dimanche 9 décembre 2012

Lampião et Maria Bonita...








« Pour mon malheur 
Je suis entré dans cette triste vie 
Je n'aime même pas parler 
De ma triste histoire, 
La disgrâce remplit mon visage 
Et dans mon âme entre le dégoût, 
Mon cœur n'est qu'une blessure

Lorsque je me souviens, messieurs 
Du temps où j'étais innocent
Lorsque je jouais dans les jardins
De mon sertão souriant
je sens que mon cœur
Meurtri par cette passion
Bat et pleure amèrement

Mon père et ma mère chérie 
Ont voulu m'éduquer 
Dans leur giron chaleureux 
Et elle m'a appris à prier 
Et à respecter tout le monde 
Et lui m'a appris dans les champs 
À travailler depuis que je suis petit

J'ai grandi dans la maison paternelle 
Je voulais être un homme honnête 
Vivre de mon travail 
Sans dépendre de personne 
J'ai été muletier sur les routes 
J'étais même un bon camarade 
Et j'avais aussi des amis

J'ai eu aussi des amours
J'ai entretenu une passion
J'ai aimé une fleur de mimosa
Une fille de mon sertão
J'ai rêvé de pouvoir profiter de la vie
Aux côtés de ma compagne chérie
À qui j'ai donné mon cœur

Aujourd'hui, je le sais, je suis un bandit
Comme tout le monde le dit
Mais pourtant j'ai eu de la chance
Et j'ai passé des moments heureux
Lorsque dans le giron maternel
J'ai bénéficié de la tendre affection
De celle que j'aimais tant

Mon arme tire en chantant
Effrayant instrument
C'est plaisant de se battre contre moi
Parce que je suis un bon chanteur
Et pendant que le fusil travaille
Ma voix résonne au loin
Se moquant de sa propre horreur

Je n'ai jamais pensé que dans la vie
On soit obligé de se battre
En dehors des intrigues
J'aimais travailler
Mais aujourd'hui je suis cangaceiro
J'affronterai les embûches
Jusqu'à ce que quelqu'un me tue

Lorsque j'ai pensé que je pouvais m'en sortir 
Il n'y avait pas d'issue 
Je vais donner du travail au gouvernement 
L'affronter à visage découvert 
Et échanger des balles sans arrêt 
Si je meurs lors d'un combat 
Je sais que je mourrai satisfait. » 

Vers de cordel attribués à Lampião (in Élise Grunspan-Jasmin : Lampião, vies et morts d'un bandit brésilien)





  

 Lucas Arvoredo n'avait jamais marché aussi vite. Le nègre Cirilo, qui était allé le chercher et qui lui demandait de se hâter, ne pouvait presque pas le suivre. Ils aperçurent les lumières des feux au début des la soirée. Ils mirent le genou à terre, firent le signe de la croix, ils commençaient à fouler la terre sainte, ils se sentaient purifiés de leurs péchés ; en défendant le beato, ils se rachetaient de leurs crimes.


   Lorsque Lucas se releva, Zè Tonnerre entonna le couplet de ses exploits, et tous l'accompagnèrent. C'était ainsi qu'ils annonçaient leur arrivée à Estevao :

   « Voici Lucas Arvoredo
     Qui s'amène avec son fusil... »

   La silhouette du cangaceiro se détachait dans la nuit il n'était pas très grand, mais il donnait une impression de force peu commune, avec son costume de cuir, ses cheveux longs, son fusil dressé. Ils se trouvaient sur un monticule, ce n'était pas tout à fait une colline, et de là ils apercevaient les feux des soldats. Lucas dit :

   - Y a beaucoup de « singes » à descendre...

   Zè Tonnerre jubilait, rien ne lui plaisait davantage que de tuer un soldat de la police. Et s'il s'agissait d'un officier, c'était mieux encore. Ils avancèrent, leur chant dominait peu à peu les voix des pénitents, c'était un chant de guerre, maintenant les choses avaient changé dans le camp. Ce fut la dernière nuit de paix.




