La fin des "vrais travailleurs" immigrés en Algérie, c'était il y a cinquante ans...
Bon anniversaire à l'Algérie qui n'en pouvait plus, désormais, d'accueillir "toute la misère du monde"...
[*]
Je suis Bônoise. Les soldats sont venus. Ils ont pris mon frère et mon père. Mais, on s'est sauvés, on est allés à la montagne. On a trouvé des djounoud (1) qui nous ont emmenés à la frontière de la Tunisie. Il fallait pas faire de bruit, pas chanter, rien. Il fallait marcher. Il fallait pas trop manger ni trop boire, parce qu'il y avait pas beaucoup. Il y a eu une attaque. Tous les petits ont été rassemblés d'un côté, et les parents par là. Nous on a passé. On nous a dit que les grands ils avaient été obligés de retourner en Algérie... J'ai pas de nouvelles. Les responsables du Front, ils savent pas.
(1) Soldats algériens.
[**]
Mabrouka Bent Mohamed,
10 ans, originaire de Metlata ; Enregistré en arabe
Il y a longtemps que je
suis partie de Métlata. Je sais pas combien... Je suis venue seule
par la montagne parce que les Français, ils tuent avec du feu. Mon
cousin a eu la poitrine écrasée. Mon père a été tué pendant
qu'il faisait sa prière. Quand je me suis sauvée, j'ai perdu ma
mère, je l'ai pas vue, je sais pas ce qu'elle est devenue. Les
autres du village, ils ont pris une direction, et moi, je me suis
trouvée seule. J'étais perdue dans la grande montagne. Des djounoud
m'ont vue et m'ont prise avec eux. Heu... chez nous les Français,
ils ont brûlé nos gourbis, puis, ils ont déchiré notre linge.
Et il nous restait plus
que ce qu'on portait... ils nous frappaient avec des grenades. Ils
cassaient notre vaisselle et nos coffres. Et nous on se sauvait, et
les avions qui nous frappaient aussi. Et mon frère il est tombé, il
est mort. Je suis arrivée à Gardimaou (1). Il fait froid et les
distributions il y en n'a pas assez. Et puis on entend encore les
avions de la France, et puis, il y a pas pour jouer, et le canon, et
les tout petits qui pleurent toujours. Tout ça !
(1) Village tunisien situé près de la frontière
[*]
Lamine M'Saria Ben
Salah, 15 ans, originaire de Souk-Ahras ; Enregistré en
arabe
Je suis de Souk-Ahras, de
la ville. J'ai un peu étudié à la Médersa. Un jour, je rentrais
chez moi, j'ai trouvé mes frères tués et la maison (1)
dispersée... Puis je suis allé au douar Ain-Nechma et j'ai trouvé
que tous mes cousins étaient tués. Alors, on s'est sauvés en
Tunisie.
Quand ils sont venus, ils
ont encadré, ils ont attrapé un et, un devant, un derrière, un de
chaque côté, ils le frappaient et ils l'ont tué d'un coup de
faucille ; ils l'ont frappé là, et puis ils ont brûlé le corps,
et ils ont brûlé tous les gourbis. Nous on savait plus où aller.
Alors, un voisin, il nous a dit : « Venez dormir chez moi ».
Dans la nuit on a pris la décision de partir en Tunisie. Je sais
pas, quand même, pourquoi ils ont fait tout ça les Français... Ils
nous avaient dit : « Vous donnez à manger aux fellagas ! »,
« les fellagas » c'est-à-dire les moudjahidines. Quand on
s'est sauvé, les soldats nous ont tiré dessus. Ils ont pris à
partie les réfugiés et lançaient sur eux des obus de leur
artillerie. Lorsque nous avons pris la route goudronnée, on avait
trouvé un barrage. Nous nous sommes camouflés, et quand ils ont
levé le barrage, nous avons pu continuer notre route jusqu'à
Tajerouine. Nous sommes restés quinze jours, puis on a été au Kef.
(1) C'est à dire les femmes de la maison.
(1) C'est à dire les femmes de la maison.
[*]
Embarek Boumezine, 10
ans, originaire de La Calle ; Enregistré en arabe
Avant de venir à Tunis,
un combat a eu lieu devant moi, à côté de la Calle, la population
contre les Français. Un grand combat. Les Français ils sont venus
au douar pour battre les gens. Les gens se sont sauvés mais pas des
enfants, ils les ont tués et aussi des vieux, ils les ont tués ;
des vieux, et les enfants. Moi je me sauvais et le blindé m'a
poursuivi. Je suis descendu dans l'oued et il tirait sur moi avec du
feu. Je me suis caché dans l'oued. Ils ne m'ont pas touché, puis
quand le combat a fini, ils sont partis. Je suis remonté et je n'ai
pas vu ni soldats, ni Européens, ni autos, ni blindés. Puis quand
je rejoignais le douar, j'ai vu de loin les soldats, ils frappaient
les habitants, alors je me sauvais et je suis venu en Tunisie, ici.
