[…] La bande de Lucas
resta cachée pendant presque deux mois. En l'occurrence. Leur
coiteiro était un petit propriétaire à qui Lucas avait un
jour sauvé la vie, au cours d'un voyage. Et ce fut là que
l'émissaire du beato Estevao vint le trouver. Il s'apprêtait
déjà à repartir, à balayer de nouveau le sertao, à
envahir des villages et des villes, à extorquer de l'argent aux
fermiers, lorsqu'un soir sans lune, à la tombée de la nuit, un
homme arriva. Il était appuyé sur un bâton, il avait parcouru bien
du chemin, il avait eu du mal à découvrir où Lucas s'était
réfugié.
Les soldats - ceux qui
avaient été chargés de poursuivre Estevao et ceux qui
recherchaient Lucas - avaient encerclé le saint aux environs de
Juazeiro. Plus de trois cents hommes se trouvaient avec Estevao, mais
ils n'étaient presque pas armés et n'avaient aucune expérience de
la lutte. Le seul espoir qui leur restât, c'était l'aide de Lucas
Arvoredo.
- Mon père, Estevao
m'envoie vous dire que vous preniez tous les hommes que vous pouvez.
Et tout ce que vous avez comme armes, pasque ça chauffe...
Avant de partir, Lucas
dépêcha des émissaires pour rassembler des camarades, des paysans
qui l'aimaient bien, des hommes qui parfois faisaient partie de sa
bande, et d'autres qui, il le savait, se seraient fait tuer pour lui.
Et ils vinrent en grand nombre, les uns pour lui rendre service, les
autres pour défendre le beato Estevao. Ils n'avaient jamais
vu le beato, mais pour eux, c'était un saint, par sa bouche
parlait la voix de Dieu.
Ils partirent à l'aube,
laissant les femmes, s'emparant de toutes les armes qu'ils trouvaient
dans les fermes où ils passaient. L'envoyé du saint, un nègre à
la tignasse grisonnante, les exhortait à se hâter. Mais ils
marchaient si vite que le nègre lui-même avait du mal à les
suivre. Pendant six jours et six nuits, ils se frayèrent un chemin à
travers les épines et, le septième au soir, ils aperçurent les
feux dans le campement du saint. Le vent apportait un murmure de
prières chantées par la foule qui accompagnait Estevao. Lucas
s'arrêta, mit le genou en terre, les autres cangaceiros
l'imitèrent. Ils firent le signe de la croix et ce ne fut qu'alors
qu'ils avancèrent humblement.
Antônio Francisco Lisboa, plus connu sous le surnom de Aleijadinho
(1730 ou 1738-1814)
(1730 ou 1738-1814)
Jao
« Voici Lucas
Arvoredo
Qui s'amène avec son
poignard... »
Un jour, dans le fond du
sertao agreste, où la faim tuait les hommes, où les rivières
étaient desséchées par le soleil brûlant, où les colonels
s'emparaient des terres des paysans et faisaient abattre ceux qui
protestaient ; dans le sertao d'où les émigrants partaient
en fournées successives vers le sud, jonchant les routes de leurs
cadavres, dans le sertao où les enfants mouraient par
centaines, et ceux qui survivaient étaient malades et tristes, quand
le paludisme se répandit comme un manteau de deuil et que la petite
vérole laissa sa marque mortelle sur des milliers de visages, quand
la fièvre typhoïde se propagea comme une mauvaise herbe, quand il
ne subsistait plus aucun espoir dans le cœur fatigué des
campagnards, c'est alors qu'apparut le beato.