 Cristino Gomes da Silva Cleto alias Corisco (1907-1940) en 1936


   Quand Lucas arriva, le beato l'attendait debout, devant le feu, autour de lui se tenait la foule silencieuse, sale, échevelée et infirme des pèlerins. Les quartiers de bœuf pour le dîner étaient en train de rôtir sur les feux et l'odeur de la viande roussie montait dans les airs. À côté d'Estevao se trouvait Zèfa, Cirilo s'avança, prit sa place à côté du saint, avant qu'aucun cangaceiro ne tentât de le faire. Lucas tomba à genoux, mais Estevao le releva :

   - Mon fils, tu es arrivé à temps. Je t'ai fait chercher pasque les hommes mauvais, ils ont envoyé les soldats pour attaquer les enfants d'Estevao, ceux qui vont êt' sauvés. Toi aussi, tu vas l'êt', mais toi, et tes hommes, c'est d'une autre façon. Tu vas lutter, en finir avec les soldats, Estevao a pas achevé sa mission, il peut pas s'arrêter... Ils laissent pas venir les pèlerins jusqu'ici pour faire pénitence, ils les laissent pas passer, comme ça ils restent sans bénédiction, ils vont êt' tous condamnés... Dieu veut pas de ça, tu vas les empêcher...

   La voix de Zèfa répétait, en écho :

   - Dieu veut pas de ça, tu vas les empêcher...

  Cette voix sembla familière aux oreilles de Zè Tonnerre. Il chercha à voir clair à travers les tourbillons de fumée noire. Qui pouvait bien parler ainsi, d'une voix si connue ? Lucas Arvoredo répondait à Estevao :

   - Mon père, je suis ton fils pour obéir à tes ordres. Y paraît qu'y a beaucoup de soldats, avec moi ils sont venus quarante-sept hommes ; des munitions, on n'en a pas beaucoup, mais on en dégotera... Mon père, où tu iras, Lucas ira aussi et ses hommes avec lui... Mon père, t'as qu'à ordonner et mes types sont prêts...

   - Dieu est content de ton arrivée...

   - Dieu est content de ton arrivée... répétait Zèfa.

  Zè Tonnerre tressaillit. Il lui semblait que c'était la voix de Marta, c'était la même intonation, seulement plus âpre, moins cristalline. Qui était-ce, Seigneur ? Il fit quelques pas en avant.





 Barra Nova, Nené, Juruti et un autre  cangaceiro non formellement identifié...
Photographie dans la Caatinga, 1936


   Le beato fit réunir les fusils des bandits sur le monticule. Et il les bénissait, la main levée, les yeux perdus, ses yeux bleus qui faisaient peur et infusaient la confiance. Et la procession reprit. Mais avant qu'elle se mît en marche, Zè Tonnerre s'approcha et reconnut sa tante Joséfa. Mais ce n'était plus sa tante folle assaillie par les esprits, de laquelle ils riaient et se moquaient lorsqu'ils étaient petits. À présent, elle paraissait autre, elle ne le regarda même pas, le pas n'existait pas pour Zèfa. À présent, elle était une sainte presque aussi sainte qu'Estevao, c'était la seconde langue de Dieu, comme disaient les paysans. Et Zè Tonnerre s'inclina devant elle et raconta, tout fier, à ses camarades, que c'était sa tante, qui s'appelait Zèfa et qui, depuis de longues années, répétait elle aussi que le monde allait finir et qu'il fallait faire pénitence. Il la regardait comme hypnotisé, et il ne s'apaisa que lorsque Zèfa posa sa main pleine de cendres sur sa tête et les répandit sur ses cheveux. Il se sentit pardonné même des railleries qu'il lui avait adressées, du peu de cas qu'il faisait d'elle lorsqu'elle était encore dans leur maison ; elle était déjà une sainte, mais il ne le savait pas.

   Les cangaceiros désignaient Zèfa d'un doigt respectueux :

   - C'est la tante de Zè Tonnerre...

