samedi 19 janvier 2008

...A la folie !!!


Hamlet (Laurence Olivier) - 1948
HAMLET
Être, ou ne pas être, c’est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? Mourir.., dormir, rien de plus... et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir.., dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. Car quels rêves peut-il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous arrêter. C’est cette réflexion-là qui nous vaut la calamité d’une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ? Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ? Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d’action... Doucement, maintenant ! Voici la belle Ophélia... Nymphe, dans tes oraisons souviens-toi de tous mes péchés.

OPHÉLIA
Mon bon seigneur, comment s’est porté Votre Honneur tous ces jours passés ?

HAMLET
Je vous remercie humblement: bien, bien, bien.

OPHÉLIA
Monseigneur, j’ai de vous des souvenirs que, depuis longtemps, il me tarde de vous rendre. Recevez-les donc maintenant, je vous prie.

HAMLET
Moi ? Non pas. Je ne vous ai jamais rien donné.

OPHÉLIA
Mon honoré seigneur, vous savez très bien que si. Les paroles qui les accompagnaient étaient faites d’un souffle si embaumé qu’ils en étaient plus riches. Puisqu’ils ont perdu leur parfum, reprenez-les ; car, pour un noble cœur, le plus riche don devient pauvre, quand celui qui donne n’aime plus. Tenez, monseigneur !

HAMLET
Ha ! ha ! vous êtes vertueuse !

OPHÉLIA
Monseigneur !

HAMLET
Et vous êtes belle !

OPHÉLIA
Que veut dire Votre Seigneurie ?

HAMLET
Que si vous êtes vertueuse et belle, vous ne devez pas permettre de relation entre votre vertu et votre beauté.

OPHÉLIA
La beauté, monseigneur, peut-elle avoir une meilleure compagne que la vertu ?

HAMLET
Oui, ma foi ! car la beauté aura le pouvoir de faire de la vertu une maquerelle, avant que la vertu ait la force de transformer la beauté à son image. Ce fut jadis un paradoxe; mais le temps a prouvé que c’est une vérité. Je vous ai aimée jadis.

OPHÉLIA
Vous me l’avez fait croire en effet, monseigneur.

HAMLET
Vous n’auriez pas dû me croire ; car la vertu a beau être greffée à notre vieille souche, celle-ci sent toujours son terroir. Je ne vous aimais pas.

OPHELIA
Je n’en ai été que plus trompée.

HAMLET
Va-t’en dans un couvent ! À quoi bon te faire nourrice de pécheurs ? Je suis moi-même passablement vertueux ; et pourtant je pourrais m’accuser de telles choses que mieux vaudrait que ma mère ne m’eût pas enfanté ; je suis fort vaniteux, vindicatif, ambitieux ; d’un signe je puis évoquer plus de méfaits que je n’ai de pensées pour les méditer, d’imagination pour leur donner forme, de temps pour les accomplir. A quoi sert-il que des gaillards comme moi rampent entre le ciel et la terre ? Nous sommes tous des gueux fieffés : ne te fie à aucun de nous. Va tout droit dans un couvent... Où est votre père ?

OPHÉLIA
Chez lui, monseigneur.

HAMLET
Qu’on ferme les portes sur lui, pour qu’il ne joue pas le rôle de niais ailleurs que dans sa propre maison ! Adieu !

OPHÉLIA, à part
Oh ! secourez-le, cieux cléments !

HAMLET
Si tu te maries, je te donnerai pour dot cette vérité empoisonnée : Sois aussi chaste que la glace, aussi pure que la neige, tu n’échapperas pas à la calomnie. Va-t’en dans un couvent. Adieu ! Ou, si tu veux absolument te marier, épouse un imbécile ; car les hommes sensés savent trop bien quels monstres vous faites d’eux. Au couvent ! Allons ! et vite ! Adieu !

OPHÉLIA, à part
Puissances célestes, guérissez-le !

HAMLET
J’ai entendu un peu parler aussi de vos peintures. Dieu vous a donné un visage, et vous vous en faites un autre vous-même ; vous sautillez, vous trottinez, vous zézayez, vous affublez de sobriquets les créatures de Dieu, et vous donnez votre galanterie pour de l’ignorance. Allez ! je ne veux plus de cela : cela m’a rendu fou. Je le déclare : nous n’aurons plus de mariages ; ceux qui sont mariés déjà vivront tous, excepté un ; les autres resteront comme ils sont. Au couvent ! allez ! (Sort Hamlet.)

OPHÉLIA
Oh ! que voilà un noble esprit bouleversé ! L’oeil du courtisan, la langue du savant, l’épée du soldat ! L’espérance, la rose de ce bel empire, le miroir du bon ton, le moule de l’élégance, l’observé de tous les observateurs ! perdu, tout à fait perdu ! Et moi, de toutes les femmes la plus accablée et la plus méprisable, moi qui ai sucé le miel de ses vœux mélodieux, voir maintenant cette noble et souveraine raison faussée et criarde comme une cloche fêlée ; voir la forme et la beauté incomparables de cette jeunesse en fleur, flétries par la démence ! Oh ! malheur à moi ! Avoir vu ce que j’ai vu, et voir ce que je vois !

Ophélie (Jean Simmons) et Hamlet (Laurence Olivier) - 1948

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Que d'ardeur ! Que de passion ! Comme Hamlet a le langage délicat. (quand il est entre en monologue)
Être ou ne pas être, a-t-on vraiment le choix ? Ou sommes-nous au final que misérables et abusés ?