Personne ne savait d'où
il venait, qui il était, quand il était arrivé, ni son âge ni son
nom complet. Il s'appelait Estevao, il n'avait pas de nom de
famille ; son bâton noueux qui ressemblait à un serpent
portait la poussière de longues pérégrinations, ses espadrilles
étaient vieilles et trouées, sa robe blanche éclaboussée d'une
boue déjà ancienne. Sa barbe blanche, ébouriffée, pas très
épaisse, tombait sur sa poitrine, et ses cheveux blancs et longs
glissaient également sur son cou jusqu'au haut du dos. De sa tête,
les poux descendaient sur sa robe, et les oiseaux, vers midi et quand
le soir tombait, se posaient sur l'épaule du saint et picotaient ses
oreilles dissimulées par les mèches.
Il apparut en proclamant
que le monde allait finir ; la méchanceté des hommes étant
parvenue à son comble, la pitié s'était épuisée dans le cœur de
Dieu. La limite de sa patience était atteinte et maintenant allait
venir le terrible châtiment, l'heure du repentir était arrivée.
Malheur à ceux qui ne se couvriraient pas la tête de cendres et
n'abandonneraient pas tout, maison et travail, patrons et récoltes,
pour prier! Ceux qui ne le feraient pas n'auraient pas de salut
possible lorsque l'heure sonnerait, inexorable.
Sa voix était
suggestive et tendre, elle ressemblait davantage à la voix d'un
enfant qu'à celle d'un vieillard, mais au moment des imprécations,
elle s'élevait avec violence, elle cinglait comme un fouet. A ces
moments-là, tous oubliaient que c'était un vieux courbé sur un
bourdon. Il devenait pareil à un arbre majestueux, à une rivière
torrentueuse, à une cataracte bruyante. Lorsque son regard bleu,
d'ordinaire bienveillant et chaud, regard qui appelait et
encourageait, s'immobilisait, perdu dans le lointain, apercevant des
choses que les autres ne pouvaient voir, il provoquait la peur et le
frisson. Grand, et si maigre qu'il balançait dans le vent comme un
bambou, il avait une résistance de fer et marchait des lieues et des
lieues, d'un pas rapide, difficile à suivre. « Il mange moins qu'un
oiseau », disaient les femmes ; et des histoires fantastiques
circulaient sur la façon dont, la nuit, Notre Seigneur le
nourrissait et renouvelait ses forces.
Il s'appelait Estevao,
mais tous le traitaient de beato Estevao, les pèlerins
employaient l'expression tendre de « mon père ». Ils courbaient la
tête pour recevoir sa bénédiction lorsqu'il passait, la main
levée, ses mots presque imperceptibles. Sa bénédiction était
miraculeuse, elle guérissait les maladies, cicatrisait les plaies,
éloignait les fléaux des cultures, les épidémies des animaux,
chassait les mauvais esprits et rendait les hommes invulnérables à
la morsure des serpents venimeux et aux balles assassines.
Comment douter de sa
sainteté, de son pouvoir surnaturel, si les reptiles les plus
redoutés, - le serpent à sonnettes, le jaracuçu-à-tête-d'argent,
la jaracaca, - sortaient du chemin sur ses pas et
l'accompagnaient sur la route et se laissaient prendre dans ses mains
et comprenaient la langue étrange qui était la sienne ? Comment
douter, puisqu'il parlait de la faim des hommes, de tous les malheurs
qui s'abattaient sur eux, puisqu'il disait qu'aucun colonel, qu'aucun
des grands planteurs n'échapperait à la colère de Dieu, au
châtiment imminent ?
