Découvrez Martine Sarri!
Louise Michel ; Lieutenante, 1871 |
"Si la Nation Française ne se composait que de femmes, quelle terrible Nation ce serait ! "
Le correspondant du Times en avril 1871
Laure, Cantinière
"Le jeudi 25 mai 1871 alors que les gardes nationaux abandonnaient la barricade de la rue du Château-d'eau, un bataillon de femmes vint en courant les remplacer. Ces femmes, armées de fusils, se battirent admirablement au cri de : "Vive la Commune!". Nombreuses dans leurs rangs, étaient des jeunes filles. L'une d'elles, âgée de dix-neuf ans, habillée en fusilier-marin, se battit comme un démon et fut tuée d'une balle en plein front. Lorsqu'elles furent cernées et désarmées par les versaillais, les cinquante-deux survivantes furent fusillées."
Mme Retiffe
"L'attitude des femmes pendant la Commune faisait l'admiration des étrangers et exaspérait la férocité des Versaillais"
Lissagaray (1838-1901) ; Histoire de la Commune de 1871.
Mme Samblancarn, oratrice de club
"En voyant passer les convois de femmes insurgées, on se sent, malgré soi, pris d'une sorte de pitié. Qu'on se rassure en pensant que toutes les maisons de tolérance de la capitale ont été ouvertes par les gardes nationaux qui les protégeaient et que la plupart de ces dames étaient des locataires de ces établissements"
Le Figaro
Léontine Suetens
"J'ai vu une jeune fille habillée en garde national marcher la tête haute parmi des prisonniers qui avaient les yeux baissés. Cette femme, grande, ses long cheveux blonds flottant sur ses épaules, défiait tout le monde du regard. La foule l'accablait de ses outrages, elle ne sourcillait pas et faisait rougir les hommes par son stoïcisme."
The Times 29 mai 1871
Mme Le moussu
J.O du 13 avril 1871
Considérant
Qu'il est du devoir et du droit de tous de combattre pour la grande cause du peuple, pour la Révolution
Que le péril est immédiat et l'ennemi aux portes de Paris
Que l'union faisant la force, à l'heure du danger suprême, tous les efforts individuels doivent se fusionner pour former une résistance collective de la population entière, à laquelle rien ne saurait résister
Que la Commune, représentante du grand principe proclamant l'anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, par la même est engagée à tenir compte des justes réclamations de la population entière, sans distinction de sexe - distinction créée et maintenue par le besoin de l'antagonisme sur lequel repose les privilèges des classes dominantes
Que le triomphe de la lutte actuelle - ayant pour but la suppression des abus, et , dans un avenir prochain, la rénovation sociale toute entière, assurant le règne du travail et de la justice - a, par conséquent, le même intérêt pour les citoyennes que pour les citoyens
Que le massacre des défenseurs de Paris par les assassins de Versailles, exaspère à l'extrême la masse des citoyennes et les pousse à la vengeance
Qu'un grand nombre d'elles sont résolues, au cas où l'ennemi viendrait à franchir les portes de Paris, à combattre et vaincre ou mourir pour la défense de nos droits communs
Qu'une organisation sérieuse de cet élément révolutionnaire est une force capable de donner un soutien effectif et vigoureux à la Commune de Paris, ne peut réussir qu'avec l'aide et le concours du gouvernement de la Commune.
Par conséquent
Les déléguées des citoyennes de Paris demandent à la commission exécutive de la Commune
1) de donner l'ordre aux maires de tenir à la disposition des comités d'arrondissement et du Comité central, institué par les citoyennes pour l'organisation de la défense de Paris, une salle dans les mairies des divers arrondissements, ou bien, en cas d'impossibilité, un local séparé, où les comités pourraient siéger en permanence
2) de fixer dans le même but un grand local où les citoyennes pourraient faire des réunions publiques
3) de faire imprimer aux frais de la Commune les circulaires, affiches et avis que les dits comités jugeraient nécessaire de propager.
Pour les citoyennes déléguées, membre du Comité central des citoyennes :Adélaïde Valentin, Noëmie Colleville, Marcand, Sophie Graix, Joséphine Pratt, Céline Delvainquier, Aimée Delvainquier, Elisabeth Dmitrieff.
Marie Lecourt
SOUVENIRS DE CALÉDONIE - CHANT DES CAPTIFS
Ici l'hiver n'a pas de prise,
Ici les bois sont toujours verts ;
Ici les bois sont toujours verts ;
De l'Océan, la fraîche brise
Souffle sur les mornes déserts,
Et si profond est le silence
Que l'insecte qui se balance
Trouble seul le calme des airs.
Le soir, sur ces lointaines plages,
S'élève parfois un doux chant :
Ce sont de pauvres coquillages
Qui le murmurent en s'ouvrant.
Dans la forêt, les lauriers-roses,
Les fleurs nouvellement écloses
Frissonnent d'amour sous le vent.
Voyez, des vagues aux étoiles,
Poindre ces errantes blancheurs !
Des flottes sont à pleines voiles
Dans les immenses profondeurs.
Dans la nuit qu'éclairent les mondes,
Voyez sortir du sein des ondes
Ces phosphorescentes lueurs !
Viens en sauveur, léger navire,
Hisser le captif à ton bord !
Ici, dans les fers il expire :
Le bagne est pire que la mort.
En nos cœurs survit l'espérance,
Et si nous revoyons la France,
Ce sera pour combattre encor !
Voici la lutte universelle :
Dans l'air plane la Liberté !
A la bataille nous appelle
La clameur du déshérité !...
... L'aurore a chassé l'ombre épaisse,
Et le Monde nouveau se dresse
A l'horizon ensanglanté !
Louise Michel (1830-1905)
Louise Michel (1830-1905) ; institutrice ... Anarchiste
PENSÉE DERNIÈRE
En plongeant dans le passé, on le voit se joindre à l'avenir comme les deux extrémités d'un arc de cercle, et ce cercle, pareil aux ondes sonores, en éveille d'autres à l'infini.
Émiettées de par le monde ( de l'Inde antique jusqu'à nous ), les sciences perdues vont-elles germer ou sont-elles mortes dans la fleur ?
Faut-il attendre d'effluves nouvelles d'autres recommencements ? Suffira-t-il de retourner le sol pour donner aux germes du renouveau les conditions propres à l'existence ?
Combien de civilisations ont sombré, combien d'hypothèses scientifiques se sont renversées devant d'autres hypothèses ! Pourtant, allons, allons toujours ! N'a-t-on pas de quoi éteindre la lutte pour la vie ? de quoi remplacer l'anxiété des estomacs, la misère générale par le bien-être général ?
D'ailleurs, les cerveaux devenant plus que jamais avides, il faudra bien pour les satisfaire que brille l'Ère nouvelle.
Si l'amour de l'humanité est impuissant à faire sonner l'heure libératrice à l'Horloge fraternitaire -- heure où le crime n'aura plus de place -- l'indignation s'en chargera.
Là haine est pure comme l'acier, forte comme la hache ; et si l'amour est stérile, vive la haine !
Louise Michel (1830-1905)
Marie Davier, oratrice de club
BALLADE
en l'honneur de Louise Michel
Madame et Pauline Roland,
Charlotte. Théroigne, Lucile,
Presque Jeanne d'Arc, étoilant
Le front de la foule imbécile,
Nom des cieux, cœur divin qu'exile
Cette espèce de moins que rien
France bourgeoise au dos facile,
Louise Michel est très bien.
Elle aime le Pauvre âpre et franc
Elle aime le Pauvre âpre et franc
Ou timide ; elle est ta faucille
Dans le blé mûr pour le pain blanc
Du Pauvre, et la sainte Cécile,
Et la Muse rauque et gracile
Du Pauvre, et son ange gardien
À ce simple, à cet imbécile.
Louise Michel est très bien.
Gouvernements et maltalent,
Mégathérium ou bacille,
Soldat brut, robin insolent,
Ou quelque compromis fragile,
Tout cela son courroux chrétien
L'écrase d'un mépris agile.
Louise Michel est très bien.
Envoi
Citoyenne ! Votre évangile,
On meurt pour ! c'est l'Honneur ! et bien
Loin des Taxil et des Bazile.
Louise Michel est très bien.
Paul Verlaine (1844-1896)
Angelina Courcelles
L'avocat général : il y a lieu de mettre Louise Michel en jugement pour :
1- Attentat ayant pour but de changer le gouvernement ;
2- Attentat ayant pour but d'exciter à la guerre civile en portant les citoyens à s'armer les uns contres les autres ;
3- Pour avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes et un uniforme militaire, et fait usage de ces armes ;
4- Faux en écriture privée par supposition de personne ;
5- Usage d'une pièce fausse ;
6- Complicité par provocation et machination d'assassinat des personnes retenues soit-disant comme otages par la commune ;
7- Complicité d'arrestations illégales, suivies de tortures corporelles et de morts, en assistant avec connaissance les auteurs de l'action dans les faits qui l'ont consommée.
Crimes prévus par les articles 87, 91, 150, 151, 159, 59, 60, 302, 341, 344 du code pénal et 5 de la loi du 24 mai 1834.