   Comme si c'était une parente à eux tous, une sorte de sainte liée à leur groupe, qui serait venue spécialement pour les bandits de Lucas Arvoredo. Zè Tonnerre n'osait même pas demander des nouvelles de Jéronimo et de Jucundina à sa tante, elle n'appartenait plus à ce monde. D'ailleurs là, dans le camp, parmi les feux sacrés, les sept puits bénis, en écoutant les prophéties du beato, ils n'avaient plus l'impression de vivre dans le monde de tous les jours. C'était comme une hallucination, il n'y avait plus de frontières entre la réalité et le rêve.

   Lucas réunit ses hommes et ils dressèrent un plan. Les soldats complétaient le siège.



*


 Maria Bonita. Photographie de Benjamin Abrahão, 1936


   Ensuite, tout fut très rapide. Ils étaient bloqués, des sept puits, trois se trouvaient déjà entre les mains des soldats. Et ils devaient forcer le siège chaque nuit. Maintenant les soldats partaient escortés par les hommes de Lucas et les combats se multipliaient, avec des morts des deux côtés. Mais il arrivait de la viande, les paroles du beato étaient chaque soir plus violentes, sa voix prenait de nouveaux sortilèges, et sa bouche, habituellement si douce, écumait. Zèfa répétait ses phrases, les paysans les gardaient dans leur cœur. Des renforts arrivèrent pour la police.

   Quelques jours passèrent et les soldats s'emparaient des puits les uns après les autres. Maintenant, c'était la soif, et Lucas décida de les attaquer et de les rejeter hors de leurs positions. À la tombée de la nuit, il réunit vingt hommes. Pendant la journée, il avait étudié la situation avec Zè Tonnerre. L'un des puits n'était gardé que par huit soldats. Ce n'était pas le puits le plus grand, mais aucun ne possédait une eau aussi pure, c'était une source, elle suffirait pour les besoin du camp.

   Ils partirent après la procession. Ils étaient vingt, choisis parmi les meilleurs tireurs, ceux qui ne rataient jamais leur cible. Doux-Bec et Sabia, Papillon et Chi Martins y allaient. Ils marchaient doucement, rampant entre les broussailles, ils ne faisaient pas plus de bruit que les serpents. Ils tenaient leur fusil sous le bras, ils épaulèrent. La fusillade crépita, prit les soldats au dépourvu ; quelques-uns d'entre eux connaissaient déjà ces hurlements démoniaques, ils crièrent aux autres :

   - C'est Lucas Arvoredo...

   Ils étaient huit soldats, huit cadavres restèrent autour du puits. Les pèlerins vinrent et emportèrent de l'eau pour plusieurs jours.

   De l'autre côté, le capitaine entendit la fusillade. Cent trente hommes, ce n'était pas beaucoup pour ce siège. Mais, avec les renforts, étaient arrivées vingt mitrailleuses, il valait mieux ne plus attendre, attaquer d'un seul coup. Sinon Lucas serait capable de regagner des positions mal garnies, de se frayer un passage, et si lui et le beato s'enfonçaient dans la caatinga, personne ne pourrait plus les rattraper. Et alors, c'en était fait des promotions, des citations l'ordre du jour, des articles élogieux dans les journaux ! Il rassembla les lieutenants pour discuter.




 Lampião, 1936



   La nuit suivante, les soldats essayèrent de récupérer le puits. Mais les hommes de Lucas ripostèrent et maintinrent leur position. Le capitaine dressait des plans, inspectait ses soldats, avait des conciliabule avec les anciens sergents, rompus à la chasse aux bandits. Et ce furent eux qui lui apprirent qu'il était préférable de combattre en terrain découvert, de les attaquer dans le camp, au-delà des broussailles. C'était la seule manière de les vaincre.

   - C'est leur talon d'Achille... - dit un lieutenant timide au capitaine. Mais le capitaine détestait ces gens pourris de littérature qui faisaient des phrases et des citations. À l'heure de la lutte, ces gens-là ne savent que décamper.