Aucune parole n'avait de
vertu contre lui, pas même la parole des prêtres qui s'étaient
élevés pour condamner le beato. Les habitants du sertao
savaient bien qu'ils ne mariaient pas et ne baptisaient pas
gratuitement. Ils vivaient dans les plantations, où ils étaient les
hôtes des Casas Grandes, mangeant plantureusement à la table
des colonels, et leurs sermons ne stigmatisaient pas le vol des
terres, ni les salaires si bas qu'ils ne suffisaient même pas à
payer les dépenses au magasin. Dans leurs sermons, pleins des feux
de l'enfer, les prêtres invectivaient, oui, mais c'était contre
ceux qui vivaient en concubinage, ceux dont 1es enfants n'étaient
pas baptisés, ceux qui utilisaient les animaux parce qu'ils ne
possédaient pas de femmes pour faire l'amour. Estevao, lui, parlait
un autre langage. Pas un mot contre les prostituées, contre les
hommes qui prenaient femme sans recevoir la bénédiction du vicaire,
contre ceux qui se servaient de juments et d'ânesses. En revanche,
il fulminait contre les péchés des riches, il dénonçait leur
façon de tuer 1es pauvres à force de famine, et c'était à eux, à
leur avarice et à leur cupidité, qu'il attribuait la colère de
Dieu qui avait décidé d'en finir avec le monde. Il ne s'était
jamais arrêté pour se reposer dans une maison de planteur, et le
peu de fois qu'il avait rencontré un colonel, il lui avait jeté au
visage les plus violentes imprécations, l'exhortant à rendre leurs
terres aux colons spoliés, à rembourser aux ouvriers ce qui leur
avait été extorqué dans les comptes des magasins. Et plus d'un
avait fui sa présence, impressionné par la silhouette de ce
vieillard sur son bâton, la barbe flottant au vent, des oiseaux
gazouillant sur l'épaule, des serpents venimeux sur ses traces.
Lorsqu'il avait fait son
apparition, il était seul, et il parlait même lorsque personne ne
pouvait l'entendre comme si les arbustes épineux de la Caatinga,
les lézards et les serpents, les urubus affamés pouvaient
comprendre son langage. Mais bientôt, portée de bouche en bouche,
sa parole s'était répandue, et les pèlerins commençaient à
affluer, à se grouper autour de lui, à le suivre dans son
cheminement. Ils n'avaient rien à perdre, ou fort peu, lorsqu'ils
lâchaient la hache ou la pioche, lorsqu'ils fuyaient les fazendas
pour chercher dans les yeux bleus du saint l'ombre d'une espérance.
Quoiqu'il annonçât des événements terrifiants, les paysans se
sentaient réconfortés par sa présence, par la chaleur de sa voix,
sous la protection quotidienne de sa bénédiction.
La première de ses
pénitentes fut une veuve, qui amena ses cinq petits enfants. Mais le
jour même arrivèrent des hommes, et ils le suivirent. Il marchait
toujours, s'arrêtant seulement le dimanche, lorsqu'il organisait des
processions et couvrait ses cheveux blancs de la cendre qui restait
dans les brasiers. II se dirigeait vers la mer, où se trouvaient des
grandes villes, où roulaient des trains, et d'où partaient les
navires que les paysans n'avaient jamais vus, et dont ils aimaient à
imaginer la forme, la dimension et les couleurs, pendant les nuits
monotones des plantations.
Au début, ils étaient
peu nombreux. Mais, sur son passage, les hommes abandonnaient tout,
chaussaient les espadrilles, mettaient le chapeau de cuir. Et ils
s'attachaient à ses pas, ils voulaient entendre une fois de plus ces
paroles contre la cruauté des colonels, contre les vols de terrains,
contre les salaires de famine. Tous les soirs, le beato
prêchait, les hommes eux aussi ouvraient leur cœur, ils lui
racontaient leurs histoires douloureuses, recevaient son apaisante
bénédiction. Et ils s'unissaient autour de lui pour s'occuper de sa
nourriture, pour allumer les feux le dimanche soir, pour dormir à
ses cotés sur les routes et dans les clairières. Et ainsi, ils
venaient, ils traversaient le sertao, leur nombre augmentait
toujours, paysans qui abandonnaient leur travail, comme il le
conseillait, pour faire pénitence, malades de toutes les maladies,
aussi, qui venaient en quête de la santé, que le beato
accordait avec sa bénédiction.
