vendredi 30 octobre 2009

Adonaï !!! ...



Frédéric (debout) et Arthur Rimbaud lors de leur première communion en 1866,
"Où pommadé, sur un guéridon d'acajou, il[s] lisai[en]t une Bible à la tranche vert-chou" ...


Chapitre 13

Vraiment, c'est bête, ces églises des villages
Où quinze laids marmots encrassant les piliers
Écoutent, grasseyant les divins babillages ;
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille à travers les feuillages
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.

La pierre sent toujours la terre maternelle.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit solennelle
Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des nœuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux.

Tous les cent ans, on rend ces granges respectables
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé :
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre-Dame ou du Saint empaillé,
Des mouches sentant bon l'auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.

L'enfant se doit surtout à la maison, famille
Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants ;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.

Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et qui joindront, aux jours de science, deux cartes,
Ces deux seuls souvenirs lui reste du grand Jour.

Les filles vont toujours à l'église, contentes
De s'entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes.
Eux qui sont destinés au chic des garnisons
Ils narguent au café les maisons importantes,
Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons.

Cependant le Curé choisit pour les enfances
Des dessins ; dans son dos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses,
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant ;
- La nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.

Lucas Granach l'ancien ; Adam et Ève, 1528

II

Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes,
Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
"Au grand Jour, le marquant parmi les Catéchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers."


William Bouguereau (1825-1905) ; Les nymphes et le satyre, 1873


III

La veille du grand Jour, l'enfant se fait malade.
Mieux qu'à l'Église haute aux funèbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade -
Un frisson surhumain qui retourne : "Je meurs..."

Et, comme un vol d'amour fait à ses sœurs stupides,
Elle compte, abattue et les mains sur son cœur,
Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.

Adonaï !... - Dans les terminaisons latines,
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !

- Pour ses virginités présentes et futures
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion !


William Bouguereau (1825-1905) ; Le retour du printemps, 1886


IV

Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre.
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois ;

Des curiosités vaguement impudiques
Épouvantent le rêve aux chastes bleuités
Qui s'est surpris autour des célestes tuniques,
Du linge dont Jésus voile ses nudités.

Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse,
Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds,
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.

Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...


William Bouguereau (1825-1905) ; "Dawn"[?], 1881


V

À son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche.
Devant le sommeil bleu des rideaux illunés,
La vision la prit des candeurs du dimanche ;
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez,

Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
Pour savourer en Dieu son amour revenant,
Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse
Le cœur, sous l'œil des cieux doux, en les devinant ;

De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Tous les jeunes émois de ses silences gris ;
Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne
Écoule sans témoin sa révolte sans cris.

Et faisant la victime et la petite épouse,
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts,
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.


William Bouguereau (1825-1905) ; Soir au clair de lune, 1882


VI

Elle passa sa nuit sainte dans des latrines.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d'une cour voisine s'écroulant.

La lucarne faisait un cœur de lueur vive
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres ; les pavés puant l'eau de lessive
Souffraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

William Bouguereau (1825-1905) ; Rêve de printemps, 1901


VII

Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes,
Et ce qu'il lui viendra de haine, ô sales fous
Dont le travail divin déforme encor les mondes,
Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ?
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


William Bouguereau (1825-1905) ; L'invitation, 1892


VIII

Et quand, ayant rentré tous ses nœuds d'hystéries,
Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rêver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur :

"Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
Ton cœur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez ;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !

"J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines.
Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines,
Et je me laissais faire... ah ! va, c'est bon pour vous,

"Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !

"Car ma Communion première est bien passée.
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus !"


William Bouguereau (1825-1905) ; Pieta, 1876


IX

Alors l'âme pourrie et l'âme désolée
Sentiront ruisseler tes malédictions.
- Ils auront couché sur ta Haine inviolée,
Échappés, pour la mort, des justes passions.

Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies,
Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur,
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies,
Ou renversés les fronts des femmes de douleur.

Arthur Rimbaud (1854-1891) ; Les premières communions, juillet 1871.


William Bouguereau (1825-1905) ; L'Amour et Psyché ...

