les par d'autres fraîches en chapelet, que vous laisserez reposer sept jours dans le vin, après quoi vous les retirerez. Procédez de même une troisième fois, ôtez les roses et filtrez le vin, et, quand vous voudrez le boire, ajoutez du miel pour faire le vin de roses. Prenez bien soin de mettre des roses de premier choix et non humides de rosée. Préparez comme ci-dessus avec le vin de violettes et mêlez-y du miel de la même façon.




Labour en semaille au milieu des oliviers. Mosaïque de Cherchel (Algérie), vers 200-210 ap. JC


QUENELLE :

Mettez dans un mortier du poivre, de la livèche et de l'origan, triturez, versez du garum*, ajoutez des cervelles cuites, pilez avec soin pour ne pas laisser de morceaux. Ajoutez cinq œufs et battez avec soin pour les incorporer. Travaillez avec du garum, versez dans une casserole de cuivre et faites cuire. Après cuisson, étendez sur une table propre et coupez en dés. Mettez dans un mortier du poivre, de la livèche et de l'origan, triturez, mélangez bien, dans une casserole et faites bouillir. Quand cela aura bouilli, émiettez de la pâte, liez, remuez et videz dans un plat à champignons. Saupoudrez de poivre et servez.




Dattes servant de flacons, trouvées à Pompéi


RECETTE DE VULVES EN QUENELLES :

Poivre pilé et cumin, deux petites têtes de poireaux nettoyées jusqu'au tendre, rue et garum ; on ajoute la viande bien pilée et triturée derechef avec le contenu du mortier, de façon à l'y amalgamer. Mettez du poivre en grains et des pignons de pin et garnissez en tassant la vulve bien lavée. On fait cuire ainsi avec de l'eau, de l'huile, du garum, un bouquet de poireaux et de l'aneth.


Cerisier ou arbousier... Peinture murale de la maison du Verger à Pompéi


RECETTE DE VULVE GRILLÉE :

Roulez-la dans le son, puis mettez-la dans la saumure et faites-la cuire ainsi.




Flacon de verre figurant des parcs à huîtres ; tombe de Populonia (Étrurie), fin IIIe- début IVe s. ap. JC



TÉTINES :

Faites bouillir les tétines, attachez-les avec des hâtelets de roseau, saupoudrez-les de sel et mettez-les au four ou au gril. Faites griller légèrement. Pilez du poivre, de la livèche, du garum, mouillez de vin pur et de vin paillé, liez à la fécule et versez sur les tétines.


Rameau de rue dans une bouteille de grappa (marc de raisin distillé)


TÉTINES FARCIES :

On pile du poivre, du carvi, des oursins salés, on coud et on fait cuire ainsi. On mange avec de l'hallec et de la moutarde.




Jeune homme et courtisane. Peinture murale d'Herculanum


RECETTE DE LA PATINA D'APICIUS :

Prenez de la tétine de truie cuite et coupée en morceaux, de la chair de poisson, de la chair de poulet, des becfigues ou des filets de grives cuits et tout ce que vous aurez de meilleur. Hachez le tout soigneusement, excepté les becfigues. Délayez des œufs crus avec de l'huile. Pilez du poivre et de la livèche, mouillez avec du garum, du vin et du vin paillé, mettez à chauffer dans une cocotte et liez avec de la fécule. Mais auparavant jetez-y tout votre hachis et laissez bouillir. Après la cuisson, enlevez du feu avec le jus et versez à la louche par couches dans un moule, avec du poivre en grains et des pignons, de façon que, pour chaque couche, vous placiez d'abord au fond une abaisse, puis de la même façon une feuille de pâte. Alternez les feuilles de pâte et les louches de farce. Placez au sommet une feuille de pâte percée d'un roseau creux. Saupoudrez de poivre. Mais auparavant liez les chairs en cassant des œufs et mettez ainsi dans la cocotte avec la farce.

Mosaïque de la maison du Faune à Pompéi, fin du IIe s. av. JC


GARUM AU VIN POUR LE FOIE GRAS** :

Poivre, thym, livèche, garum, un peu de vin et de l'huile.

Autre recette :

Émincez le foie avec un roseau faites-le tremper dans du garum. du poivre, de la livèche et deux baies de laurier, enveloppez dans une crépine, faites rôtir au gril et servez.