   D'abord trente hommes attaqueraient par-derrière. Ils ouvriraient un feu serré, attirant de ce côté-là les hommes de Lucas. Cinquante autres pénétreraient alors dans le camp, pour le combat à découvert. Un sergent conseilla d'attendre une nuit sans lune, cela faciliterait les mouvements. Avec les renforts, étaient venus aussi des journalistes de la capitale. Là-bas, le bruit courait que la fin du beato approchait.





 Cangaceiros de la bande de Lampião : Zé Sereno, Azulão et Gato ; 1936


*


   La fin approchait, la fin du monde, disait le beato Estevao. Cette nuit était la fête de sainte Joséfa, et il avait ordonné à la procession de faire deux tours au lieu d'un. Zèfa portait des branches de romarin dans les cheveux et les donnait aux pèlerins qui les mettaient sur leurs plaies pour les cicatriser.

   Le mouvement, dans le bivouac des soldats, n'avait pas échappé à Lucas Arvoredo. Les paysans apportaient des nouvelles, les patrouilles de la police étaient en train d'abandonner leurs positions, les soldats se regroupaient. Des dizaines d'hommes se dirigeaient vers l'arrière du camp, protégés par les ombres de là nuit sans lune. Lucas appela Zè Tonnerre, lui confia vingt hommes et l'envoya de ce côté-là.

   - Y veulent attaquer, ils ont vu qu'ils se font enfoncer dans les petits groupes, ils veulent voir s'il peuvent nous liquider...

   - Tu crois qu'on peut tenir ?

  - On a pas beaucoup de munitions... Mais si on les tient éloignés, on peut s'ouvrir un chemin et passe avec le beato.

  - Et lui, y veut partir ?

  - Y dit que oui... Lui et douze types, les aut' restent, ils vont se retrouver ensuite...




 Maria Bonita. Photographie de Benjamin Abrahão, 1936


   Zè Tonnerre avança avec ses hommes. Les soldats sortaient de la caatinga, Jao venait avec eux, sous le commandement de ce lieutenant timide qui citait des phrases. Le capitaine attendait le bruit des détonations pour ordonner à ses hommes de marcher sur le camp. La consigne était de tirer sans pitié, sans faire de distinction entre les pèlerins et les bandits.

   Jao était content, car il avait été choisi pour attaquer par-derrière ; ainsi, il ne serait pas obligé de tirer contre le saint ni contre les paysans désarmés : Ils marchaient péniblement entre les broussailles hérissées d'épines. D'un pas léger et imperceptible, les cangaceiros, qu'ils croyaient surprendre, arrivaient de l'autre côté, ils se trouvaient à quelques pas, ils distinguaient le lieutenant à lunettes, les soldats qui marchaient. Zè Tonnerre ne vit pas le visage de Jao, remarqua seulement les pantalons kaki de l'uniforme détesté. II ordonna à ses hommes de se coucher et d'attendre. Quand les soldats seraient bien près, alors, oui !...

   Les bandits se couchèrent, les canons de leurs fusils étaient glissés entre les troncs minces des arbustes. La nuit était sombre, sans lune, mais les yeux de Zè Tonnerre savaient voir clair dans les ténèbres. Il repérait les jambes du soldat qui marchait. Il ne savait pas que c'était son frère Jao, celui qui était parti le premier. Il calculait d'après son pas le moment où il leur faudrait sauter et tirer, pousser leurs hurlements horribles, leur cri de guerre. C'est maintenant. Un signal qui passe d'homme en homme. Et les hurlements déchirent la caatinga, ce sont des rugissements d'animaux en furie, impressionnants à faire arrêter le cœur. Zè Tonnerre leva son arme, dans l'éclair du coup de feu, Jao aperçut son visage. C'était son frère José, et il murmura son nom, mais Zè Tonnerre partait en avant, les cangaceiros tiraient. Jao voyait les soldats courir ; il entendait la voix du lieutenant criant des ordres, mais il entendait tout très bas, et il voyait à travers un nuage qui recouvrait ses yeux. La seule chose qu'il voyait parfaitement, c'était le visage de son frère José, la bouche ouverte dans un cri, les yeux serrés de colère, de José appuyant sur la gâchette de son fusil. Et, au moment même où il mourait, Jao comprit que José était le fameux Zè Tonnerre, lieutenant de Lucas Arvoredo. Et il eut encore le temps de lui souhaiter la vie sauve, et au beato aussi, ah ! au beato surtout !

