Dessin de Tardi pour la série : Le cri du peuple
[... Joli mois de mai pour les Mouettes... ... ...]
« Nous nommes d'honnêtes gens ; c'est par les lois ordinaires que justice sera faite. Nous n'aurons recours qu'à la loi. »
« Nous nommes d'honnêtes gens ; c'est par les lois ordinaires que justice sera faite. Nous n'aurons recours qu'à la loi. »
A. Thiers à l'Assemblée Nationale, 22 mai 71
« Je puis affirmer que le nombre des exécutions a été très restreint. »
Mac-Mahon. Enquête sur le 18 mars
Képi de soldat de la Commune
L'ordre régnait à Paris. Partout des ruines, des morts, de sinistres crépitements. Les officiers tenaient le milieu de la chaussée, provocateurs, faisant sonner leur sabre ; les sous-officiers copiaient leur arrogance. Sur toutes les grandes voies les soldats bivouaquaient ; quelques-uns, abrutis par la fatigue et le carnage, dormaient en pleins trottoirs ; d'autres préparaient la soupe en chantant la chanson du pays.
Le drapeau tricolore pendait lâchement à toutes les croisées, pour éloigner les perquisitions. Les fusils, les gibernes, les uniformes s'amoncelaient dans les ruisseaux des quartiers populaires, jetés par les fenêtres ou apportés la nuit par les habitants terrifiés. Sur les portes, des femmes d'ouvriers assises, la tête dans les poings, regardaient fixement devant elles, attendant un fils ou un mari qui ne devait pas revenir.
Les émigrés de Versailles, les immondes que roulent les victoires césariennes, assourdissaient les boulevards. Depuis le mercredi, cette populace se ruait aux convois de prisonniers, acclamait les gendarmes à cheval - on vit des dames baiser leurs bottes - applaudissait aux tapissières sanglantes, accaparait les officiers qui racontaient leurs exploits à la terrasse des cafés, très entourés par les filles. Les pékins luttaient de désinvolture avec les militaires. Tel qui n'avait pas dépassé la rue Montmartre décrivait la prise du Château-d'Eau, se vantait d'avoir fusillé sa douzaine de fédérés. Des femmes élégantes allaient, en partie fine, regarder les cadavres et, pour jouir des valeureux morts, du bout de l'ombrelle soulevaient les derniers vêtements.
« Habitants de Paris, dit Mac-Mahon, le 28, Paris est délivré ! Aujourd'hui la lutte est terminée ; l'ordre, le travail et la sécurité vont renaître. »
« Paris délivré » fut écartelé à quatre commandements : Vinoy, Ladmirault, Cissey, Douai, et replacé sous le régime de l'état de siège levé par la Commune. Il n'y eut à Paris qu'un Gouvernement, l'armée qui massacrait Paris. Les passants furent contraints de démolir les barricades, et tout signe d'impatience puni d'arrestation, toute imprécation, de mort. On afficha que tout détenteur d'une arme serait immédiatement traduit devant un conseil de guerre ; que toute maison de laquelle on tirerait serait livrée à l'exécution sommaire. À onze heures, les établissements publics durent fermer ; seuls les officiers en uniforme eurent la rue libre ; la nuit, les patrouilles de cavaliers sillonnèrent la ville. L'entrée de Paris devint difficile, la sortie impossible. Les maraîchers ne pouvant aller et venir, les vivres faillirent manquer.
La lutte terminée, l'armée se transforma en un vaste peloton d'exécution. En juin 48, Cavaignac avait promis le pardon et il massacra ; M. Thiers avait juré par les lois, il laissa carte blanche à l'armée. Il était « pour la plus grande rigueur », afin de pouvoir dire sa parole célèbre : « Le socialisme est fini pour longtemps. » Plus tard, il raconta que le soldat ne put être contenu ; excuse inadmissible, les plus grands massacres n'eurent lieu qu'après la bataille.
[Chez un marchand de vins de la place Voltaire, nous vimes, le dimanche matin, entrer de tout jeunes soldats, des fusiliers-marins de la classe de 1871, « Et il y a beaucoup de morts ? dîmes-nous. - Ah ! nous avons ordre de ne pas faire de prisonniers, c'est le général qui l'a dit. (Ils ne purent nous nommer leur général.) S'ils n'avaient pas mis le feu, on ne leur aurait pas fait ça, mais comme ils ont mis le feu, il faut tuer. » (Textuel). Puis, à son camarade : • Ce matin, là (et il montrait la barricade de la mairie), il en est venu un en blouse. « Vous n'allez pas me fusiller peut-être, qu'il a dit. - Oh ! que non. » Nous l'avons fait passer devant nous, et pan... pan..., ce qu'il gigotait. »]
Cliché de André Adolphe Eugène Disdéri (1819-1889) ; cadavres de "communards"
Le dimanche 28, la lutte terminée, plusieurs milliers de personnes ramassées aux environs du Père-Lachaise furent amenées dans la prison de la Roquette. Un chef de bataillon se tenait à l'entrée, toisait les prisonniers à sa fantaisie et disait : A droite ! ou : A gauche ! Ceux de gauche étaient pour être fusillés. Leurs poches vidées, on les alignait devant un mur et on les tuait. En face du mur, deux prêtres marmottaient les prières des agonisants.
Du dimanche au lundi matin, dans la seule Roquette, on massacra dix-neuf cents personnes [Doc. XXV]. Le sang coulait à force dans les ruisseaux de la prison. Mêmes égorgements à Mazas, à l'École militaire, au parc Monceau.
Plus sinistres, peut-être, les cours prévôtales où l'on feignait de juger. Elles n'avaient pas surgi au hasard, suivant les fureurs de la lutte. Bien avant l'entrée dans Paris, Versailles en avait fixé le nombre, le siège, les limites, la juridiction [Doc. XXVI]. Une des plus célèbres siégeait au Châtelet, présidée par le colonel de la garde nationale, Louis Vabre, celui des 31 Octobre et 18 Mars, puissante brute, à taille de cent-gardes. L'histoire possède les procès-verbaux des massacres de l'Abbaye, où les prisonniers, d'ailleurs très connus, purent se défendre. Les Parisiens de 1871 n'eurent pas la justice de Maillard ; à peine est-il trace de quatre ou cinq dialogues. Les milliers de captifs emmenés au Châtelet étaient d'abord parqués dans la salle, sous le fusil des soldats ; puis, poussés de couloir en couloir, ils débouchaient comme des moutons sur le foyer, où Vabre trônait entouré d'officiers de l'armée et de la garde nationale de l'ordre, le sabre entre les jambes, quelques-uns le cigare aux dents. L'interrogatoire durait un quart de minute. « Avez-vous pris les armes ? Avez-vous servi la Commune ? Montrez vos mains ? » Si l'attitude était résolue ou la figure ingrate, sans demander le nom, la profession, sans marquer sur aucun registre, on était classé. « Vous ? », disaient-ils au voisin, et ainsi de suite, jusqu'au bout de la file. Ceux qu'un caprice épargnait étaient dits ordinaires et réservés pour Versailles. Personne n'était libéré.
On livrait tout chaud les classés aux exécuteurs, qui les emmenaient à la caserne Lobau [Doc. XXVII]. Là, les portes refermées, les gendarmes tiraient sans grouper leurs victimes. Quelques-unes, mal touchées, couraient le long des murs. Les gendarmes leur faisaient la chasse, les canardaient jusqu'à extinction de vie. Édouard Moreau périt dans une de ces fournées. Surpris rue de Rivoli, il avait été conduit au Châtelet. Sa femme l'accompagna jusqu'à la porte de la caserne Lobau et entendit les chassepots qui tuaient son mari.
