Chapitre XI
De leur mariage et
concubinage.
Première cérémonie
de leur mariage. Gardent trois degrés de consanguinité.
Nous lisons que César
louait grandement les Allemands d'avoir eu en leur ancienne vie
sauvage telle continence qu'ils réputaient chose très vilaine à un
jeune homme d'avoir eu la compagnie d'une femme ou fille avant l'âge
de vingt ans. Au contraire des garçons et jeunes hommes de Canada,
et particulièrement du pays de nos Hurons, lesquels ont licence de
s'adonner au mal sitôt qu'ils peuvent, et les jeunes filles de se
prostituer sitôt qu'elles en sont capables, voire même les pères
et mères sont souvent maquereaux de leurs propres filles, bien que
je puisse dire, avec vérité, n'y avoir jamais vu donner un seul
baiser ou faire aucun geste ou regard impudique ; et pour cette
raison j'ose affirmer qu'ils sont moins sujets à ce vice que par
deçà, dont on peut attribuer la cause, en partie à leur nudité,
et principalement de la tête, en partie au défaut des épices, du
vin, et en partie à l'usage ordinaire qu'ils ont du pétun, la fumée
duquel étourdit les sens et monte au cerveau.
Supplice des Jésuites Jean de Brébeuf et Gabriel Lallemant par les Iroquois en 1649 -
in François Du Creux, Historiae canadensis, sev Novae-Franciae libri decem, ad annum vsque Christi - MDCLVI...
in François Du Creux, Historiae canadensis, sev Novae-Franciae libri decem, ad annum vsque Christi - MDCLVI...
Plusieurs jeunes hommes,
au lieu de se marier, tiennent et ont souvent des filles à pot et à
feu qu'ils appellent, non femmes aténonha, parce que la
cérémonie du mariage n'en a point été faite, mais asqua,
c'est-à-dire compagne ou plutôt concubine, et ils vivent ensemble
aussi longtemps qu'il leur plaît, sans que cela empêche le jeune
homme ou la fille d'aller voir parfois leurs autres amis ou amies
librement et sans crainte de reproche ni blâme, telle étant la
coutume du pays.
Mais leur première
cérémonie du mariage est que quand un jeune homme veut avoir une
fille en mariage, il faut qu'il la demande à ses père et mère,
sans le consentement desquels la fille n'est point à lui (bien que
le plus souvent la fille ne prend point leur consentement et avis,
sinon les plus sages et mieux avisées). Cet amoureux voulant faire
l'amour à sa maîtresse et acquérir ses bonnes grâces, se
peinturera le visage et s'accommodera des plus beaux matachias
qu'il pourra avoir, pour sembler plus beau, puis présentera à la
fille quelque collier, bracelet ou oreillette de porcelaine : si la
fille a ce serviteur agréable, elle reçoit ce présent ; cela fait,
cet amoureux viendra coucher avec elle trois ou quatre nuits, et
jusque-là il n'y a encore point de mariage parfait, ni de promesse
donnée, parce qu'après ce dormir il arrive assez souvent que
l'amitié ne continue point et que la fille, qui, pour obéir à son
père, a souffert ce passe-droit, n'affectionne pas pour cela ce
serviteur, et il faut par après qu'il se retire sans passer outre,
comme il arriva de notre temps à un sauvage, envers la seconde fille
du grand capitaine de Quieunonascaran, comme le père de la fille
même s'en plaignait à nous, voyant l'obstination de sa fille à ne
pouvoir passer outre à la dernière cérémonie du mariage, pour
n'avoir pas ce serviteur agréable.
Samuel de Champlain, Deffaite des Yroquois au Lac de Champlain, in Les voyages du sieur de Champlain Xaintongeois,
capitaine ordinaire pour le Roy, en la marine [...] ; Paris, Jean Berjon, 1613
capitaine ordinaire pour le Roy, en la marine [...] ; Paris, Jean Berjon, 1613
Les parties étant
d'accord et le consentement des père et mère étant donné, on
procède à la seconde cérémonie du mariage en cette manière. On
dresse un festin de chien, d'ours, d'élan, de poisson ou d'autres
viandes qui leur sont accommodées, auquel tous les parents et amis
des accordés sont invités. Tout le monde étant assemblé et chacun
en son rang assis sur son séant, tout à l'entour de la cabane, le
père de la fille, ou le maître de la cérémonie, à ce député,
dit et prononce hautement et intelligiblement devant toute
l'assemblée que tel et tel se marient ensemble et qu'à cette
occasion a été faite cette assemblée et ce festin d'ours, de
chien, de poisson, etc. pour la réjouissance d'un chacun et la
perfection d'un si digne ouvrage. Le tout étant approuvé et la
chaudière nette, chacun se retire, puis toutes les femmes et filles
portent à la nouvelle mariée, chacune un fardeau de bois pour sa
provision, si elle est en saison qu'elle ne le peut faire commodément
elle-même.
Casse-tête iroquois
Or il faut remarquer
qu'ils gardent trois degrés de consanguinité, dans lesquels ils
n'ont point accoutumé de faire mariage : à savoir du fils avec sa
mère, du père avec sa fille, du frère avec sa sœur et du cousin
avec sa cousine, comme je reconnus apertement un jour que je montrai
une fille à un sauvage et lui demandai si c'était là sa femme ou
sa concubine : il me répondit que non et qu'elle était sa cousine
et qu'ils n'avaient pas accoutumé de dormir avec leurs cousines ;
hors cela toutes choses sont permises. De douaire il ne s'en parle
point : aussi quand il arrive quelque divorce, le mari n'est
tenu de rien.