Verre de Cologne, IVe s. ap. JC


ESCARGOTS ENGRAISSÉS AU LAIT :

Prenez des escargots, nettoyez-les et enlevez la membrane pour qu'ils puissent sortir. Mettez dans un récipient du lait avec du sel pendant un jour, et seulement du lait les jours suivants, et nettoyez leurs saletés toutes les heures. Quand ils auront engraissé au point de ne pouvoir rentrer dans leur coquille,... et faites-les frire à l'huile. Arrosez de garum au vin. De la même façon, on peut aussi les engraisser à la bouillie.




Fruits frais, fruits en conserve... Peinture murale de Pompéi


POTAGE POUR LE VENTRE :

Faites cuire à l'eau des bettes émincées et des poireaux de conserve ; disposez-les dans une casserole. Pilez du poivre, du cumin, mouillez de garum et de vin paillé pour sucrer légèrement. Faites bouillir et servez après ébullition.



Grives ; Mosaïque, Tunisie


*Le garum, ou liquamen (qui veut dire « jus » ou « sauce » en latin) était une sauce, le principal condiment utilisé à Rome dès la période étrusque et en Grèce antique. Il s'agissait de poisson ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel, afin d'éviter tout pourrissement. Il entrait dans la composition de nombreux plats, notamment à cause de son fort goût salé.

Le garum le plus réputé, dit garum des alliés (garum sociorum), était fabriqué en Bétique (notamment à Baelo Claudia), sud de l'Espagne actuelle donc en Andalousie, à partir du thon rouge qui migre de l'Atlantique à la Méditerranée. Il s'en faisait une grande pêche, dont le produit était commercialisé salé. Le garum lui, était élaboré avec le sang, les œufs et le système digestif des poissons, mélangés à une grande quantité de sel (au moins 50 % du volume total). La présence de sel inhibant la décomposition naturelle, la macération se produisait probablement sous l'action des sucs digestifs du thon. Il ne s'agit donc pas d'une putréfaction.

Des garums de moindre qualité, préparés directement à partir de la chair du thon, ou d'un autre poisson (comme le maquereau), étaient fabriqués dans tout le bassin méditerranéen. Tous ces garums étaient commercialisés dans des amphores qui étaient de petites amphores, vu le prix du contenu. On commercialisait également de l'allec, moins cher, qui était ce qui restait quand le dessus liquide avait été enlevé.

La saveur du garum serait à rapprocher de celle du nuoc-mâm vietnamien.

Il est à l'origine du pissala ou pissalat, un condiment voisin du garum, consommé dans la région de Nice.



Couvercle de poëlon en bronze ; Mundelsheim (Allemagne)


** L'histoire du foie gras remonte à l'Égypte ancienne (fresques de tombes vieilles de 4 500 ans à Saqqarah). Les Égyptiens gavaient plusieurs espèces d'oiseaux palmipèdes, dont des oies, à l'aide de granules de grains rôtis et humidifiés. Toutefois, nous ne disposons d'aucune preuve de l'utilisation du foie gras dans l'alimentation en Égypte (ni textes, ni images au musée du Caire et au musée du Louvre) : beaucoup de peuples anciens comme les Chinois depuis 4500 ans ou dans le sud-ouest de la France jusqu'au XIXe siècle ont pratiqué ou pratiquent le gavage des oies et des canards pour avoir des animaux à chair grasse (graisse utilisée pour conserver des aliments, pour s'éclairer et pour faire la cuisine) et non pas pour obtenir des foies gras. Plus tard la pratique s'étendit dans toute la région méditerranéenne. Le poète grec Cratinos l'évoque au Ve siècle av. J.-C.

La pratique s'est poursuivie sous l'Empire romain. Pline l'Ancien évoque le gavage d'oies à l'aide de figues séchées. Au IVe siècle, le De re coquinaria d’Apicius donne sa première recette. Le foie produit s'appelait Jecur ficatum, que l'on traduit littéralement par « foie aux figues ». Les anciens ne conservèrent que le terme ficatum ou figue pour sa dénomination, ce qui donna la forme figido au VIIIe siècle, puis fedie, feie au XIIe et finalement « foie ». Toutefois, cette racine ne se retrouve qu'en français, italien, portugais, espagnol et roumain.