Cliché de André Adolphe Eugène Disdéri (1819-1889) ; cadavres de "Communards"
Au Luxembourg, les victimes de la cour prévôtale étaient d'abord jetées dans une cave en forme de long boyau, où l'air ne pénétrait que par une étroite ouverture. Les officiers siégeaient dans une salle du rez-de-chaussée garnie de brassardiers, d'agents de police, de bourgeois privilégiés en quête d'émotions fortes. Comme au Châtelet, interrogatoire nul et défense inutile. Après le défilé, les prisonniers retournaient dans une cave ou bien étaient conduits dans le jardin ; là, contre la terrasse de droite, on les fusillait. Le mur ruisselait de cervelles et les soldats piétinaient dans le sang.
Les assassinats prévôtaux se passaient de la même sorte à l'École polytechnique, à la caserne Dupleix, aux gares du Nord, de l'Est, au Jardin des Plantes, dans plusieurs casernes, concurremment avec les abattoirs sans phrases. Les victimes mouraient simplement, sans fanfaronnade [Doc. XXVIII]. Beaucoup croisaient les bras, quelques-uns commandaient le feu. Des femmes, des enfants suivaient leur mari, leur père, criant : « Fusillez-nous avec eux ! » On vit des femmes, étrangères à la lutte mais que ces boucheries affolaient, tirer sur des officiers, puis se jeter contre un mur, attendant la mort [Doc.XXIX].
Pour les officiers, la plupart bonapartistes, les républicains étaient des victimes de choix. Le général de Lacretelle donna l'ordre de fusiller Cernuschi qui avait donné deux cent mille francs à la campagne antiplébiscitaire [Doc. XXX]. Le docteur Tony Moilin, orateur des réunions publiques, fut condamné à mort, non, lui dit-on, qu'il eût commis un acte que le méritât, mais parce qu'il était républicain, un « de ces gens dont on se débarrasse [Doc. XXXI] ». Les républicains de la Gauche dont la haine contre la Commune était le mieux démontrée n'osèrent pas mettre le pied à Paris de peur d'être compris dans l'égorgement.
Cliché de Eugène Ernest Appert (1830-1891) ;
Crimes de la Commune : Assassinat de 62 otages, le 26 mai 1871 à Belleville ; Photomontage
Tout le monde n'avait pas la chance de la cour prévôtale ou des hasards de l'abattoir. On en tua beaucoup ; dans la cour de leur maison, devant leur porte, sur place, comme le docteur Napias-Piquet, fusillé dans la rue de Rivoli et dont le cadavre fut abandonné toute la journée non sans que les soldats l'eussent détroussé de ses bottes, comme un président du club de Saint-Sulpice qui fut amené dans la rue, en robe de chambre. L'armée, n'ayant ni police ni renseignements précis, tuait à tort et à travers uniquement guidée par les fureurs des brassardiers, les dénonciations, même des fonctionnaires qui avaient des tares à cacher [Doc. XXXII]. Le premier venu qui marquait un passant d'un nom révolutionnaire le faisait fusiller. À Grenelle, ils fusillèrent un faux Billioray [Doc. XXXIII], malgré ses protestations désespérées ; place Vendôme, un Brunel dans les appartements de Mme Fould [Doc. XXXIV]. Le Gaulois publia le récit d'un chirurgien militaire qui connaissait Vallès et avait assisté à son exécution [Doc. XXXV]. Des témoins oculaires affirmèrent avoir vu fusiller Lefrançais, le jeudi, rue de la Banque. Le vrai Billioray fut jugé au mois d'août ; Vallès, Brunel et Lefrançais gagnèrent l'étranger. Des fonctionnaires de la Commune furent ainsi fusillés, et souvent plusieurs fois dans la personne d'individus qui leur ressemblaient plus ou moins.
Varlin, hélas, ne devait pas échapper. Le dimanche 28, place Cadet, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l'achemina vers les Buttes où se tenait le général de Laveaucoupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin qui avait risqué sa vie pour sauver les otages de la rue Haxo, fut traîné une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n'avait eu que des pensées fraternelles, devint un hachis de chairs, l'oeil pendant hors de l'orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l'état-major, il ne marchait plus ; on le portait. On l'assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coups de crosse. Sicre vola sa montre et s'en fit une parure [Doc. XXXVI].
Le Mont des Martyrs n'en a pas de plus glorieux. Qu'il soit, lui aussi, enseveli dans le grand coeur de la classe ouvrière. Toute la vie de Varlin est un exemple. Il s'était fait tout seul par l'archarnement de la volonté, donnant, le soir, à l'étude les maigres heures que laisse l'atelier, apprenant, non pour se pousser aux honneurs comme les Corbons, les Tolains, mais pour instruire et affranchir le peuple. Il fut le nerf des associations ouvrières de la fin de l'Empire. Infatigable, modeste, parlant très peu, toujours au moment juste et, alors éclairant d'un mot la discussion confuse, il avait conservé le sens révolutionnaire qui s'émousse souvent chez les ouvriers instruits. Un des premiers au 18 Mars, au labeur pendant toute la Commune, il fut aux barricades jusqu'au bout. Ce mort-là est tout aux ouvriers.
Les journalistes versaillais crachèrent sur son cadavre, dirent qu'on avait trouvé sur lui des centaines de mille francs, bien que le rapport officiel eût dit : « un porte-monnaie contenant 284 fr 15 ». Rentrés à Paris derrière l'armée, ils la suivaient comme des chacals et groinaient dans les morts. Oubliant que dans les guerres civiles il n'y a que les morts qui reviennent, tous ces Sarceys n'avaient qu'un article : Tue ! Ils publiaient les noms, les gîtes de ceux qu'il fallait fusiller, ne tarissaient pas d'inventions pour entretenir la fureur du bourgeois. Après chaque fusillade, ils criaient : Encore ! « ll faut faire la chasse aux communeux ». (Bien public) - « Ces hommes qui ont tué pour tuer et pour voler, ils sont pris et on leur répondrait : Clémence ! Ces femmes hideuses qui fouillaient à coups de couteau la poitrine d'officiers agonisants, elles sont prises et on dirait : Clémence ! » (Patrie) - « Qu'est-ce qu'un républicain ? Une bête féroce... Allons, honnêtes gens ! un coup de main pour en finir avec la vermine démocratique et internationale. » (Figaro) - « Le règne des scélérats est fini. On ne saura jamais par quels raffinements de cruauté et de sauvagerie ils ont clos cette orgie du crime et de la barbarie... Deux mois de vol, de pillage, d'assassinats et d'incendie. » (Opinion Nationale) - « Pas un des malfaiteurs dans la main desquels s'est trouvé Paris pendant deux mois ne sera considéré comme un homme politique : on les traitera comme des brigands qu'ils sont, comme les plus épouvantables monstres qui se soient vus dans l'histoire de l'humanité. Plusieurs journaux parlent de relever l'échafaud détruit par eux, afin de ne pas même leur faire l'honneur de les fusiller. » (Moniteur universel) - Un journal médical anglais demanda, le 27 mai, la vivisection des prisonniers.
