23 janvier
Zi-Lou-Lien mon père et ma mère mon
amour ma vie toute, il est six heures et après une nuit en grande
partie blanche je suis là, à chialer comme je n'ai peut-être plus
fait depuis la plage de Calais, c'est rien, t'en fais pas, c'est
peut-être l'alcool absorbé hier – par voie externe – à pleines
compresses, ces voitures stridentes menant ici jusqu'à ma cretonne
l'idée de mort et de gâchis, peut-être simplement, comme au seuil
des grands instants, l'instant d'immanence de la vérité, je sais
pas, j'avais des mots tout à l'heure en foule dans le cœur, pressés
comme les larmes qui -merde- me dégoulinent sur la liquette locale,
une vraie combinaison de nonnette, -et puis- ne m'en reviennent que
ces trois JE T'AIME, Julien, Julien, sois là, ne me quitte pas,
jamais, j'ai besoin de toi pour revivre, je voudrais seulement que
ces quelques heures où je m'absente un peu de toi nous soudent à
jamais, tous deux bien serrés comme dans les nuits récentes, et
même si devaient revenir les nuits à moitié morts, à moitié
tronqués de Nous, soudent le cercle de l'osselet, nous y rivant toi
moi pour l'éternité des éternités.
Pardon Zi, pour tout ce qui dans cette
décennie m'a empêchée d'être la Sarrazine, pour mes maussaderies,
mes maux, mes ivresses, mes caprices, mes distractions, mes rognes,
je ne sais pas encore aimer aussi bien que toi, tu es moi et je
m'aime ; mais j'oublie, parfois, que je suis toi et le « tu »
appelle les mots injustes, cruels, les évidences où, si tu n'as pas
raison, tu n'y es pour rien ; je sais, Zi, ton amour si pur et
si immense que le mien s'étrangle parfois de honte. Je reviendrai
tout à l'heure, certainement... comme disait le gars hier, c'est de
la géométrie, c'est aussi de la mathématique générale, je
reviendrai. Mais, flirter avec la mort étant quand même de plus en
plus risqué pour moi, je veux te dire que ce ne pourra jamais être
qu'un flirt, une passade plus ou moins longue et sommeillante et que
je t'attends, comme tu m'attends, de l'autre côté du chronomètre.
Anick.
Albertine Sarrazin (1937-1967)
1 commentaire:
... Je laisse passer mon tour !...
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