La tradition du foie gras s'est perpétuée après la chute de l'Empire romain en Europe centrale, dans les communautés juives. Les juifs utilisaient fréquemment la graisse d'oie pour la cuisson, car le beurre avec la viande et le saindoux leur étaient interdits. De plus, les huiles d'olive et de sésame étaient difficiles à obtenir en Europe centrale et de l'ouest. Nous n'avons aucune preuve (textes, images) de la pratique du gavage et de l'utilisation du foie gras dans le Sud-Ouest de la France au Moyen Âge et sous la Renaissance.

Ainsi, si traditionnellement, deux régions françaises, le Sud-ouest et l'Alsace, se disputent la paternité de ce mets de fête, l'origine du foie gras est en réalité très ancienne.

Le maïs étant originaire d'Amérique centrale, le gavage au maïs est arrivé tardivement. Le gavage aux figues est historique, désormais...



Détail d'une mosaïque trouvée à Rome, au pied de l'Aventin ; époque d'Hadrien

15 commentaires:

M. Ogre a dit…

... À suivre, la recette de vulve de truie farcie auxxx quenelles ...
Ben quoi ?!!!

Mouette a dit…

Décidément décadent, l'Ogre... Ou toujours provocateur ? Et dire que je pensais que l'âge arrangerait cela... mais tant que les petits cochons ne t'ont pas mangé ! (le plus tard possible, bien sûr)
Joyeux samedi 13 février !

M. Ogre a dit…

... Merci !!!

la Mère Castor a dit…

La diversité culinaire, signe avant coureur de décadence ? Savoureux regard en arrière.

M. Ogre a dit…

... Mille merci de votre visite, ô conteuse de belles histoires ...

Tâchez simplement, je vous prie, de ne pas mettre à bas mon bois joli pour le mettre en votre rivière ...

... en guise de barrage ...

Dan a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
ghkjhkjk a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Dan a dit…

Un petit pot de confiture de violette en guise d'adéesse:

Fleur
Améthyste originelle
complémentaire sublime de l'or

Terre bleue
Flamme blanche
Eau rouge

En trois tu te scindes et pourtant tu ne formes qu'une

Fleur de tendresse
Etoile de l'aube
Soeur de Pâline
Fille d'opale

Violette
Petite viole des forêts
Pupille des fées
Fleur...

Ton sang
Ce ruisseau de rêves
Cachette de violences
Coud ma bouche d'un impossible serment...

Fragrance boisée
Miel d'argile
Coeur de mousse
Baume du temps

Guéris-nous
Peut-être...
Guéris-nous
Toujours...

Adéesse !Douce Vestale

M. Ogre a dit…

Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs

A Monsieur Théodore de Banville.

I

Ainsi, toujours, vers l'azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d'extases !

A notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !

- Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Ménestrel
Avec l'oeillet et l'amarante !

Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !

Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !

L'amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, - ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...

II

O Poètes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses soufflées,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflées !

Quand BANVILLE en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l'oeil fou de l'étranger
Aux lectures mal bienveillantes !

De vos forêts et de vos prés,
O très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !

Toujours les végétaux Français,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Où le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crépuscules ;

Toujours, après d'affreux dessins
De Lotos bleus ou d'Hélianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !

L'Ode Açoka cadre avec la
Strophe en fenêtre de lorette ;
Et de lourds papillons d'éclat
Fientent sur la Pâquerette.

Vieilles verdures, vieux galons !
O croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
- Aux hannetons, pas aux crotales,

Ces poupards végétaux en pleurs
Que Grandville eût mis aux lisières,
Et qu'allaitèrent de couleurs
De méchants astres à visières !

Oui, vos bavures de pipeaux
Font de précieuses glucoses !
- Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Açokas, Lilas et Roses !...

M. Ogre a dit…

III

O blanc Chasseur, qui cours sans bas
A travers le Pâtis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Connaître un peu ta botanique ?