Maximilien Luce (1858-1941) ; Une rue de Paris en mai 1871, 1903-1905
Pour exciter les soldats, s'il en était besoin, la presse leur jeta des couronnes. « Quelle admirable attitude que celle de nos officiers et de nos soldats, disait le Figaro. Il n'est donné qu'au soldat français de se relever si vite et si bien. - « Quel honneur ! s'écriait le Journal des Débats, notre armée a vengé ses désastres par une victoire inestimable. »
Ainsi l'armée se vengeait de ses désastres sur Paris. Paris était un ennemi comme la Prusse, et d'autant moins à ménager que l'armée avait son prestige à reconquérir. Pour compléter la similitude, après la victoire il y eut un triomphe. Les Romains ne le décernaient jamais après les luttes civiles. M. Thiers fit parader les troupes dans une grande revue, sous l'oeil des Prussiens auxquels il jetait les cadavres des Parisiens comme une revanche.
Alfred Henri Darjou (1832-1874) ; Éxécution de "Communards" au cimetière du Père-Lachaise, 28 mai 1871
Quoi d'étonnant qu'avec de pareils chefs la fureur du soldat atteignît à une ivresse telle que la mort la soûlait encore. Le dimanche 28, le long de la mairie du XIe où étaient adossés des cadavres, nous vîmes un fusilier marin dévider de sa baïonnette les boyaux qui coulaient du ventre d'une femme ; des soldats, sur la poitrine des fédérés s'amusaient à mettre des écriteaux : Assassin, voleur, ivrogne, et. dans leur bouche, enfonçaient des goulots de bouteilles.
Comment expliquer ces raffinements de sauvagerie ? Le rapport officiel de Mac-Mahon n'accuse que 877 morts versaillais depuis le 3 avril jusqu'au 28 mai. La fureur versaillaise n'avait donc pas l'excuse des représailles. Quand une poignée d'exaspérés, pour venger des milliers de leurs frères, fusillent soixante-trois otages [Quatre à Sainte-Pélagie, six à la Roquette, quarante-huit rue Haxo, quatre aux environs de la Petite Roquette] sur près de trois cents qu'ils ont entre les mains, la réaction se voile la face et proteste au nom de la justice. Que dira donc cette justice de ceux qui, méthodiquement, sans anxiété sur l'issue de la lutte, et surtout la lutte terminée, fusillèrent vingt mille personnes, dont les trois quarts au moins n'avaient pas combattu. Encore, quelques éclairs d'humanité traversèrent les soldats et l'on en vit revenir des exécutions, tête basse. Les officiers bonapartistes ne mollirent pas dans leur férocité. Même après le dimanche, ils abattaient eux-mêmes des prisonniers ; le courage des victimes, ils l'appelaient « insolence, résolution d'en finir avec la vie plutôt que de vivre en travaillant ». L'inassouvissable cruel, c'est Prudhomme.
Cliché de André Adolphe Eugène Disdéri (1819-1889) ; La colonne Vendôme renversée
« Le sol est jonché de leurs cadavres, télégraphia M. Thiers à ses préfets ; ce spectacle affreux servira de leçon. » Il fallut malgré tout mettre un terme à cette leçon de choses. La peste, non la pitié, venait. Des myriades de mouches charbonneuses s'envolaient des cadavres décomposés. Les rues se couvraient d'oiseaux morts. L'Avenir Libéral, louant les proclamations de Mac-Mahon, lui avait appliqué les paroles de Flechier : « Il se cache, mais sa gloire le découvre. » La gloire du Turenne de 1871 se découvrait jusque dans la Seine marbrée par une longue traînée de sang qui passait sous la deuxième arche du pont des Tuileries. Les morts de la semaine sanglante se vengeaient, empestant les squares, les terrains vagues, les maisons en construction qui avaient servi de décharge aux abattoirs et aux cours prévôtales. « Qui ne se rappelle, disait le Temps, s'il ne l'a vu, ne fussent que quelques minutes, le square, non, le charnier de la tour Saint-Jacques. Du milieu de ces terres humides fraîchement remuées par la pioche, sortaient çà et là des têtes, des bras, des pieds et des mains. Des profils de cadavres s'apercevaient à fleur de terre, c'était hideux. Une odeur fade, écoeurante, sortait de ce jardin. Par instants, à certaines places, elle devenait fétide. » Au parc Monceau, devant les Invalides, fermentés par la pluie et le soleil, les cadavres crevaient leur mince linceul de terre. Un très grand nombre restaient encore à l'air, uniquement saupoudrés de chlore ; au faubourg Saint-Antoine on en voyait des tas « comme des ordures », disait un journal de l'ordre ; à l'École polytechnique, ils couvraient cent mètres de long sur trois de haut ; à Passy, qui n'était pas un des grands centres d'exécution, il y en avait onze cents près du Trocadéro. Trois cents qui avaient été jetés dans les lacs des buttes Chaumont étaient remontés à la surface et, ballonnés, promenaient leurs effluves mortels. La gloire de Mac-Mahon se découvrait trop. Les journaux s'effrayèrent. « Il ne faut pas, dit l'un, que ces misérables qui nous ont fait tant de mal de leur vivant, puissent nous en faire encore après leur mort. » Ceux-là mêmes qui avaient attisé le massacre crièrent : Assez !
« Ne tuons plus ! dit le Paris-Journal du 2 juin, même les assassins, même les incendiaires ! Ne tuons plus ! Ce n'est pas leur grâce que nous demandons, c'est un sursis. »
« Assez d'exécutions, assez de sang, assez de victimes ! » disent le National et l'Opinion nationale : « On demande un examen sérieux des inculpés. On ne voudrait voir mourir que les vrais coupables. »
Les exécutions se ralentirent et le balayage commença. Des voitures de tout genre, tapissières, chars à bancs, omnibus ramassèrent les cadavres dans tous les quartiers. Depuis les grandes pestes on n'avait pas vu de telles charretées de viande humaine. Aux contorsions de la violente agonie, il fut aisé de reconnaître que beaucoup, enterrés vifs, avaient lutté contre la terre. Des cadavres étaient si putréfiés qu'il fallut, en wagons clos, les conduire a grande vitesse dans des fosses à chaux.
Les cimetières de Paris absorbèrent leur plein. Les victimes innombrées, côte à côte, sans chaussures, emplirent d'immenses fosses au Père-Lachaise, à Montmartre, à Montparnasse, où le souvenir du peuple va les chercher chaque année. D'autres furent portées à Charonne, Bagnolet, Bicêtre, Bercy, où on utilisa les tranchées creusée pendant le siège et jusqu'à des puits [Doc. XXXVII]. « Là, rien à craindre des émanations cadavériques, disait la Liberté de Girardin ; un sang impur abreuvera en le fécondant le sillon du laboureur. Le délégué à la guerre décédé pourra passer ses fidèles en revue à l'heure de minuit ; le mot d'ordre sera Incendie et Assassinat. » Des femmes debout sur le bord des tranchées et des fosses cherchaient à se reconnaître dans ces débris. La police attendait que leur douleur les trahît afin d'arrêter « ces femelles d'insurgés ». Longtemps on entendit sur ces fosses les hurlements de chiens fidèles, ces bêtes cette fois si supérieures aux hommes.
L'inhumation de cette armée de morts dépassant toutes les forces, on essaya de dissoudre. Les casemates avaient été bourrées de cadavres ; on répandit des substances incendiaires et on improvisa des fours crématoires ; ils rendirent une bouillie. Aux buttes Chaumont on dressa un bûcher colossal inondé de pétrole et pendant des journées, une fumée épaisse, nauséabonde empanacha les massifs.