Aquarelle de Hugo Pratt
Pour la vertu et les
richesses principales que les père et mère désirent de celui qui
recherche leur fille en mariage il faut, non seulement qu'il ait un
bel entregent et soit bien matachié et enjolivé, mais outre cela
qu'il se montre vaillant à la chasse, à la guerre et à la pêche
et qu'il sache faire quelque chose, comme l'exemple suivant le
montre.
Chef cri, fers aux pieds, qui avait participé à la Rébellion du Nord-Ouest de 1885,
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885...
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885...
Un sauvage faisait
l'amour à une fille, laquelle ne pouvant avoir du gré et
consentement du père, il la ravit et la prit pour femme. Là-dessus
grande querelle et enfin la fille lui est enlevée et retourne avec
son père ; et la raison pourquoi le père ne voulait que ce sauvage
eût sa fille était qu'il ne la voulait point bailler à un homme
qui n'eût quelque industrie pour la nourrir, elle et les enfants qui
proviendraient de ce mariage. Que quant à lui il ne voyait point
qu'il sût rien faire, qu'il s'amusait à la cuisine des Français et
ne s'exerçait point à chasser ; le garçon pour donner preuve de ce
qu'il savait par effet, ne pouvant autrement ravoir la fille, va à
la chasse (du poisson) et en prend quantité, et après cette
vaillantise, la fille lui est rendue et il la reconduit en sa cabane
et ils firent bon ménage ensemble, comme ils avaient fait par le
passé.
Chef cri, fers aux pieds, qui avait participé à la Rébellion du Nord-Ouest de 1885,
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885 [Gros Ours]
photographié à l'extérieur des baraques de la Police à cheval du Nord-Ouest, Regina (Saskatchewan), 1885 [Gros Ours]
Que si par succession de
temps il leur prend envie de se séparer pour quelque sujet que ce
soit ou qu'ils n'aient point d'enfants, ils se quittent librement, le
mari se contentant de dire à ses parents et à elle qu'elle ne vaut
rien et qu'elle se pourvoie ailleurs ; et dès lors elle vit en commun
avec les autres, jusqu'à ce que quelque autre la recherche ; et non
seulement les hommes procurent ce divorce, quand les femmes leur en
ont donné quelque sujet, mais aussi les femmes quittent facilement
leurs maris quand ils ne leur agréent point : d'où il arrive
souvent que telle passe ainsi sa jeunesse, qui aura eu plus de douze
ou quinze maris, tous lesquels ne sont pas néanmoins seuls en la
jouissance de la femmes, quelques mariés qu'ils soient, car la nuit
venue les jeunes femmes et filles courent d'une cabane à l'autre,
comme font, en cas pareil, les jeunes hommes de leur côté, qui en
prennent par où bon leur semble, sans aucune violence toutefois,
remettant le tout à la volonté de la femme. Le mari fera le
semblable à sa voisine, et la femme à son voisin ; aucune jalousie
ne se mêle entre eux pour cela, et ils n'en reçoivent aucune honte,
infamie ou déshonneur.
Portraits de production commerciale, format carte de visite, d'autochtone de la Colombie-Britannique,1860
Mais lorsqu'ils ont des
enfants procréés de leur mariage, ils se séparent et quittent
rarement, à moins que ce ne soit pour un grand sujet, et lorsque
cela arrive, ils ne laissent pas de se remarier à d'autres,
nonobstant leurs enfants, desquels ils sont d'accord à qui les aura,
et demeurent d'ordinaire au père, comme j'ai vu à quelques-uns,
excepté à une jeune femme, à laquelle le mari laissa un petit fils
au maillot, et je ne sais s'il ne l'eût point encore retiré à soi,
après être sevré, si leur mariage ne se fût raccommodé, duquel
nous fûmes les intercesseurs pour les remettre ensemble et apaiser
leur débat, et ils firent à la fin ce que nous leur conseillâmes,
qui était de se pardonner l'un l'autre et de continuer à faire bon
ménage à l'avenir : ce qu'ils firent.
.
"Indians burned by the Inquisition." From Samuel de Champlain, Brief discours, 1598-1601. Manuscript
Une des grandes et plus
fâcheuses importunités qu'ils nous donnaient au commencement de
notre arrivée en leur pays, était leur continuelle poursuite et
prière de nous marier, ou du moins de nous allier avec eux, et ils
ne pouvaient comprendre notre manière de vie religieuse ; à la fin
ils trouvèrent nos raisons bonnes et ne nous en importunèrent plus,
approuvant que nous ne fissions rien contre la volonté de notre bon
Père Jésus ; et en ces poursuites les femmes et filles étaient,
sans comparaison, pires et plus importunes que les hommes mêmes, qui
venaient nous prier pour elles.
Gabriel Sagard (.../1636)... Le Grand voyage du pays des Hurons, 1632...
The Brave old Hendrick the great sachem or chief of the Mohawk Indians, [London, ca. 1740].
(À suivre...)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire