Agony
ANGOISSE. Le sujet amoureux, au gré de telle ou telle contingence, se sent emporté par la peur d'un danger, d'une blessure, d'un abandon, d'un revirement – sentiment qu'il exprime sous le nom d'angoisse.
1. Ce soir je suis revenu seul à l'hôtel ; l'autre a décidé de rentrer plus tard dans la nuit. Les angoisses sont déjà là, comme le poison préparé (la jalousie, l'abandon, l'inquiétude) ; elles attendent seulement qu'un peu de temps passe pour pouvoir décemment se déclarer. Je prends un livre et un somnifère, "calmement". Le silence de ce grand hôtel est sonore, indifférend, idiot (ronron lointain des baignoires qui se vident) ; les meubles, les lampes sont stupides ; rien d'amical où se réchauffer ("J'ai froid, rentrons à Paris"). L'angoisse monte ; j'en observe la progression, comme Socrate devisant (moi lisant) sentait s'élever le froid de la cigüe ; je l'écoute se nommer, s'enlever, telle une figure inexorable, sur le fond des choses qui sont là.
(Et si, pour que quelque chose se passe, je faisais un voeu ?)
Gustav Klimt (1862-1918) ; La vie et la mort ; Huile sur toile, 178 x 198 ; 1908/1916
2. Le psychotique vit dans la crainte de l'effondrement (dont les psychoses diverses ne seraient que les défenses). Mais "la crainte clinique de l'effondrement est la crainte d'un effondrement qui a été déjà éprouvée (primitive agony) [...] et il y a des moments où un patient a besoin qu'on lui dise que l'effondrement dont la crainte mine sa vie a déjà eu lieu". De même, semble-t-il, pour l'angoisse d'amour : elle est la crainte d'un deuil qui a déjà eu lieu, dès l'origine de l'amour, dès le moment où j'ai été ravi. Il faudrait que quelqu'un puisse me dire : "Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdu(e)."
Gustav Klimt (1862-1918) ; L'Espoir II ; Huile et or sur toile, 110,5 x 110,5 ; 1907/1908
Tendresse
TENDRESSE. Jouissance, mais aussi évaluation inquiétante des gestes tendres de l'objet aimé, dans la mesure où le sujet comprend qu'il n'en a pas le privilège.
1. Ce n'est pas seulement besoin de tendresse, c'est aussi besoin d'être tendre pour l'autre : nous nous enfermons dans une bonté mutuelle, nous nous maternons réciproquement ; nous revenons à la racine de toute relation, là où besoin et désir se joignent. Le geste tendre dit : demande-moi quoi que ce soit qui puisse endormir ton corps, mais aussi n'oublie pas que je te désire un peu, légèrement, sans vouloir rien saisir tout de suite.
Le plaisir sexuel n'est pas métonymique : une fois pris, il est coupé : c'était la Fête, toujours close, par levée temporaire, surveillée, de l'interdit. La tendresse au contraire n'est qu'une métonymie infinie, insatiable ; le geste, l'épisode de tendresse (l'accord délicieux d'une soirée) ne peut s'interrompre qu'avec déchirement : tout semble remis en cause : retour du rythme – vrittii -, éloignement du nirvâna.
2. Si je reçois le geste tendre dans le champ de la demande, je suis comblé : ce geste n'est-il pas comme un condensé miraculeux de la présence ? Mais si je le reçois (et ce peut être simultané) dans le champ du désir, je suis inquiet : la tendresse, de droit, n'est pas exclusive, il me faut donc admettre que ce que je reçois, d'autres le reçoivent aussi (parfois le spectacle même m'en est donné). Là où tu es tendre, tu dis ton pluriel.
("L... voyait avec stupéfaction A... faire à la serveuse de ce restaurant bavarois, pour lui commander sa schnitzel, les mêmes yeux tendres, le même regard angélique qui l'émouvait tant quand ces mines lui étaient adressées.")
Roland Barthes ; Fragments d'un discours amoureux, 1977
Gustav Klimt (1862-1918) ; les Amies ; Huile sur toile, 99 x 99 ; 1916/1917. Oeuvre brûlée en 1945
11 commentaires:
Vous êtes étonnant, l'Ogre ! Ces extraits de Barthes prennent toute leur dimension en les illustrant par du Klimt ... étonnant, vraiment étonnant ...
"La tendresse n'est qu'une métonymie infinie, insatiable" ... oui, l'important c'est la tendresse ... J'adore Le baiser de Klimt, je le trouve justement plein de tendresse, de douceur, d'attention ... je n'arrive pas bien à décrire ça, mais il m'émeut. Les émotions ne s'expliquent pas ...
J'aime beaucoup Klint. C'est très direct mais en même temps très sensible...
...Bravo à PetitChap pour ce premier commentaire du 100e post de l'Ogre... Elle gagne... heuuu... elle gagne... enfin, elle gagne quoi !!!
... J'y gagne la couleur du blé ...!! ^^
Félicitations pour ce 100ème post !! Dites donc, pour un Ogre qui ne voulait pas ouvrir de blog ... hum ...
J'aime bien le paragraphe sur le psychotique... J'ai bien rit !^^
En revanche, j'avoue, moa po trop fan de Klimt, mais bon, on s'en tamponne un peu le coquillard !
Ben dis donc, c'est la fête de la Princesse en ce moment ! Mouhahahaha.
Dis moa, voulez-vous cesser d'être mort ? Cela vous donne un air nouveau, j'en conviens, mais tout de même...
Je vous souhaite bien des choses, Monseigneur Ogre... :)
Un Ogre qui meurt de trouille ??? Voilà qui est curieux... Vous me faites marcher ! Les Ogres ne craignent rien ni personne et foncent tête baissée... De là que vient même leur faute.
Reviendrez-vous tantôt parmi nous ?
Je vous souhaite le bonsoir, cher ami.
La 100e nuit, l'Ogre mit son tabouret sous son bras, et s'en alla ?
... non, il n'oserait pas (mettre son tabouret sous le bras et partir) ... hum ?! L'Ogre est mort de trouille, c'est un fait, et en ce sens il nous ressemble ... mais il est également plein de ressources ...
Yooooouuuuuuuu hooooouuuuuuuu !! Y'a quelqu'un ?!!
Ah non alors ! Sieur Ogre, ayez suffisemment de bon sens pour reposer ce tabouret par terre, et votre fessier dessus (le tabouret).
Que trafiquottez vous donc ? Avez-vous dénicher un nouveau lièvre ?
...Je remet donc mon tabouret en place, puisque vous êtes si aimables... Et puisque je semble avoir l'honneur de vous plaire, tâchons de repartir pour cent autres nuits étoilées...
Pour ce qui est de Barthes, "le point sur robert" est tout indiqué comme DVD... :) la 1ère demi-heure est un délice ^^
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