Les massacres en masse durèrent jusqu'aux premiers jours de juin [Doc. XXXVIII] et les exécutions sommaires jusqu'au milieu de ce mois. Longtemps, des drames mystérieux visitèrent le bois de Boulogne [Doc. XXXIX]. On ne connaîtra pas le nombre exact des victimes de la semaine sanglante. Le chef de la justice militaire avoua dix-sept mille fusillés. Le conseil municipal de Paris paya l'inhumation de dix-sept mille cadavres ; mais un grand nombre de personnes furent tuées ou incinérées hors Paris ; il n'est pas exagéré de dire vingt mille, chiffre admis par les officiers.
Bien des champs de bataille ont compté plus de morts. Ceux-là du moins étaient tombés dans la fureur de la lutte. Le XIXe siècle n'a point vu un tel égorgement après le combat. II n'y a rien de pareil dans l'histoire de nos guerres civiles. La Saint-Barthélémy, Juin 48, le 2 Décembre, formeraient tout au plus un épisode des massacres de Mai. Les hécatombes asiatiques peuvent seules donner une idée de cette boucherie de prolétaires.
Telle fut la répression « par les lois, avec les lois ».
Toutes les puissances sociales applaudirent M. Thiers entreprenant de soulever le monde contre ce peuple qui, après deux mois de règne souverain et le massacre de milliers des siens, avait sacrifié 63 otages. Le 28 mai, les prêtres, ces grands consécrateurs d'assassinats, célébrèrent un service solennel devant l'Assemblée tout entière. Cinq jours auparavant, les évêques, conduits par le cardinal de Bonnechose, avaient demandé à M. Thiers de rétablir le pape dans ses États. Le Gesu s'avançait maître de la victoire et, sur le fier écusson de Paris, effaçant la nef d'espérance, plaquait le sanglant Sacré-Coeur.
XXV
... on massacra ainsi plus de dix-neuf cents personnes...
Les journaux versaillais avouèrent seize cents prisonniers enterrés au Père-Lachaise. L'Opinion Nationale du 10 juin disait :
« Nous n'avons pas voulu quitter le Père-Lachaise sans saluer d'un regard de compassion chrétienne ces tranchées profondes où ont été ensevelis, pêle-mêle, les insurgés pris les armes à la main et ceux qui n'ont pas voulu se rendre.
« Ils ont expié par un acte de justice sommaire leur criminelle folie. Que Dieu ait pitié d'eux et leur fasse miséricorde.
« Rectifions, en passant, les bruits exagérés qui ont couru au sujet des exécutions faites soit au Père-Lachaise, soit aux environs.
« Il résulte de renseignements certains, - nous oserions presque dire de relevés officiels, - qu'il n'y a eu d'enterrés dans ce cimetière que - fusillés ou tués en combattant, en tout, seize cents. »
Le récit suivant du massacre de la Roquette a été fait à l'auteur par un témoin oculaire échappé miraculeusement, M. Jacquet qui, réfugié en Angleterre, professa à Landudno chez M. John Mac-Laughlin.
« J'étais rentré chez moi le samedi soir. Le dimanche matin, traversant le boulevard du Prince-Eugène, je fus pris dans une razzia. On nous conduisit à la Roquette. Un chef de bataillon se tenait à l'entrée. Il nous toisait, puis, avec un signe de tête, disait : « A droite ! » ou « A gauche ! » Je fus envoyé à gauche. »
« Votre affaire dans le sac ! nous dirent les soldats ; on va vous fusiller, canailles ! On nous ordonna de jeter nos allumettes, si nous en avions, puis on nous fit signe de marcher.
« J'étais le dernier de la file et à côté du sergent qui nous conduisait. Il me regarda. « Qui êtes-vous ? me dit-il. - Professeur. On m'a pris ce matin au moment où je sortais de chez moi. » Sans doute mon accent, la propreté de mes vêtements le frappèrent, car il ajouta : « Avez-vous des papiers ? - Oui. - Venez ! » et il me ramena devant le chef de bataillon. « Mon commandant, dit-il, il y a erreur. Ce jeune homme a ses papiers. - Eh bien ! reprit l'officier, sans même me regarder : à droite ! »
« Le sergent m'emmena. Chemin faisant, il m'expliqua que les prisonniers conduits à gauche étaient fusillés. Déjà nous atteignions une porte à droite, quand un soldat courut après nous : « Sergent ! le commandant vous fait dire de reconduire cet homme à gauche. »
« La fatigue, le désespoir de la défaite, l'énervement causé par tant d'angoisses m'enlevaient toute force pour disputer ma vie. « - Eh bien ! fusillez-moi, dis-je au sergent, ce ne sera pour vous qu'un crime de plus ! Seulement remettez ces papiers à ma famille. » Et je me dirigeai vers la gauche.
« J'apercevais déjà une longue file d'hommes alignés contre un mur, d'autres à terre. En face d'eux, trois prêtres lisaient dans leur bréviaire les prières des agonisants. Dix pas de plus et j'étais mort. Tout à coup je fus empoigné par le bras. C'était mon sergent. Il me ramena de force devant l'officier. « Mon commandant, dit-il, on ne peut pas fusiller cet homme ! Il a des papiers ! - Voyons », dit l'officier. Je passai mon Portefeuille, qui contenait une carte d'employé au ministère du Commerce pendant le premier siège. - « A droite ! » dit le commandant.
« Nous fûmes bientôt plus de trois mille prisonniers à droite. Tout le dimanche et une partie de la nuit, les détonations retentirent à côté de nous. Le lundi matin, un peloton entra :
« Cinquante hommes ! » dit le sergent. Nous crûmes qu'on allait nous fusiller par paquets et personne ne bougea. Les soldats prirent les premiers cinquante venus. - J'étais du nombre. On nous conduisit au fameux côté gauche.
« Sur une étendue qui nous parut sans fin, nous vîmes des tas de cadavres. « Ramassez tous ces salauds, nous dit le sergent et mettez-les dans ces tapissières. » Nous relevâmes ces corps gluants de sang et de boue. Les soldats plaisantaient affreusement : « Vois donc, quelles gueules ça fait ! » et ils écrasaient du talon quelque visage. Il nous sembla que plusieurs vivaient encore. Nous le dîmes aux soldats ; mais ils répondirent
« Allons ! Allons ! va toujours ! » Sûrement, il y en a eu qui moururent en terre. Nous mîmes dans ces tapissières dix-neuf cent sept corps. »
La Liberté du 4 juin disait
« Le gouverneur de la Roquette pour la Commune et ses acolytes furent fusillés sur le théâtre même de leurs exploits.
« Pour les autres gardes nationaux arrêtés et dont le nombre s'élevait â plus de 4 000 dans ces parages, une cour martiale provisoire fut installée à la Roquette même. Un commissaire de police et des agents de police de Sûreté furent chargés du premier examen. Ceux désignés pour être fusillés étaient dirigés dans l'intérieur ; on les tuait par derrière, pendant qu'ils marchaient et on jetait leurs cadavres sur le tas voisin. Tous ces monstres avaient des figures de bandits ; les exceptions étaient à regretter. »
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Trois pétroleuses condamnées à mort; Joséphine Marchais, Léontine Suetens, Élisabeth Retife
XXVI
... le nombre, le siège, les attributions de ces cours avaient été fixés...
M. Ulysse Parent, ancien membre de la Commune, acquitté par le 3e conseil de guerre, écrivait le 19 mars 1877 à M. Camille Pelletan, directeur du Rappel.
