mardi 4 mars 2008

Délicieuse ogrerie...



Délicieux, ce terme est propre à l'organe du goût. Nous disons d'un mets, d'un vin, qu'il est délicieux, lorsque le palais en est flatté le plus agréablement qu'il est possible. Le délicieux est le plaisir extrême de la sensation du goût. On a généralisé son acception ; et l'on dit d'un séjour qu'il est délicieux, lorsque tous les objets qu'on y rencontre réveillent les idées les plus douces, ou excitent les sensations les plus agréables. Le suave extrême est le délicieux des odeurs. Le repos a aussi son délice ; mais qu'est-ce qu'un repos délicieux ? Celui-là seul en a connu le charme inexprimable, dont les organes étaient sensibles et délicats ; qui avait reçu de la nature une âme tendre et un tempérament voluptueux ; qui jouissait d'une santé parfaite ; qui se trouvait à la fleur de son âge ; qui n'avait l'esprit troublé d'aucun nuage, l'âme agitée d'aucune émotion trop vive ; qui sortait d'une fatigue douce et légère, et qui éprouvait dans toutes les parties de son corps un plaisir si également répandu, qu'il ne se faisait distinguer dans aucun. Il ne lui restait dans ce moment d'enchantement et de faiblesse, ni mémoire du passé, ni désir de l'avenir, ni inquiétude sur le présent. Le temps avait cessé de couler pour lui, parce qu'il existait tout en lui-même ; le sentiment de son bonheur ne s'affaiblissait qu'avec celui de son existence. Il passait par un mouvement imperceptible de la veille au sommeil ; mais sur ce passage imperceptible, au milieu de la défaillance de toutes ses facultés, il veillait encore assez, sinon pour penser à quelque chose de distinct, du moins pour sentir toute la douceur de son existence : mais il en jouissait d'une jouissance tout à fait passive, sans y être attaché, sans y réfléchir, sans sans réjouir, sans s'en féliciter. Si l'on pouvait fixer par la pensée cette situation de pur sentiment, où toutes les facultés du corps et de l'âme sont vivantes sans être agissantes, et attacher à ce quiétisme délicieux l'idée d'immutabilité, on se formerait la notion du bonheur le plus grand et le plus pur que l'homme puisse imaginer.

Diderot ; Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ; 1751-1772 - Article : Délicieux


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Dommage qu'on ait abandonné ce type de définition. Les nôtres sont fades aujourd'hui ...

De là à dire que cette définition est délicieuse ... ^^