2 commentaires:

  1. Maître Ogrichon,

    C'est la tête basse que je me présente à vous à l'instant. C'est avant de m'éclipser sur la pointe des pieds - une nouvelle fois - que, poussée par je ne sais quelle folie, je relisais un de vos billets...
    Vous l'avez peut-être remarqué, je ne viens plus guère visiter le Monde Parallèle ; moment passager, cela m'apparait désormais comme une évidence ; cependant, en vous relisant, je n'ai pu m'empêcher de le recevoir avec une émotion nouvelle...

    Arf voilà, quand il s'agit d'ouvrir la porte aux sentiments vrais, j'en perd ma verve !
    Tout ceci pour venir vous présenter mes hommages, et vous affirmer que je regrette si notre relation s'étiole... Ce n'est pas ma volonté. Mais je vous dois une explication.

    J'espère seulement vous retrouver quand je reviendrais avec mes nouveaux murs. Parce que je ne pourrai me passer de vous, de votre esprit, de vos paroles, de vos pensées et de vos bois.

    Oui, voici bien un billet très égoïste, car je ne vous ai même pas demandé comment la vie s'activait en votre forêt et demeure ? Trop pressée que j'étais à vous ouvrir mon coeur...

    Monseigneur, tout est passager. Rien n'est éternel. Et cela pourrait fort bien faire l'objet d'une nouvelle divagation... Car souvent vous avez été la source de mes écrits. Rien n'est éternel disais-je. Car vos mots et nos reflexions sur la confiture de framboise font désormais partie du passé... Cependant, ils vivent en moa avec une vivacité surprenante. Je ne sais pourquoi nous nous efforçons de venir arpenter le Monde Parallèle, mais nous y sommes, certainement par sado-masochisme, et si je sais pertinemment que cela ne peut durer, face à mon inconstance, face à nos vies réelles ou que sais-je encore, je ne puis me résoudre à abandonner ce que nous avons construit... Quelque chose de faible et de fort à la fois...

    Je m'exprime mal, pardonnez-moa.

    Laissez-moa simplement vous saluer du coin de l'oeil... Et espérer vous retrouver quoi qu'il arrive...

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  2. ... Quel billet, ma Très Noble Fée !
    Quels remerciements !

    Ne vous dois-je point d'avoir employé Vos Yeux, Vôtre Divine Tête, Votre Main, Votre Temps(!!!...) à me composer un si agréable billet ???

    Je l'ai lu et relu, et le relirai encore avec bien du plaisir et bien de l'attention ; il n'y a nulle lecture où je puisse prendre plus d'intérêt. Vous contentez ma curiosité et j'admire votre soin à me dire ainsi tout ceci.
    Jouissez, ma Très Noble Fée, de la beauté de votre action et veuillez accepter les grâces que j'en ai pour vous.

    Je vous remercie de tous les sujets que vous avez bien voulu aborder avec moi jusqu'ici : de la confiture jusqu'à l'au-delà ...
    Enfin, je pense tout, plutôt que de penser que vous n'avez jamais pensé à moi dans vos posts ou vos billets ; j'ai sur cela une extrême confiance.
    Je sens par ce petit chagrin, quelle consolation c'est, que d'avoir des nouvelles d'une personne que l'on aime beaucoup - cela rapproche - On est occupé des pensées que cela jette dans l'esprit et, quoiqu'elles soient quelquefois mêlées de tristesse, on l'aime bien mieux que l'ignorance ...

    "Nos champs n'ont point de fleurs plus passagères
    Mais ils ne veulent point perdre la saison d'aimer" ...

    Voilà, ma Noble Fée, ce qui s'appelle causer, car vous comprendrez toujours que je ne prétends pas vous apprendre des nouvelles de mille lieues loin. Il y a des commerces qui sont fort agréables et je prendrai toujours plaisir à partager avec vous quelques soient vos projets. Aussi, j'attendrai que vous rouvriez une modeste échoppe comme si vous attendiez de bâtir un palais à mille cœurs offerts.

    Quant à moi, je demeure toujours Ogre et n'ai de cesse que de contempler les champs de violettes et leurs hôtes, qui s'offrent à mon regard ...

    Ne vous embarrassez point dans les plaintes qui vous consoleraient, et je vous réponds que vous serez contente !!!

    Adieu, ma Très Noble Fée ; vous êtes ma véritable tendresse et tout ce qui me plaît hors l'Ogrerie ...

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