Antônio Francisco Lisboa, plus connu sous le surnom de Aleijadinho (1730 ou 1738-1814) :
CAPELAS DOS PASSOS (Caminho de Jesus ao Calvário). Imagens esculpidas em cedro rosa entre 1796 a 1799 pelo Aleijadinho e por seu ateliê com policromia de Manoel da Costa Ataíde e Francisco Xavier Carneiro.
CAPELAS DOS PASSOS (Caminho de Jesus ao Calvário). Imagens esculpidas em cedro rosa entre 1796 a 1799 pelo Aleijadinho e por seu ateliê com policromia de Manoel da Costa Ataíde e Francisco Xavier Carneiro.
Et d'un bout à l'autre
du sertao, dans cet immense pays à l'immense misère et aux
richesses immenses, sur tous les chemins de la fièvre et de la faim,
courut le nom du beato Estevao ; et, de toutes les extrémités
du pays, des pèlerins partaient à sa recherche. Des bandits et des
guitaristes aveugles, des sbires aux nombreux crimes sur la
conscience, des paysans à qui on avait ravi le champ qu'ils
labouraient, des journaliers endettés dans les magasins, des vieux
et des jeunes, des femmes avec des enfants, et des jeunettes qui
n'avaient pas encore connu d'hommes, des tuberculeux et des
paludéens, des lépreux et des fous. Ils vinrent tous emplissant les
chemins, volant pour manger, marchant de jour et de nuit, cherchant
les traces du saint. Lui seul guérissait et consolait. Et le beato
continuait sans se soucier du nombre de pèlerins qui le suivaient
disant ses prières, diffusant ses prophéties. Mais pour chacun, il
avait une parole différente, pour chaque histoire une solution qui
calmait comme un baume sur une blessure.
Plus rapide que
lui-même, son nom le devançait, parvenait dans les villes,
paraissait dans les journaux. Les colonels s'agitaient, des
journaliers délaissaient 1es récoltes ; des colons se rebellaient,
des prêtres s'insurgeaient contre lui, car il représentait la
menace d'une secte superstitieuse qui pouvait ébranler le prestige
de l'Église. Le saint avançait, indifférent, il ne savait même
pas que sa personne provoquait tant de discussions. Les oiseaux
venaient se poser sur son épaule ; les guitaristes chantaient en son
honneur, les femmes baisaient le bas de sa robe, et les serpents
s'enroulaient autour de son bras maigre, se nichaient sur sa poitrine
concave. Tout cela se passait dans le sertao, où la faim fait
naître des bandits et des saints.
Ancien Cangaceiros (Moreno et Durvinha) comme produit de consommation soldé........
dans la presse brésilienne...
[…]
Les journaliers
lâchaient leurs instruments de travail, quand les propriétaires
protestaient, ils disaient que le monde allait finir, cela ne servait
à rien de s'échiner dans les champs pour gagner des salaires de
famine. Ils abandonnaient les bêches, s'enfuyait la nuit à la
recherche d'Estevao ; ils n'avaient plus à l'égard des colonels
leur respect coutumier ; ils savaient ce que disait Estevao sur eux
dans ses sermons. Ils étaient tous condamnés, pas un seul ne serait
sauvé. Dans les églises des villages, les baptêmes diminuaient,
les couples ne venaient plus le samedi pour les mariages sans
solennité. Car le saint lui aussi baptisait et mariait, mais il ne
demandait rien, c'était gratuit. Les journaux de la capitale
publiaient des articles disant que le beato incitait les
hommes du sertao au désordre, que les récoltes de cette
année étaient en danger, faute de bras, que les principes les plus
sains de la civilisation chrétienne, que les sacerdoces
introduisaient dans la caatinga avec tant de sacrifices et