J'avais beaucoup peur et beaucoup faim parce que je suis venu seul.
J'ai rencontré le Croissant Rouge qui m'a amené ici à la Maison
d'enfants. Demain je veux devenir... ministre ou instituteur... caïd
ou président ou... gendarme ou... caïd. A cette heure, .louanges à
Dieu, je suis bien, il ne me manque rien. J'apprends à lire, je suis
habillé, je mange. Il ne me manque rien, puisque mon père et ma
mère ils sont morts et que je peux plus les avoir.
Il ne me manque rien.
[*]
Abdelhamid Bouklatem,
11 ans, originaire de Souk-Ahras. Maison d'enfants à Ariana (près
de Tunis) ; Écrit en arabe
C'est la guerre entre la
France et l'Algérie. L'Algérie, elle s'était déjà révoltée le
8 mai [1945], je l'ai entendue dire par mon instituteur. Il a dit
vous êtes la jeunesse de l'Algérie et chacun de vous sera l'un
ingénieur, l'autre administrateur et ces charges vous les assurerez
dans l'avenir. Vous serez des hommes utiles à votre pays et vous
serez bien éduqués dans les pays étrangers, et chacun de vous sera
plus éduqué que l'autre.
La France a dit aux
Algériens faites sortir de chez nous les Allemands, et les soldats
de la République Algérienne ont fait sortir les Allemands de son
pays et elle a retrouvé l'indépendance. Après la France a trahi
les Algériens et les tue avec un armement considérable. Dans ma
ville beaucoup se sont sauvés de la tuerie mais la France a tué 845
Algériens.
Et la France mange la
viande de porc et elle dit quelle bonne viande que cela ! Et ils sont
assaillis par les soldats Algériens et chacun d'eux dit Maman ! par
la peur de l'A.L.N.
Le Salut sur tous les
combattants Algériens car ils combattent pour nous. Et nous serons
vraiment la jeunesse Algérienne en apprenant à lire, à écrire et
à être bien éduqués.
[**]
J'habitais dans la
« Chaouiya ». Je sais que... c'était avec mon père et
ma mère. Mais, avant de passer, les Français les ont pris tous les
deux. (On lui demande où ils se trouvent maintenant.) Je sais pas.
Ils ont attaché mon père à l'arbre. Ils le remplissaient de
terre... de la terre dans sa bouche, son nez, ses oreilles. Et ils
voulaient le tuer... Ils l'ont pris et... on ne sait plus ce qu'il
devenu... Nous on s'est sauvé et nous sommes venus à Gardimaou.
Nous sommes venus par la montagne. Moi, je suis entrée dans une
rivière sans m'en rendre compte, et cette rivière était en crue et
la pluie tombait sur moi, et hé ! les oiseaux chantaient eux ! ..
et... et... les insectes sous moi, les insectes. Maintenant... je me
rappelle... mon petit frère dormait dans un lit et les soldats lui
ont mis une arme à feu dans la bouche, et la balle a cassé la
tête... de... de mon petit frère... Et puis alors... mon frère
Madjid a été pris par les soldats, ils voulaient l'égorger. Et
nous, et nous … On s'est sauvé et on a trouvé une rivière. Ah !
je sais pas ce qu'il leur a pris aux soldats français !...
Les djounoud de l'armée
de libération m'ont amenée ici.
[*]
Mostefa Bellaïd, 10
ans, originaire de Tébessa. Maison d'enfants « Yasmina » ;
Enregistré en arabe
Père et mère morts. Ma
mère elle préparait le thé les militaires sont arrivés. Ils l'ont
tuée avec des balles et mon père qu'était dehors en train de faire
ses ablutions il s'est retourné et ils l'ont abattu. Moi j'étais à
côté de ma mère. Les Français ils sont venus pour nous prendre du
blé. Je me suis sauvé avec mon frère qui avait huit ans, moi j'en
avais sept ans, enfin je crois. Pendant qu'on se sauvait ils ont
abattu mon frère. j'ai reçu une balle à la jambe gauche derrière
mon genou. Je suis tombé, ils m'ont attrapé. Ils étaient trois,
m'arrêter, deux étaient grands et un petit. Ils m'ont pris et ils
m'ont amené où les autres étaient assis. Ils ont posé mon bras et
ma main sur un fourneau à pétrole allumé et m'ont brûlé. Ils
m'ont relâché. Ça m'a fait mal. J'ai pleuré beaucoup parce que ça
me faisait beaucoup mal. Après les maquisards m'ont vu et m'ont
rapatrié vers Tunis. Les Français m'ont fait ça parce qu'ils m'ont
vu me sauver. Je me suis sauvé parce que j'avais peur d'eux. J'avais
peur qu'ils me tuent et que je suis plus vivant. Je ne sais même pas
pourquoi les militaires français viennent marquer après ils
viennent les bombarder. Sur le gourbi où j'habitais ils avaient
marqué Et. Ils ont aussi écrit mon frère et ma mère, mon
père et moi. Après l'A.L.N. m'a emmené ici il y avait des familles
tunisiennes qui prenaient des enfants algériens. Quand ils m'ont
brûlé une heure après ils ont parti, moi j'étais resté assis. Ma
balle de la jambe a été soignée par un soldat français le tout
petit. Il n'a rien fait pour mon bras. J'ai marché une nuit seul.
