mardi 3 mars 2009

Par le caillebotis, on les a fusillés ...



Coupe d'un navire négrier et embarquement des esclaves ; gravure du XVIIIe siècle


Sur un navire négrier, tout capitaine doit être prêt à affronter les possibles révoltes des captifs. Aucune communication ne peut s'établir avec eux, aucun relâchement n'est possible de la part de l'équipage. C'est pour avoir négligé ces principes que le capitaine du Saint-Nicolas va perdre la vie, son massacre marquant le « signal général de la révolte ». La brièveté de ce récit accentue la violence des faits. Les femmes entrent les premières en rébellion. Malgré une vive résistance, les captifs doivent reculer devant la violence de la répression qui fait trente-deux morts et vingt-six blessés.







Procès verbal

Le senau du Roy Le S[aintjt Nicolas

19 juillet 1768


Nous soussignés officiers majors du senau du Roy Le S[ain]t-Nicolas attestons ce que suit Savoir :

Qu'aujourd'hui dix neuf juillet mil sept cent soixante huit, a onze heures et demie du matin tous nos captifs sur le pont se sont en meme tems soulevés ; M. Ballay Delisle, capitaine qui badinoit avec eux, a été par son massacre le signal général de la révolte. Il y avoit sur le pont la plus grande partie du quart de bâbord, qui peu nombreuse s'est repliée et a passé derriere la rembarde. Les femmes qui, jusqu'a ce moment, étoient en liberté sur la dunette, s'étoient munies d'auges a poules et d'instruments de cuisine, sont tombées toutes sur nous et nous ont beaucoup embarrassés.

Tout notre monde est monté, chacun a pris des armes ; une partie s'est occupée à réduire les femmes, qui en peu de tems ont été poussées dans leur parc, et l'autre, a faire autant de feu qu'il s'est pû sur les hommes tous armés de bâtons, de barres d'anspects, d'une hache et d'autres différentes sortes d'instruments qu'ils avoient trouvés. Il y en avoit vingt de libres par les ordres du capitaine qui se sont tous mis a la tête du complot et ont tiré les fers a une grande partie, ce qui a occasionné une vive résistance de leur part ; cependant le feu de notre coté a été terrible. Ils ont enfin plié et se sont refugiés encore fort animés dans l'entrepont et dans la calle. Ils ont enfoncé dans l'entrepont la cloison d'en avant et passé a celle des deux cambuses qu'ils ont brisées et y ont mis tout dans un désordre affreux. Ils y ont trouvé plusieurs outils dont ils se sont servis pour leur défense. Nous nous sommes emparés de tous les panaux qui ont été sur le champs cloués, et par les caillebotis on les a fusillés jusqu'a ce qu'ils se fussent rendus comme nous les en pressions depuis long tems, ce qui est arrivé a quatre heures apres midi ; ils ont monté deux a deux et on les a chargés de fers.

Un seul, nommé Boubou, premier quartier maître et chef de la revolte s'est opiniatré a rester dans la calle, on l'en a été chasser. Il s'étoit emparé d'une paille de bitte et faisoit front. Il a été blessé dans le bas ventre d'un coup de pistolet et d'une voix unanime nous l'avons condamné a servir d'exemple, il a été pendu et fusillé. Nos captifs hommes, réduits et chargés de fers, nous les avons renvoyés dans l'entrepont bien gardés ; de la nous avons passé aux femmes et les avons mises toutes aux fers (notre intention est qu'aucun captif ne monte que pour ses besoins). Leur chef, premiere quartiere maîtresse, avoit été aussi celui de la revolte ; elle étoit a la tête de son parti et avoit donné le plus vivement. Nous l'avons aussi condamnée a servir d'exemple ; elle a été pendue et jettée à la mer.

Nous avons perdu dans cette revolte trente deux noirs, savoir, dix sept hommes et quinze femmes, et nous en avons blessé vingt sept, dont vingt six hommes et une femme, la plupart tres dangereusement. De notre côté, le seul M. Ballay Delisle a péri et beaucoup d'entre nous avons été blessés, mais tous le sont sans danger.



Prétextat Ousel ; transport des nègres dans les colonies



Tous nos captifs remis en bon ordre et bien enfermés, il nous restoit a choisir un chef qui pût remplacer M. Ballay Delisle, pour cela nous avons tous jetté les yeux sur M. Dexmier, officier bleu ancien capitaine reçû, et homme d'expérience reconnue. Il étoit resté a Gorée, debarqué second de dessus une corvette du Roy qui a désarmé et resté au service de la colonie. Cet officier a été porté sur notre rôle d'equipage au nombre de ceux du vaisseau. Nous l'avons elû d'une voix unanime, l'avons reconnu et fait reconnoître par l'equipage pour capitaine commandant le senau du Roy le S[aint)t Nicolas jusqu'a notre arrivée a notre destination ou il plaira aux puissances de disposer de cette place.

En foy de quoi avons signé le dit proces verbal pour servir a fin que de raison.

En mer le dix neuf juillet mil sept cent soixante huit, fait triple.


Signés : Lachapelle, Dexmier, Confoulent fils, David, Vrignauld, Laffite



Vue depuis le volcan de la Soufrière - Guadeloupe -

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