Louise Michel au camps de Satory (Versailles)
Le président : Vous avez entendu les faits dont on vous accuse. Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
Louise Michel : Je ne veux pas me défendre, je ne veux pas être défendue. J'appartiens tout entière à la révolution sociale, et je déclare accepter la responsabilité de mes actes. Je l'accepte tout entière et sans restriction. Vous me reprochez d'avoir participé à l'assassinat des généraux ? A cela, je répondrais OUI, si je m'étais trouvée à Montmartre quand ils ont voulu faire tirer sur le peuple. Je n'aurais pas hésité à faire tirer moi-même sur ceux qui donnaient des ordres semblables. Mais, lorsqu'ils ont été faits prisonniers, je ne comprends pas qu'on les ait fusillés, et je regarde cet acte comme une insigne lâcheté !Quant à l'incendie de Paris, oui j'y ai participé. Je voulais opposer une barrière de flammes aux envahisseurs de Versailles. Je n'ai pas eu de complices pour ce fait. J'ai agi d'après mon propre mouvement. On dit aussi que je suis complice de la Commune ! Assurément oui, puisque la Commune voulait avant tout la révolution sociale, et que la révolution sociale est le plus cher de mes vœux. Bien plus, je me fais l'honneur d'être un des promoteurs de la Commune qui n'est d'ailleurs pour rien, pour rien qu'on le sache bien, dans les assassinats et les incendies. Moi qui ai assisté à toutes les séances de l'Hôtel de Ville, je déclare que jamais il n'y a été question d'assassinats ou d'incendie. Voulez-vous connaître les vrais coupables? Ce sont les gens de la police, et plus tard, peut-être, la lumière se fera sur tous ces événements dont on trouve aujourd'hui tout naturel de rendre responsables tous les partisans de la révolution sociale. Un jour, je proposais à Ferré d'envahir l'Assemblée. Je voulais deux victimes, M. Thiers et moi, car j'avais fait le sacrifice de ma vie et j'étais décidée à le frapper.
- Dans une proclamation, vous avez dit qu'on devait, toutes les 24 heures, fusiller un otage ?
- Non, j'ai seulement voulu menacer. Mais pourquoi me défendrais-je ? Je vous l'ai déjà déclaré, je me refuse à le faire. Vous êtes des hommes, vous allez me juger. Vous êtes devant moi à visage découvert. Vous êtes des hommes et moi je ne suis qu'une femme, et pourtant je vous regarde en face. Je sais bien que tout ce que je pourrais vous dire ne changera rien à votre sentence. Donc, un seul et dernier mot avant de m'asseoir. Nous n'avons jamais voulu que le triomphe de la Révolution. Je le jure par nos martyrs tombés sur le champ de Satory, par nos martyrs que j'acclame encore ici hautement, et qui un jour trouveront bien un vengeur. Encore une fois, je vous appartiens. Faites de moi ce qu'il vous plaira. Prenez ma vie, si vous la voulez ; je ne suis pas femme à vous la disputer un seul instant.
- Vous déclarez ne pas avoir approuvé l'assassinat des généraux et cependant on raconte que, quand on vous l'apprit, vous vous êtes écriée : "On les a fusillés, c'est bien fait !"
- Oui, j'ai dit cela, je l'avoue. Je me rappelle même que c'était en présence des citoyens Le Moussu et Ferré.
- Vous approuviez donc l'assassinat ?
- Permettez ! Cela n'en est pas une preuve. Les paroles que j'ai prononcées avaient pour but de ne pas arrêter l'élan révolutionnaire.
- Vous écriviez aussi dans les journaux, dans Le Cri du Peuple, par exemple ?
- Oui, je ne m'en cache pas.
- Ces journaux demandaient chaque jour la confiscation des biens du clergé et autres mesures révolutionnaires semblables. Telles étaient donc vos opinions?
- En effet ! Mais remarquez que nous n'avons jamais voulu prendre ces biens pour nous. Nous ne songions qu'à les donner au peuple pour le bien-être.
- Vous avez demandé la suppression de la magistrature ?
- C'est que j'avais devant les yeux les exemples de ses erreurs. Je me rappelais l'affaire Lesurques et tant d'autres.
- Vous reconnaissez avoir voulu assassiner M. Thiers ?
- Parfaitement... Je l'ai dit et je le répète.
- Il paraît que vous portiez divers costumes sous la Commune ?
- J'étais vêtue comme d'habitude. Je n'ajoutais qu'une ceinture rouge sur mes vêtements.
- N'avez-vous pas porté plusieurs fois un costume d'homme ?
- Une seule fois, c'était le 18 mars : je m'habillais en garde national, pour ne pas attirer les regards.