J'ai dormi mon bras je l'ai couvert par mes habits. Le sang coulait
ça me faisait mal beaucoup. J'ai passé une nuit sous l'arbre je
n'ai rien mangé. Après j'ai marché. Notre armée m'a vu. Ils m'ont
pris. Ils m'ont amené en Tunisie. Ils m'ont mis un pansement ils
m'ont dit « qu'est ce tu as ? » j'ai dit « ils m'ont brûlé. »
Ils m'ont dirigé dans un hôpital. Ils ont posé mon bras sur mon
ventre ils ont enlevé de la viande de mon ventre. Je suis resté un
an à l'Hôpital. Je suis resté sept jours chez les gens à Tunis
dans une famille. Après l'Assistance Sociale Algérienne m'a pris et
m'a amené à Yasmina. Ici à Yasmina je suis chef de groupe. J'ai
quinze enfants dans mon groupe. Je chante avec les enfants des
chants. Je sais travailler le plâtre, avec ma main brûlée je tiens
le plâtre et je travaille avec l'autre. Une fois indépendants, je
resterai avec l'instituteur et les autres enfants parce que je n'ai
pas où aller. Je veux être djoundi pour combattre la France parce
qu'elle m'a brûlé. Je les brûlerai comme ils m'ont brûlé. Je ne
brûlerai pas un enfant parce qu'ils m'ont rien fait. Ceux qui m'ont
.brûlé je leur ferai souffrir et je les égorgerai je les oublierai
jamais ceux m'ont brûlé même s'ils viennent me dire pardon je leur
pardonnerai pas.
[*]
Souleima Aquila Bent
Tahar, 8 ans. Maison de fillettes « Djamila Bouhired » ;
Enregistré en arabe
Ils sont venus dans ma
maison les soldats français. Mon père était debout, on le frappa à
la tête, il s'est écroulé, le sang lui couvrait le visage ; ma
mère s'est sauvée. Je me suis précipitée sur ses traces en
criant : « Maman ! Maman ! Maman ! On a tué mon père ! »
Et après, ils ont obligé ma mère et moi à danser toutes nues
devant le corps de mon père. Sur la tête de mon père affectionné
que les soldats français nous ont obligé à faire ça !
[**]
Fatima Lealli, 9 ans.
Maison de fillettes « Dar Hassiba » à Méhédia, prés
de Rabat ; Enregistré en arabe
(Elle dit ne pas savoir
d'où elle est) . ...mais, je suis algérienne. Je suis venue à
l'école pour lire. Là-bas nous n'avons pas d'argent. Mon père est
pauvre, j'ai huit frères et sœurs. Avant d'être ici, j'étais avec
les réfugiés à la frontière. J'ai venu ici il y a deux ans.
Maintenant, on me laisse pas aller en Algérie, les Français. Un
jour, j'ai vu, en sortant de l'école, ils ont trouvé un homme, ils
l'ont tué, je me rappelle, j'avais cinq ans. Moi, je voudrais
apprendre l'anglais pour être institutrice. Vous avez vu ma poupée
? Je la frappe si elle est pas sage. Mais si elle est sage, je lui
dit : il était un lapin, il a vu en l'air, il est devenu
aveugle, il a frappé son petit, il est devenu maigre, puis il a
frappé sa fille avec le bâton, le bâton est revenu sur elle et l'a
frappé. Le lapin était mort. Je l'ai inventée cette histoire ! Hi
! hi ! hi ! J'aime bien les lapins. J'aime aussi les belles robes.
J'en voudrais une.
[**]
[*] Illustrations issues de : Grégory Jarry & Otto T. ; Petite Histoire des Colonies Françaises, Tome 3 [sur 4], Éditions FLBLB, 2009
[**] Illustrations issues de : Les enfants d'Algérie : témoignages et dessins d'enfants réfugiés en Tunisie, en Libye et au Maroc ; Éditions François Maspero, coll. Voix, n°6 ; Paris, 1962...
Les textes de ce post sont tous tirés de cet ouvrage...
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