« Votre article d'hier publié dans le Rappel vous amène à parler des cours prévôtales qui fonctionnèrent à Paris en mai 1871, et vous dites avec raison, à ce sujet, que jamais on n'a pu obtenir des différents ministres qui se sont succédé au pouvoir depuis cette époque, des déclarations précises sur leur existence, que c'est en vain que M. Clemenceau a réclamé à la tribune les documents et pièces diverses émanés de ces tribunaux d'exception ; vous ajoutez enfin, que ces « cours prévôtales » n'avaient eu, que vous sachiez, aucune existence légale.
« Laissez-moi vous donner, à ce propos, quelques renseignements qui ne sont peut-être pas sans intérêt.
« Au moment du procès des membres de la Commune devant le 3e conseil de guerre siégeant à Versailles, un certain M. Gabriel Ossude vint déposer comme témoin contre l'accusé Jourde, à l'arrestation duquel il avait contribué, déclara-t-il, en sa qualité de prévôt du VIIe arrondissement; et, comme M. le colonel Merlin, président du conseil, paraissait s'étonner qu'une semblable fonction eût été dévolue à un pékin, M. Ossude entra dans des explications très précises dont j'ai gardé bonne mémoire.
« II déclara que les cours prévôtales avaient été instituées, vers la fin de la Commune, par le Gouvernement de Versailles, en vue de l'entrée prochaine des troupes dans Paris ; que le nombre et le siège de ces tribunaux exceptionnels avaient été désignés par avance, aussi bien que les limites topographiques de leur juridiction ; que lui, M. Gabriel Ossude, avait reçu sa nomination des mains de M. Thiers, bien qu'il ne fût pourvu d'aucun grade dans l'armée, mais en tant que capitaine au 17e bataillon de la garde nationale.
« Quant aux attributions exactes afférentes à la qualité de membre des cours prévôtales, M. Ossude ne s'en expliqua guère, mais elles devaient exiger nécessairement un grand zèle, comme vous allez voir. En effet, le 30 mai, sur le bruit de mon arrestation, le sieur Ossude accourait au Luxembourg, porteur de la déclaration d'un nommé Damarey (Arthur-Oscar-Gustave-Joseph), qui affirmait que c'était bien moi, Ulysse Parent, qui « avait donné l'ordre d'incendier le quartier de la Bourse, aussi bien que de faire fusiller les otages ; que, le 24 mai, sur le boulevard Voltaire, deux cavaliers porteurs de ce dernier ordre partaient pour la Roquette, et que tout le monde disait que c'était Ulysse Parent qui venait de le donner. »
« Ce fut M. le commissaire de police Gutzviller qui recueillit la déposition mensongère de ces deux personnages ; j'en ai entre les mains le texte complet et authentique ; j'ajoute, pour finir, que le zèle déployé en cette circonstance par M. le prévôt Ossude et son digne acolyte n'eut pas l'heureuse issue qu'ils en attendaient. Au moment même où l'on me recherchait au Luxembourg, je venais d'être dirigé sur Versailles. Sans cette circonstance fortuite, je me trouverais, à cette heure, bien empêché sans doute de me dire une fois de plus, mon cher Pelletan, votre tout dévoué concitoyen et ami. »
Ulysse Parent
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Une barricade après le combat
XXVII
… du Châtelet ils étaient conduits dans la cour de la caserne Lobau.
« Du côté de l'École Militaire, la scène est en ce moment fort émouvante ; on y amène continuellement des prisonniers et leur procès est déjà terminé, ce n'est que détonations. » (Siècle, 28 mai.)
« Les cours martiales fonctionnent dans Paris avec une activité inouïe sur plusieurs points spéciaux. À la caserne Lobau, à l'École Militaire, la fusillade s'y fait entendre en permanence.
C'est le compte que l'on règle aux misérables qui ont pris part ouvertement à la lutte. » (Liberté, 30 mai.)
« Depuis le matin (dimanche 28 mai), un cordon épais se forme devant le théâtre (Châtelet) où siège en permanence une cour martiale. De temps a autre, on en voit sortir une bande de quinze à vingt individus, composée de gardes nationaux, de civils, de femmes, d'enfants de quinze à seize ans.
« Ces individus sont condamnés à mort. Ils marchent deux par deux, escortés par un peloton de chasseurs qui ouvre et ferme la marche. Ce cortège suit le quai de Gèvres et pénètre dans la caserne républicaine, place Lobau. Une minute après on entend retentir du dedans des feux de peloton et des décharges successives de mousqueterie ; c'est la sentence de la cour martiale qui vient de recevoir son exécution.
« Le détachement de chasseurs revient au Châtelet chercher d'autres condamnés. La foule paraît vivement impressionnée en entendant le bruit de ces fusillades. » (Journal des Débats, 30 mai 1871.)
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Chef communard à la colonne de juillet 1871
XXVIII
Les victimes mouraient simplement, sans fanfaronnade.
Un journal de la bourgeoisie belge des plus violents contre la Commune, l'Étoile, laissait échapper cet aveu :
« La plupart ont été au-devant de la mort, comme les Arabes après les batailles, avec indifférence, avec mépris, sans haine, sans colère, sans injure pour leurs exécuteurs.
« Tous les soldats qui ont pris part à ces exécutions et que j'ai questionnés, ont été unanimes dans leurs récits.
« L'un d'eux me disait : « - Nous avons fusillé à Passy une quarantaine de ces canailles. Ils sont tous morts en soldats. Les uns croisaient les bras, et gardaient la tête haute. Les autres ouvraient leurs tuniques et nous criaient : - Faîtes feu ! Nous n'avons pas peur de la mort.
« Pas un de ceux que nous avons fusillés n'a sourcillé. Je me souviens surtout d'un artilleur qui, à lui tout seul, nous a fait plus de mal qu'un bataillon. Il était seul pour servir une pièce de canon. Pendant trois quarts d'heure, il nous a envoyé de la mitraille et il a tué et blessé pas mal de mes camarades. Enfin, il a été forcé. Nous sommes descendus de l'autre côté de la barricade. Je le vois encore. C'était un homme solide. II était en nage du service qu'il avait fait pendant une demi-heure. « À votre tour, nous dit-il. J'ai mérité d'être fusillé, mais je mourrai en brave. »
« Un autre soldat du corps du général Clinchant me racontait comment sa compagnie avait amené sur les remparts quatre-vingt-quatre insurgés pris les armes à la main.
« - Ils se sont tous mis en ligne, me disait-il, comme s'ils allaient à l'exercice. Pas un ne bronchait. L'un d'eux, qui avait une belle figure, un pantalon de drap fin fourré dans ses bottines et une ceinture de zouave à la taille, nous dit tranquillement : - Tâchez de tirer à la poitrine, ménagez ma tête. - Nous avons tous tiré, mais le malheureux a eu la tête à moitié emportée. »
« Un fonctionnaire de Versailles me fait le récit suivant :
« - Dans la journée de dimanche, j'ai fait une excursion à Paris. Je me dirigeais près du théâtre du Châtelet, vers le gouffre fumant des ruines de l'Hôtel-de-Ville, lorsque je fus enveloppé et entrainé par le torrent d'une foule qui suivait un convoi de prisonniers.
« J'ai retrouvé en eux les mêmes hommes que j'avais vus dans les bataillons du siège de Paris. Presque tous m'ont paru être des ouvriers.