Peu de témoins ont été assignés, les faits reprochés à Louise Michel n'étant pas discutés par elle. Me Haussman, à qui la parole est ensuite donnée, déclare que devant la volonté formelle de l'accusée de ne pas être défendue, il s'en rapporte simplement à la sagesse du conseil.
Le Président : Accusée, avez-vous quelques choses à dire pour votre défense ?
Louise Michel : Ce que je réclame de vous, qui vous affirmez conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces, de vous qui êtes des militaires et qui jugez à la face de tous, c'est le champ de Satory où sont déjà tombés nos frères ! Il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, le commissaire de la république a raison. Puisqu'il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n'a droit qu'à un peu de plomb, j'en réclame une part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la commission des grâces...
Le Président : Je ne puis vous laisser la parole, si vous continuez sur ce ton !
Louise Michel : J'ai fini ! Si vous n'êtes pas des lâches, tuez-moi !
Après ces paroles qui ont causé une profonde émotion dans l'auditoire, le conseil se retire pour délibérer. Au bout de quelques instants, il rentre en séance et, aux termes du verdict, Louise Michel est à l'unanimité condamnée à la déportation dans une enceinte fortifiée. On ramène l'accusée et on lui donne connaissance du jugement. Quand le greffier lui dit qu'elle a 24 heures pour se pouvoir en révision : Non ! s'écrie-t-elle, il n'y a point d'appel ; mais je préférerais la mort !
La Gazette des Tribunaux, décembre 1871.
Mme Christine Dargent
À MA VOISINE DE TRIBORD ARRIÈRE
À MA VOISINE DE TRIBORD ARRIÈRE
J'ai dit à Louise Michel :
Nous traversons pluie et soleil
Sous le cap de Bonne-Espérance.
Nous serons bientôt tout là-bas,
Eh bien, je ne m'aperçois pas
Que nous ayons quitté la France !
Avant d'entrer au gouffre amer,
Avions-nous moins le mal de mer
Même effets sous d'autres causes.
Quand mon coeur saute, à chaque bond,
J'entends le pays qui répond :
Et moi, suis-je donc sur des roses ?
Non loin du pôle où nous passons,
Nous nous frottons à des glaçons,
Poussés par la vitesse acquise.
Je songe alors à nos vainqueurs :
Ne savons-nous point que leurs cours
Sont plus dures que la banquise ?
Le phoque entrevu ce matin
M'a rappelé dans le lointain
Le chauve Rouher aux mains grasses ;
Et les requins qu'on a pêchés
Semblaient des membres détachés
De la commission des grâces.
Le jour, jour de grandes chaleurs,
Où l'on déploya les couleurs
De l'artimon à la misaine,
Je crus dois-je m'en excuser ?
Voir Versailles se pavoiser
Pour l'acquittement de Bazaine !
Henri Rochefort (1831-1913)
Mme Clara Fournier, pointeuse
Chant de mort à mes frères
Chant de mort à mes frères
Nous reviendrons, Frères dans la lutte géante
j'aimais votre courage ardent
la mitraille à la voix tonnante
et notre drapeau flamboyant...
Louise Michel (1830-1905)
Mme Lapavoine, cantinière
Une visite à Louise Michel
– Mais qu'avez-vous donc ? Vous avez l'air tout bouleversé, comme si la vue d'une prison vous troublait, me dit en souriant Louise Michel, me voyant entrer.
– Ah ! citoyenne, il nous est pénible de vous savoir emprisonnée ; mais je ne m'attendais pas à vous voir derrière une grille ; j'espérais causer avec vous dans une chambre, vous serrer les mains.
– Mon cher Lafargue, me répondit-elle, il n'existe pas d'autre parloir dans cet hôtel où les bourgeois me logent gratis. Je ne me plains pas ; j'en ai supporté de plus dures à vous dire vrai ; j'ai trouvé en prison un bonheur que je n'ai jamais connu en liberté, j'ai des loisirs pour étudier et j'en profite. Quand j'étais libre j'avais ma classe, cent cinquante élèves au plus ; ça ne suffisait pas à me faire vivre, les deux tiers au moins ne payaient pas ; le soir, jusqu'à dix et onze heures, il me fallait donner des leçons de musique, de grammaire, d'histoire, de tout enfin ; et quand je rentrais, je me couchais fatiguée, incapable de rien faire ; j'aurais alors donné des années de vie, afin d'avoir des heures pour étudier.