d'abnégation, étaient en péril, allaient être submergés par
cette vague de superstition qui se propageait si rapidement dans tout
le sertao du nordeste. Il s'avérait nécessaire et
urgent que les autorités prissent des mesures énergiques. Les
journaux du gouvernement, comme ceux de l'opposition, s'unissaient
contre le beato, et bien qu'un reporter eût publié des
photos et des commentaires exploitant ce qu'il y avait de pittoresque
dans la figure du prophète et dans ses rites, les directeurs, dans
les articles de fond, affirmaient que le moment était venu de mettre
Estevao dans un hospice ; de ramener les campagnards dans les
plantations abandonnées, et de les obliger à travailler. Sinon
l'agriculture subirait un immense préjudice cette année, car la
sécheresse avait déjà anéanti une partie des récoltes. Les
habitants du sertao ne lisaient pas les journaux, ils ne
savaient ni lire ni écrire en général, mais ils écoutaient les
paroles du saint, et comme ils étaient désespérés, ils
continuaient, toujours en plus grand nombre, à lâcher leurs faux et
leurs pioches, leurs haches et leurs bêches, ils ne gardaient que
leur couteau, car c'était la seule arme qu'ils possédaient. Et ils
erraient dans la brousse, à la recherche des traces d,'Estevao, ils
ne voulaient pas que le monde s'achevât sans qu'ils eussent reçu sa
bénédiction.
Estevao campa à
quelques lieues de Juazeiro, dans la caatinga, loin des
routes. Il y avait là des puits, les paysans s'attaquèrent aux
arbustes avec leurs couteaux et improvisèrent des cabanes. Il
semblait que le beato pensait demeurer là, mais personne ne
connaissait ses projets, pas même Zèfa, qui était aussi une
sainte. Allait-il descendre sur la ville, attaquer un train et
prendre la direction de la capitale ? Allait-il rester toujours,
accueillant les pèlerins, accomplissant miracles, guérissant des
malades? S'il en était ainsi une ville ne tarderait pas à s'élever
dans ces bois. Ni vers Bon Jésus de Lapa, ni vers le Juazeiro du
Cearâ, où pontifiait le Père Cicéro, on ne voyait cheminer autant
de gens, sur les sentiers de la caatinga. Allait-il retourner
sur ses pas et s'enfoncer une fois de plus dans la brousse ? Le plus
probable était qu'il voulait attendre en ce lieu l'heure qu'il
annonçait, l'heure de la fin du monde. Il disait qu'il existait un
endroit où Dieu descendrait pour le jugement dernier. Certainement,
c'était celui-là, avec ses sept sources. Estevao s'était arrêté
devant chacune d'elles, accompagné de Zèfa, il avait béni leurs
eaux afin qu'elles ne se desséchassent point.
Em outras duas fotos seqüenciais, vejo o bando de Corisco, armado até os dentes em evidente pose. Apenas a cadela não posa. Sua naturalidade, para quem está em primeiro plano, contrasta com o da fileira quase militar das pessoas ao fundo. Na primeira foto, ela olha para a câmara com seu corpo branco manchado de negro como negra é a máscara que possui ao redor dos olhos. Na segunda, olha para o bando como se a presença do fotógrafo, tão ilustre naquela região desolada espinhenta, não tivesse tanta importância quanto a dos “seus”.
Em mais uma fotografia, Corisco apresentase em posição clássica de sentido ao lado da mesma cadela. Esse homem cuja única linguagem parece ser a da violência, tem sua inscrição na história amenizada pelo amor dessa cachorra por seu relampejante ser-humano-corisco. Ela o tem como o chefe do bando, e ele, curiosamente ao ser o local tão árido, a chama de Jardineira.
Ce fut là que le
détachement de la police vint le trouver. Les caravanes de paysans
se succédaient Certains jours, il en arrivait plus de cent à la
fois, et il leur fallait se procurer de la nourriture par n'importe
quel moyen. Par ordre des propriétaires des plantations, les
magasins ne leur vendaient pas de marchandise. Leur seule ressource
était de voler, de tuer de bœufs dans la campagne, de les dépecer
sur place, d'apporter des quartiers de viande au campement. Des
pèlerins se spécialisaient dans ces coups de main, les demandes de
répression se multipliaient. La police arriva enfin, quatre-vingts
hommes bien armés. Le capitaine étudia la situation, conclut que,
s'il arrivait à les cerner, ils seraient obligés de se rendre,
faute de nourriture. Cela n'était qu'un jeu d'enfants.
Mais les premiers
incidents se produisirent avec les pèlerins qui arrivaient. Ils
voulaient passer, ils y venaient de loin en quête de la bénédiction
rédemptrice du saint. La police bloquait une partie de le route, les
pèlerins insistaient, de courtes luttes s'engageaient, des paysans
tombaient, morts ou blessés. Et les hommes d'Estevao continuaient à
sortir la nuit pour aller voler. Ils n'attaquaient jamais les
soldats, mais, lorsqu'ils étaient attaqués, ils se défendaient
avec courage, il y avait déjà eu des pertes dans la police.
Facão curto de Lampião : Gavião guarnecido por cachorro, 1938.
Coleção privada. In Estrelas de Couro - A estética do cangaço pág. 134.
Coleção privada. In Estrelas de Couro - A estética do cangaço pág. 134.
Pendant un certain
temps, Estevao ne sembla pas se soucier de la force militaire qui
l'investissait. Mais lorsque les morts se multiplièrent et que le
piège se resserra, il s'aperçut que les soldats tuaient de plus en
plus fréquemment les paysans sans défense. Ce fut lui qui ordonna à
Cirilo de chercher Lucas Arvoredo. Ces soldats étaient envoyés par
les riches sans salut possible, qui ne voulaient pas que fût
entendue sa parole, ordonnant aux hommes de se repentir. Ce n'était
pas un péché de lutter contre eux. Mais qui pourrait le faire,
sinon Lucas Arvoredo, le cangaceiro ?
Le piège se resserrait
et Cirilo ne ramenait toujours pas Lucas. Les pèlerins partaient
très loin à leur recherche pour leur indiquer le chemin. Ne se
seraient-ils pas égarés dans les détours de la caatinga,
dans l'enchevêtrement des épines ? Mais personne ne connaissait les
secrets de la caatinga comme Lucas Arvoredo. Il viendrait
certainement par les sentiers ; avant que la police ne s'en rende
compte, il serait là...
La nuit, des pèlerins
forçaient le cercle, venaient embrasser la robe du saint. Ils
venaient de cinq États différents ; ils avaient marché des lieues
et des lieues, la police ne pouvait pas les empêcher de recevoir la
bénédiction d'Estevao. Ils laissaient leurs femmes et leurs enfants
de l'autre côté, ils rampaient dans les fourrés, ils atteignaient
le camp du beato. Et ils ne repartaient plus, car il fallait
défendre Estevao, et ils avaient leur couteau et leur pistolet, ce
n'était pas un péché de tirer sur les soldats. Le monde allait
finir ; qu'importait la mort ?
Á esquerda. novamente "Nenêm", ao centro "Luís Pedro"
Chaque jour il devenait
plus difficile de gagner la campagne. Les soldats avançaient toutes
les nuits de quelques mètres. Pour passer entre les patrouilles,
pénétrer dans les fazendas, rapporter les bœufs abattus,
les chèvres tuées, les quartiers de viande séchée, la ruse et
l'habileté, un pas de chat, la légèreté de l'once étaient
indispensables. Quelques-uns y restaient, avec une balle dans la
poitrine. Mais la nourriture des pèlerins ne manquait pas dans le
camp du beato Estevao.
Jorge Amado (1912-2001) ; Seara vermelha, roman, 1946 : Les Chemins de la faim, trad. par Violante do Canto, Les Éditeurs français réunis, Paris, 1951, 383 p.
(À suivre...)
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