« Leurs visages ne trahissaient ni désespoir, ni abattement, ni émotion. Ils marchaient devant eux d'un pas ferme, résolu, et ils m'ont paru si indifférents à leur sort que j'ai pensé qu'ils s'attendaient à être relâchés. Je me trompais du tout au tout. Ces hommes avaient été pris le matin à Ménilmontant, et ils savaient où on les conduisait. Arrivés à la caserne Lobau, les cavaliers qui précédaient l'escorte font faire le demi-cercle et empêchent les curieux d'avancer.
« Les portes de la caserne s'ouvrent toutes grandes pour laisser passer les prisonniers et se referment aussitôt.
« Une minute n'était pas écoulée et je n'avais pas fait quatre pas, qu'un feu de peloton terrible retentit à mes oreilles. On fusillait les vingt-huit insurgés. Surpris par cette terrible détonation, je ressentis une commotion qui me donna le vertige. Mais ce qui augmenta mon horreur ce fut, après le feu de peloton, le retentissement successif des coups isolés qui devaient achever les victimes »
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Femme à Montmarte, 17 juin [?] 1871
XXIX
« ... On vit des femmes exaspérées tirer sur des officiers... »
Francisque Sarcey écrivait, dans le Gaulois du 13 juin :
« Des hommes qui sont de sang-froid, du jugement et de la parole de qui je ne saurais douter, m'ont parlé avec un étonnement mêlé d'épouvante de scènes qu'ils avaient vues, de leurs yeux vues, et qui m'ont fort donné à réfléchir.
« De jeunes femmes, jolies de visage et vêtues de robes de soie, descendaient dans la rue, un revolver au poing, tiraient dans le tas, et disaient ensuite, la mine fière, le verbe haut, l'oeil chargé de haine : « Fusillez-moi tout de suite ! » Une d'elles, qui avait été prise dans une maison d'où l'on avait tiré par les fenêtres, allait être garrottée pour être conduite et jugée à Versailles.
« Et se campant contre un mur, les bras ouverts, la poitrine au vent, elle semblait solliciter, provoquer la mort.
« Toutes celles qu'on a vu exécutées sommairement par des soldats furieux, sont mortes l'injure à la bouche, avec un rire de dédain, comme des martyres qui accomplissent, en se sacrifiant, un grand devoir. »
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Femme à l'Hôtel de Ville, premier jour de La Commune 1871
XXX
« ... Le général de Lacretelle donna l'ordre de fusiller M. Cernuschi... »
Lors d'un procès intenté en 1876 à M. Raspail fils, pour sa brochure en faveur de l'amnistie, la lettre suivante adressée à ce dernier par M. Hervé de Saisy, sénateur, fut lue à l'audience :
« Je ne puis, par un motif de discrétion vis-à-vis de diverses personnes, renouveler dans cette lettre le récit que je vous ai fait de vive voix dans la circonstance que vous me rappelez ; toutefois, je tiens à répondre à votre appel plein de courtoisie en répétant ici les paroles qui servirent de considérant à l'arrêt inique, par lequel les jours de M. Cernuschi ont été menacés, dans la journée où les troupes s'emparèrent de la prison Sainte-Pélagie et du Jardin des Plantes.
« Voici les paroles prononcées par le général de division qui donna cet ordre d'exécution sommaire.
« Apprenant que Cernuschi s'était rendu à la prison, à la porte de laquelle je vis sa voiture, il dit à un interlocuteur que je ne puis désigner : « Ah ! c'est Cernuschi, l'homme aux cent mille francs du plébiscite ; retournez à la prison Sainte-Pélagie et que, dans cinq minutes, il soit fusillé. »
« Cinq minutes représentaient la durée du trajet que devait faire le porteur de cet ordre pour se rendre du cèdre de Jussieu, d'où le général observait les phases du combat, à la prison.
« Je ne compris pas au début le sens de cette phrase étrange, mais je me rappelai quelques instants après qu'elle était l'expression d'une vengeance politique qui allait s'exercer contre M. Cernuschi pour avoir offert cent mille francs à la propagande qui devait représenter l'opposition au plébiscite final de l'empire.
« Profondément indigné de ce que je venais d'entendre, je fus assez heureux pour faire naître une circonstance fortuite à laquelle la victime déjà condamnée dut son salut.
« Tels sont les détails que je puis porter à votre connaissance.
« HERVÉ DE SAISY »
M. Th. Duret, qui accompagnait M. Cernuschi, a fait à l'auteur la communication suivante :
« J'accompagnais M. Cernuschi le jour en question, et j'ai été conduit avec lui devant un peloton d'exécution et ce n'est qu'après une lutte corps à corps engagée par moi avec l'officier commandant le détachement qui nous escortait qu'on nous fit passer outre. Rencontrés alors par le lieutenant-colonel Pereira, nous dûmes à son intervention d'être immédiatement rendus à la liberté... Je ne doute point que M. Hervé de Saisy ne se soit entremis comme il le dit en faveur de M. Cernuschi, mais d'après ce qui nous est arrivé, il m'est resté l'impression que son intervention se fût produite trop tard sans la résistance énergique opposée de notre part. »
Vierge Daniel (dit) (1851-1904), Urrabieta Ortiz y Vierge ;
Femme à l'Hôtel de Ville, deuxième jour de La Commune 1871
XXXI
« ... Un de ces gens dont on se débarrasse... »
Ulysse Parent, l'ancien membre de la Commune, et que les Versaillais confondirent un instant avec le colonel Parent, fut arrêté chez lui et conduit à la cour prévôtale du Luxembourg. II a raconté son arrestation et son interrogatoire dans le journal le Peuple de 1876. « Les officiers se levèrent, a-t-il dit, formant groupe et, à voix basse, se mirent à délibérer, mon sort en cette minute allait être fixé. Subitement, une clameur formidable s'élevant au dehors vint attirer l'attention de tous ; la porte s'ouvrit avec fracas ; un flot d'hommes fit irruption dans la salle. Ils en traînaient un autre au milieu d'eux qu'ils jetèrent avec des cris de triomphe au pied du tribunal. Quand l'homme se releva pâle, meurtri, chancelant, je reconnus le docteur Tony-Moilin. Dès cet instant je fus oublié et un nouvel interrogatoire commença.
« Des dépositions des témoins et des déclarations mêmes de Tony-Moilin, je pus apprendre qu'il était recherché depuis le commencement de la semaine ; qu'il avait trouvé tout d'abord asile chez un ami, lequel, bientôt inquiet de la responsabilité à encourir pour ce fait, l'avait prié d'aller chercher refuge ailleurs. Tony-Moilin découragé était retourné nuitamment à son domicile, rue de Seine. Faut-il que j'ajoute que la délation qui venait de l'en arracher avait été provoquée par un de ses voisins, un docteur en médecine son confrère.