Ici, à Saint-Lazare, j'ai du temps à moi, beaucoup de temps ; et j'en suis heureuse : je lis, j'étudie ; j'ai appris plusieurs langues. Un ami, G..., m'a donné des leçons de russe, déjà je puis le lire, et même l'écrire un peu. Vous le savez, j'ai une excellente mémoire, la chose principale pour l'étude des langues. J'ai appris l'anglais toute seule... Il faut que je sache plusieurs langues pour ce que je veux entreprendre à ma sortie de prison...
En attendant que je reconquière ma liberté d'action, ma liberté de propagande, j'écris. J'ai écrit des livres pour les enfants ; je leur enseigne à penser en citoyens, en révolutionnaires, tout en les amusant ; j'ai fait, dans des romans, la peinture réaliste des misères de la vie, j'essaye de souffler dans le coeur des hommes l'amour de la révolution.
Pendant une heure et demie, nous causâmes ayant perdu le souvenir du lieu où nous étions, parlant de tout, abordant tous les sujets politique courante, élections, littérature réaliste, romans nouveaux, voyages.
– Ne me plaignez pas, je suis plus libre que beaucoup de ceux qui se promènent à ciel découvert ; ceux-là sont prisonniers par la pensée ; ils sont enchaînés par leur propriété, par leurs intérêts d'argent, leurs tristes nécessités de vie ; ils sont absorbés au point de ne pouvoir vivre en êtres humains, en êtres pensants. Moi, je vis de la vie du monde. Je suis avec enthousiasme le mouvement révolutionnaire de Russie, d'Allemagne, de France, de partout. Oui, je suis une fanatique et, ainsi que les martyrs, mon corps ne ressent pas la douleur quand ma pensée me transporte dans le monde de la révolution.
Emprisonnée entre ces murailles épaisses, je revis mon beau voyage de la Nouvelle-Calédonie. Jamais mon être n'a été si puissamment ému par le spectacle de la nature, que lorsque je voguais sur la sombre immensité de l'Océan, lorsque, au pôle Sud, j'assistais à une tempête de neige et que je voyais l'air blanc de neige et la mer noire dévorant les flocons qui tombaient à sa surface, alors que dans mon coeur vivaient les sanglantes journées de la défaite et la sublime explosion du 18 mars.
Je peuple ma solitude de milliers de souvenirs. Et mes chers Canaques ! quels barbares que les civilisés ! J'ai appris leur langue, leur musique, leurs chants ; j'ai vécu au milieu d'eux ; ils m'aimaient comme si j'appartenais à leur tribu. J'avais fondé une école ; en un rien de temps, j'apprenais à ces petits Sauvages à lire et à compter ; mais il faut vous dire que j'avais inventé une méthode spéciale à leur usage...
Louise Michel s'étendit longuement sur la question pédagogique qui l'intéresse si vivement.
– J'ai reçu une lettre du maire de Nouméa ; il me réclame pour que j'aille là-bas fonder des écoles. J'irai.
C'était émouvant d'entendre parler cette femme héroïque.
– Ah ! citoyenne, comme vous nous manquez !
– Ne me parlez pas de grâce ; je ne veux pas de grâce, jamais, à aucun prix.
– Ce ne serait pas une grâce que vous ferait le gouvernement en vous rendant la liberté dont il vous prive par la force. Un révolutionnaire, et c'est mon opinion mûrement réfléchie, ne doit pas reconnaître à la bourgeoisie le droit de le condamner ; il cède à la force énorme qui l'écrase, mais n'abandonne aucun de ses droits et si, après l'avoir enfermé, le gouvernement bourgeois lui ouvre les portes de sa prison, il ne lui fait pas une grâce, il lui restitue la liberté qu'il lui avait dérobée ; il lui doit même des réparations pour les mois de prison qu'il lui a fait faire. Je viens de terminer huit mois de prison et je compte en tirer dommages et intérêts le jour de la révolution. Songez donc, citoyenne, aux services que vous rendriez à la cause révolutionnaire si vous étiez libre.
– Non, je ne veux pas de grâce ; je ne sortirai de prison que si l'on donne une amnistie. Que ceux qui m'aiment ne me parlent jamais de grâce, ce serait me déshonorer.
– Jamais aucune grâce ne déshonorera Louise Michel recommençant le lendemain de sa sortie sa campagne de lutte révolutionnaire.
– Allons, cessons, je ne veux pas entendre parler de grâce. N'oubliez pas de m'apporter vos livres d'anthropologie et le Descent of man de Darwin, sa lecture fortifiera mon anglais. Dites aux amis que je me porte bien. Adieu et au revoir.
Paul Lafargue (1842-1911) ; 26 septembre 1885
Mme Marguerite Prévost, née Gumder
... Et pardon pour toutes les autres femmes dont je ne parle pas ici ............
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