   Les coups de feu continuaient à crépiter, en face du camp résonnaient les pas des soldats marchant pour l'assaut décisif. Zè Tonnerre poussait ses cris de guerre. Jao était mort en souriant.





 Maria Cristina Haize ; huile sur toile


*


[Elle était blanche, un peu brune
Ses lèvres couleur de rose
Ses yeux immenses, brillants
Comme étoiles lumineuses
Elle possédait la symétrie
La grâce et le charme
D'un bijou précieux

Son buste était sculpté
Avec soin et amour
De la main mystérieuse
De l'artiste suprême
Qui, avec de tendres caresses, a créé
Des jambes parfaites
Chacune d'entre elles était une fleur

Pourtant, Maria Bonita
Avait un cœur aussi dur
Qu'elle était belle
Comme elle était habile
À monter l'âne et le cheval
On n'entendait que le claquement du fouet
Et le tremblement du sol

Maria, lorsque elle était jeune fille
Était la fleur des environs
Nombreux furent les garçons
Qui pleurèrent de tristesse
Parce qu'elle leur parlait ainsi :
Un jour, je n'épouserai
Que celui qui ne sera pas un lâche

J'épouserai un homme 
Qui montre qui il est 
Avec ses poings, avec ses pieds 
Avec son poignard, avec son couteau 
Avec les balles de son fusil 
Jusqu'à faire sauter les têtes. »

Extrait du poème d'Antonio Teodoro dos Santos : Maria Bonita, a mulher cangaço ]









   Maintenant la fusillade était serrée dans le camp. Les soldats y avaient fait irruption, le beato s'était retiré avec Zèfa et les pèlerins dans le cercle formé par les feux, il avait commencé à prêcher comme si de rien n'était. Les balles abattaient des hommes, les gémissements se mêlaient à ses paroles, Cirilo épaulait sa carabine derrière Estevao. Dans la clairière Lucas et ses hommes faisaient face aux soldats, mais ils ne savaient pas se battre de cette façon. Et lorsque Lucas tomba, blessé à la tête, ses hommes lâchèrent pied. À reculons, ils parvinrent auprès du beato, ils s'arrêtèrent devant les pèlerins.


   Les soldats avançaient, une quinzaine étaient déjà tombés, morts ou blessés, mais les pertes chez les cangaceiros étaient plus importantes. Dans l'ardeur du combat, des deux côtés, le désir de tuer augmentait. Les pèlerins ramassaient les armes de ceux qui tombaient, prenaient leur place. Les soldats tiraient indistinctement sur les bandits et sur les paysans ; ceux qui étaient nés dans la ville cherchaient à viser le saint, autour duquel s'amoncelaient les cadavres.

   À présent, on luttait corps à corps, les bandits dégainaient leurs poignards, on entendait les coups de feu de Zè Tonnerre contre les soldats qui avaient attaqué à l'arrière.





 Lunettes ayant appartenu au cangaceiro Virgulino Ferreira da Silva, alias Lampião



   Un soldat visa la poitrine du beato et sa balle partit en même temps que celle de Cirilo, le beato roula sur le corps des pèlerins, le soldat tomba sur le sol où les braises se dispersaient. Alors Cirilo s'avança, il avait lâché sa carabine, saisi son poignard. Un soldat prit Zèfa par un bras, elle se débattit, le mordit et le griffa, elle lui donnait des coups de pied, lui crachait à la figure. Il frappa sur son visage avec la crosse de son fusil, lorsqu'elle tomba, le soldat abaissa son arme et la déchargea.