« Ces premiers points établis, le président a continué ses questions : « - Vous connaissez le sort qui attend ceux qui ont pris les armes contre l'armée régulière, surtout quand, comme vous, ils ont eu un commandement supérieur ? - Je n'ai jamais eu de commandement, a répondu l'accusé du ton lent et calme qui lui était habituel, j'étais simplement chirurgien du bataillon de mon quartier et j'ai trop souvent trouvé l'emploi de ma lancette et de mes bistouris, a-t-il ajouté avec un triste sourire, pour avoir pu songer à me servir de mon épée ou d'un fusil. - C'est cela, vous donniez vos soins aux hommes de la Commune et vous faisiez fusiller nos soldats. - J'ai donné mes soins à tous, a répliqué Tony-Moilin, et je n'ai fait fusiller personne. - Dès le 18 mars vous envahissiez la mairie du VIe arrondissement et vous deveniez l'un des adeptes les plus fervents de la Commune - J'ai été désigné après la retraite du gouvernement pour les fonctions d'administrateur du VIe arrondissement, fonctions que je n'ai remplies que pendant quelques jours ; quant à mes idées sur la Commune, elles ne sont pas celles que vous pensez. »
« Ici Tony-Moilin cessa de parler. Une rêverie soudaine semblait avoir envahi son esprit tout entier ; son regard était devenu vague, il paraissait avoir oublié aussi bien le lieu où il se trouvait que l'accusation qui pesait sur lui et ce fut certainement plus en se parlant à lui-même que s'adressant au tribunal que je l'entendis murmurer à voix basse, en ponctuant chacune de ses phrases d'une sorte de hoquet nerveux : « - Oui, la Commune a commis des fautes... Elle s'est perdue en chemin... Ce n'est pas cela qu'il fallait faire... Ils n'ont pas su résoudre le problème... »
« Il prit sa tête entre ses deux mains comme s'il eût voulu comprimer les pensées tumultueuses qui l'assiégeaient, puis, redressant tout son corps dans une fière attitude, le bras levé, le visage illuminé, d'une voix claire et grave, il s'écria hautement :
« -Moi, je suis pour la République universelle et pour l'égalité parmi les hommes ! »
« Cette scène m'avait profondément ému. Je ne connaissais que fort peu Tony-Moilin, mais je l'avais maintes fois rencontré depuis 1868 dans les réunions publiques. Je le savais épris des idées de réforme sociale, mais aussi animé d'un esprit paradoxal et quelque peu chimérique ; sentimental à l'excès, doux et bienveillant, on sentait en lui la foi d'un apôtre.
« Le président avait repris la parole. « - Les principes que vous énoncez ne font que confirmer les renseignements que nous avons sur votre compte ; du reste la notoriété attachée à votre nom suffirait à nous convaincre. Vous êtes l'un des chefs du socialisme et un des hommes les plus dangereux : ces gens-là, on s'en débarrasse. Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ? »
« L'accusé leva les yeux surpris et fit un geste négatif. Il y eut une courte délibération ; le président se leva et d'une voix où perçait l'émotion : « - Monsieur, dit-il solennellement, vous êtes condamné à être passé par les armes; il vous sera donné signification du jugement. »
« J'avais oublié, en cet instant, ma propre situation et, plein de pitié et d'angoisse, le coeur oppressé au point de se rompre, je regardais de tous mes yeux cet homme qui allait mourir. Le visage était contracté et le tic nerveux que j'ai déjà signalé avait reparu ; ce fut cependant d'un accent contenu qu'il reprit la parole : « - Messieurs, en ce moment je laisse une compagne, ma femme. Me sera-t-il permis avant ma mort de régulariser ma position vis-à-vis d'elle et devant la loi ? » - Il fit une pause, puis avec un léger tremblement dans la voix et un visible effort pour cacher son trouble, il ajouta : « - Messieurs, j'y tiendrais beaucoup. »
« - Si cela est possible, dit le président, soyez certain que cela sera fait ; maintenant retirez-vous. »
Quelques heures après, Tony-Moilin fut conduit dans le jardin du Luxembourg et fusillé. Son corps, que sa veuve avait réclamé et que l'on avait d'abord promis de lui rendre, lui fut refusé.
Le 3e Conseil de Guerre tenu à Versailles pour juger les prisonniers de la Commune, septembre 1871 ;
Les prisonniers : Clément, Trinquet, Ferré, Courbet, Regere, Assy, Parent, Champy, Urbain, Ferrat, Lullier, Billioray, Verdure, Descamps, Jourde, Grousset et Rastoul, installé dans la salle du manège de la Petite Ecurie du Roi : lecture du verdict de la condamnation faite le samedi 2 septembre 1871 à 9 heures du soir.
Dessiné par F. Lix ; gravure d'A. Daudenarde, tiré du "Monde illustré", septembre 1871
XXXII
« ... Les dénonciations... même de fonctionnaires qui avaient des tares à cacher... »
En janvier 1879, lors du procès fait au journal la Lanterne qui avait découvert les scandales de la préfecture de police, M. Ansart, bonapartiste, chef de police municipale, déposa que, lors de la rentrée des troupes, il avait arrêté et envoyé devant la cour prévôtale du Châtelet un nommé Villain, depuis quatorze ans concierge à la préfecture ; Villain avait été immédiatement fusillé à la caserne Lobau. Comme on demandait à Ansart pourquoi il avait arrêté Villain, il répondit : « Sur la rumeur publique qui l'accusait d'avoir mis le feu à la préfecture. II me parut avoir l'air louche. » Or, au moment où on l'arrêtait, Villain travaillait à éteindre l'incendie. Il était resté à la préfecture, pendant la Commune, sur l'ordre de ses chefs. L'auteur des articles de la Lanterne, Charvet, employé retraité de la préfecture, déposa que Ansart avait fait fusiller Villain parce que ce dernier savait trop de choses. Comment expliquer autrement qu'il eût envoyé à la mort, sans l'interroger, sans faire d'enquête, uniquement « sur la rumeur publique », un homme qui, pendant quatorze ans, avait été au service de l'administration.
Les prisonniers de la Commune arrivant à Versailles en juin 1871
Croquis de Bocourt, dessiné par Vierge gravé par A. Daudenarde, tiré du "Monde illustré", juin 1871
XXXIII
« ... Ils fusillèrent un Billioray... »
Cet assassinat est aussi à l'avoir du capitaine Garcin. Qu'il ait encore la parole.
« Billioray a d'abord cherché à nier son identité. Il avait voulu se jeter sur un soldat ; c'était un homme d'une force athlétique... Il se défendait, il écumait de rage. On a eu à peine le temps de l'interroger... Il a commencé une histoire de fonds dont il pouvait indiquer la cachette. Il parlait de 150 000 francs, puis il s'est interrompu pour me dire : « je vois bien que vous allez me faire fusiller. C'est inutile que j'en dise davantage. » Je lui ai dit : « Vous persistez ? - Oui. » II a été fusillé. (Enquête sur le 18 Mars, t. II, p. 234.)
Gustave Clarence Rodolphe Boulanger (1824-1888) ;
Assaut d'un cimetière par les troupes régulières, mai 1871
XXXIV
... ils fusillèrent un Brunel, dans les appartements de Mme Fould...
On lisait dans les Débats :
« Le commandant Brunel a été découvert jeudi, dans une maison de la place Vendôme, n° 24, où il s'était réfugié, blotti dans une armoire à robes. Quelques coups de pistolet le tuèrent immédiatement. »
On lisait dans le Petit Journal :
« Brunel était chez sa maîtresse. Cette femme a été également passée par les armes. Après cette double exécution, les scellés ont été apposés sur les portes de l'appartement. »
L'assassinat fut prouvé devant les tribunaux dans le procès de l'Almanach Raspail.
Eugène Battaille (1817-1875) ;
Versailles, août 1871: les communards emprisonnés à l'orangerie du château (vue n°4)
XXXV
Le Gaulois publia le récit d'un chirurgien qui avait assisté à l'exécution de Vallès...