Tu ferais succéder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L'or des Rios au bleu des Rhins, -
Bref, aux Norwèges les Florides :

Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,
- C'est la vérité, - de permettre
A l'Eucalyptus étonnant
Des constrictors d'un hexamètre :

Là !... Comme si les Acajous
Ne servaient, même en nos Guyanes,
Qu'aux cascades des sapajous,
Au lourd délire des lianes !

- En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d'oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?

- Et j'ai dit ce que je voulais !
Toi, même assis là-bas, dans une
Cabane de bambous, - volets
Clos, tentures de perse brune, -

Tu torcherais des floraisons
Dignes d'Oises extravagantes !...
- Poète ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu'arrogantes !...

IV

Dis, non les pampas printaniers
Noirs d'épouvantables révoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques récoltes !

Dis, front blanc que Phébus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana ;
Incague la mer de Sorrente

Où vont les Cygnes par milliers ;
Que tes strophes soient des réclames
Pour l'abatis des mangliers
Fouillés des Hydres et des lames !

Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !

Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !

Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumées
Que la Nature en pantalons
Fasse éclore ! - pour nos Armées !

Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D'où bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles !

Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
Tremble l'argent des pubescences,
Des calices pleins d'Oeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences !

Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix ânes aux yeux de braises
Travaillent à filer les noeuds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !

Oui, trouve au coeur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, - fameuses ! -
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !

Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragoûts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfénide !
V

Quelqu'un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses !

Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystéries ;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries...

Commerçant ! colon ! médium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s'épanche !

De tes noirs Poèmes, - Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques !

Voilà ! c'est le Siècle d'enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, - lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !

Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
- Et, pour la composition
De poèmes pleins de mystère

Qu'on doive lire de Tréguier
A Paramaribo, rachète
Des Tomes de Monsieur Figuier,
- Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !

14 juillet 1871.

ALCIDE BAVA.
A. R.

Dan a dit…

Ô grrrrrrr!!!!!!!.......

Par ces citations, vous venez de conquérir tout un pan de mon âme "itiée".
Cette beauté me touche à la source...
Merci à l'infini.......

Dan a dit…

Ou de la "poésie saxifrage"
cet autre trait d'union entre les roses et les violettes...Entre René Char et Victor Hugo...
Entre ... et ...

Recevez cher Ôgre mes nobles salutations.

;)

M. Ogre a dit…

Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.

Les salades, les fruits
N'attendent que la cueillette;
Mais l'araignée de la haie
Ne mange que des violettes.

Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.

Du même, encore ... A.R.

Dan a dit…

On n'est si peu sérieux quand on a dix-sept ans...

Je ne connaissais pas ces délices du jeune A.R. dit Alcide Bava.

Ma lanterne s'en trouve toute illuminée grâce à vous, cher Ogre.

:-)

Dan a dit…

Ou d'un autre délire de délices en remerciement pour les votres:

P'rose de violette.

J’effleure la rose violette de ma bouche, un peu.
Il fait matin.
Une odeur suave m’envahit.
Lentement, je glisse dans la fleur.
Je me fraye un chemin intérieur, un chemin d’insouciance.
La fraîcheur de ce grand lit violet m’enveloppe entièrement.
Je me faufile, je fais corps, beaucoup.

Il fait midi.

Les murs immenses de soie résistent avec tendresse à mon passage.
La candeur, la clarté des pétales me rappellent les vents du large.
Les voiles éclatantes de pureté commencent une fête de tous les sens.
A peine salé, le bord de mes lèvres.
A peine hâlé, le pistil secret.
A peine sucré les gouttes de rosée.
Et l’océan parfumé…
La douceur maritime…
Et la dune ensoleillée…
Le jardin ensablé…
Et le silence sacré…
Les violettes anciennes sont là aussi…
Et les roses en bouton, passionnément.

Il fait nuit.

Allongé sur le lit du pollen, face contre ciel, heureuse, je respire
Sur mon front, la voie lactée et ses constellations se dessinent, à la folie.

Il fait doux.

Un grillon m’enchante et la mer divague.
Je n’ai pas dormi, pas du tout.

Il fait bon.

J’efflore ma bouche de la rose éclose,
De la rose des dunes, de la rose de lune, des sables et des vent…
Et ma vie s’épanouit aux étoiles.

Inscrivant sous mes paupières, en filigranes, ces quelques mots :

Un peu, beaucoup, passionnément…
Je l’....