   Zè Tonnerre arriva ensuite, après avoir liquidé des soldats. Mais ce fut pour voir les cangaceiros survivants s'enfuir, tout en venant à sa rencontre ; ils lui dirent que Lucas et Estevao étaient morts. Sa tante Zèfa aussi.

   Ils le regardaient, attendant des ordres. Des vingt hommes qu'il avait emmenés avec lui, quatre avaient été mis hors de combat. Et une dizaine seulement venait du camp, il n'y avait plus rien à faire. Ils battirent rapidement en retraite, déjà les soldats les poursuivaient, mais Zè Tonnerre atteignit la caatinga à temps. En passant, il marcha sur le visage d'un soldat. Il lança un juron, mais Jao souriait toujours, même du juron de son frère.



 Maria Bonita ;  vers 1936-1937


   Le sertao oublia le nom du beato Estevao, oublia le nom de Lucas Arvoredo. Mais le nom de Zè Tonnerre devint de plus en plus célèbre, sa cruauté et ses crimes laissèrent loin derrière eux tous les cangaceiros qui l'avaient précédé dans la caatinga. On disait de lui qu'il n'avait pas de cœur, qu'on n'avait jamais vu un homme aussi impitoyable, pas même Virgulino Ferreira Lampiao. II ne fit jamais grâce à un soldat, il n'accorda jamais une réduction sur les impôts qu'il levait dans les villes attaquées. La chanson disait de lui :

   « Tonnerre vient d'arriver
   Beaucoup de sang va couler... »


*




 Têtes coupées de Lampião (en bas), de Maria Bonita, sa compagne (au-dessus de celle de Lampião) 
et de neuf de leurs compagnons ; 28 juillet 1938 (10 Thermidor...)



   Par ordre du capitaine, ils coupèrent la tête du beato Esteyao, de Lucas Arvoredo, de Zèfa et de quelques pèlerins, pour augmenter le nombre. Ils les emportèrent comme des trophées, les exhibèrent en ville, des centaines de curieux défilèrent devant. Le capitaine fut élevé en grade, cité à l'ordre du jour, et, bien qu'il n'aimât pas la littérature, il écrivit un livre sur la campagne.

   Dans le campement, à l'aube, les cadavres étaient amoncelés. Avec la chaleur, ils commençaient à pourrir. Des urubus arrivèrent de tous les points de caatinga et couvrirent le soleil de leurs ombres noire. L'obscurité était si grande qu'on aurait cru proche la fin du monde.



Jorge Amado (1912-2001) ; Seara vermelha, roman, 1946 : Les Chemins de la faim, trad. par Violante do Canto, Les Éditeurs français réunis, Paris, 1951, 383 p.



Oeuvre de Jayme Griz, Rio Una, 1951



Monument funéraire à la mémoire de Lampião et ses compagnons au lieu où ils fûrent assassinés



« Afin que cela constitue une preuve irréfutable 
On coupa les têtes 
De tous les cangaceiros 
Puis on les mit 
Avec de l'eau salée dans une boîte 
De kérosène, puis on les a amenées

Emportant les onze têtes 
Les policiers quittèrent 
Angico, puis ils traversèrent 
Le grand fleuve Sâo Francisco 
En direction de l'Alagoas 
Et arrivèrent à Sant'Ana

A Sant'Ana do Ipanema 
Eut lieu l'exposition des têtes 
Et le peuple 
De presque tout le sertão 
Vint voir les têtes 
Des cabras de Lampião

On fit cela parce que dans le Nordeste 
On parlait sans cesse de Lampião 
On disait qu'il était invincible 
Et qu'il avait le corps fermé 
À l'abri des poignards, des couteaux et des balles 
Et qu'il était protégé des morsures de serpents

On raconte qu'il avait quelque chose à voir avec Dieu 
Et aussi avec le Diable 
Personne ne croyait 
Qu'il ait pu perdre la vie 
Qu'il puisse jamais mourir de blessures 
Plutôt que de malemort. »

Manoel d'Almeida Filho : extrait du cordel "Os Cabras de Lampião"




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