« Le fait, disait le chirurgien [M. Bastin, médecin à Asnières], s'est passé le jeudi 25 mai, à six heures et quelques minutes du soir, dans la petite rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois. Vallès sortait du théâtre du Châtelet, emmené par le peloton d'exécution chargé de le fusiller. II était vêtu d'une jaquette noire et d'un pantalon clair d'une nuance jaunâtre. Il ne portait point de chapeau, et sa barbe, qu'il avait fait raser peu de temps auparavant, était fort courte et déjà grisonnante.
« En entrant dans la ruelle où devait s'accomplir la funèbre sentence, le sentiment de la conservation lui rendit l'énergie qui semblait l'avoir abandonné. Il voulut s'enfuir, mais retenu par les soldats il entra dans une fureur horrible, criant : « A l'assassin ! » se tordant, saisissant ses exécuteurs à la gorge, les mordant, opposant, en un mot, une résistance désespérée.
« Les soldats commençaient à être embarrassés et quelque peu émus de cette horrible lutte, lorsque l'un d'eux, passant derrière, lui donna un si furieux coup de crosse dans les reins que le malheureux tomba avec un sourd gémissement.
« Sans doute la colonne vertébrale était brisée. ON LUI TIRA ALORS QUELQUES COUPS DE FEU EN PLEIN CORPS ET ON LE LARDA DE COUPS DE BAÏONNETTE ; comme il respirait encore, un des exécuteurs s'approcha et lui déchargea son chassepot dans l'oreille. Une partie du crâne sauta, son corps fut abandonné dans le ruisseau, en attendant qu'on vînt le relever.
« C'est alors que les spectateurs de cette scène s'approchèrent, et, malgré les blessures qui le défiguraient, purent constater son identité. »
Maxime du Camp, fidèle à son système de démentis quand même, nia l'exécution de Vallès, prétendit qu'il était l'auteur de cette invention. « On a dit et on peut croire que le réfractaire a rédigé lui-même la relation détaillée de son exécution, et qu'il l'a fait déposer dans la boîte du journal, qui l'a insérée sans autre vérification. »
« Eh bien ! Non ! monsieur du Camp, on ne peut pas le croire, riposta Camille Pelletan, et voici pourquoi : c'est que le nom de la victime est connu. C'était M. Martin, qu'on a donné pour un étudiant en médecine. Peut-être en effet avait-il pris quelques inscriptions. Il avait quelque bien et vivait à son aise. En sortant de déjeuner, à la pension Laveur, où mangeaient parfois Courbet et M. Vallès lui-même, il avait été dénoncé, rue Saint-André-des-Arts, comme étant ce dernier ; il avait perdu la tête et s'était compromis par son trouble ; on l'avait conduit au Châtelet et de là à Saint-Germain-l'Auxerrois, où il est mort. Tous les détails nous ont été fournis par un de nos amis qui a été le sien, et qui les tenait de la mère et de la soeur du malheureux. »
Le 3e Conseil de Guerre tenu à Versailles pour juger les prisonniers de la Commune, septembre 1871 ;
1ère séance. Les prisonniers : Clement, Trinquet, Ferre, Courbet, Regere, Assy, Parent, Champy, Urbain, Ferrat, Lullier, Billioray, Verdure, Descamps, Jourde, Grousset et Rastoul, installé dans la salle du manège de la Petite Ecurie du Roi : lecture du verdict de la condamnation faite le samedi 2 septembre 1871 à 9 heures du soir.
Dessiné par F. Lix, gravure d'A. Daudenarde. Tiré du "Monde illustré", septembre 1871
XXXVI
... Sicre vola sa montre et s'en fit une parure.
Voici d'abord le rapport du lieutenant Sicre :
Paris, le 28 mai 1871
Mon colonel,
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que, dans la journée du 28 mai courant, ayant profité de la permission que vous m'aviez accordée pour aller voir un officier, blessé le 19 janvier dernier, à l'ambulance, rue Saint-Lazare, n° 90 (M. Darnaud, capitaine, de la commune de Roquefixade, Ariège), je fus accosté par un prêtre en bourgeois, chevalier de la Légion d'honneur, qui, me voyant passer, rue Lafayette, me pria d'arrêter, en me le désignant par son nom, le nommé Varlin, ex-ministre délégué aux finances de la Commune. (Ce prêtre avait été arrêté par son ordre et fait plus d'un mois de détention sous le vil régime des assassins de la Commune.)
« Je me suis empressé de déférer à cette demande et, se voyant reconnu lorsque j'ai marché vers lui, Varlin a cherché à m'échapper, en fuyant et en prenant la rue Cadet ; saisi immédiatement au collet, je l'ai maintenu en mon pouvoir et entraîné ainsi jusqu'à la rue de Lafayette, où j'ai requis quelques hommes en armes du 3e de ligne.
« Après lui avoir fait lier solidement les mains derrière le dos, avec une courroie, je l'ai conduit sous bonne escorte à M. le général de division Lavaucoupet, aux Buttes-Montmartre.
« Pendant le trajet, il fut reconnu par toutes les personnes qui se trouvaient sur son passage et, arrivé à l'état-major, il n'a pu nier son identité.
« Parmi les objets trouvés sur lui, se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 fr. 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé Tridon.
« Après avoir été présenté devant M, le général de division, interrogé et ne voulant rien dire, il fut, d'après les ordres du général, conduit par moi et l'escorte près du mur du jardin où furent assassinés, le 19 mars, nos braves généraux Lecomte et Clément Thomas, pour y être fusillé.
« La foule, qui avait accompagné et reconnu l'ex-ministre délégué de la Commune, au nombre de 3 à 4 000, ainsi qu'une grande quantité de personnes des environs des Buttes-Montmartre, ont assisté à cette exécution en approuvant de leurs bravos.
« Je suis, avec respect, mon colonel, votre très humble et très obéissant serviteur.
« SICRE,
« Lieutenant au 67e de ligne. »
Voici un extrait de la plaidoirie prononcée en janvier 1878, par M. Engelhard, président du Conseil général de la Seine, à l'occasion d'une demande présentée par la famille d'Eugène Varlin, pour faire reconnaître que leur parent avait été fusillé :
« Enfin, le rapport du lieutenant Sicre dit que, sur le cadavre, il a été trouvé une montre en argent. Cette montre avait été offerte à Varlin par ses camarades comme témoignage de reconnaissance, et le graveur dont je produis l'attestation déclare y avoir gravé ces mots : « À Eugène Varlin, souvenir de ses camarades. » Celui qui a trouvé la montre sur le cadavre l'aura nécessairement ouverte et, dans l'enquête, il pourra déclarer si cette inscription y était gravée.
« je connais le nom de la personne qui détient cette montre et qui la porte encore aujourd'hui. Je puis même citer un détail singulier. Il y a quelques années, le détenteur de la montre s'est trouvé à un dîner où il fut question des exécutions sommaires faites à Paris lors de l'entrée de l'armée de Versailles. Quelqu'un prononça le nom de Varlin, disant qu'il s'était réfugié à Londres. L'individu, que je ne veux pas nommer, répondit : « - Varlin est bien mort. J'ai... assisté à l'exécution. Une montre trouvée sur le cadavre atteste son identité. »
« Et alors, tirant une montre de sa poche, il en ouvrit la cuvette et fit lire aux convives terrifiés cette inscription : « À Eugène Varlin, les ouvriers relieurs reconnaissants. » (Sensation.)
« Cet individu, je le répète, je ne veux pas le nommer ; mais si vous ordonnez une enquête il sera appelé ainsi que ceux qui ont lu l'inscription.
« Je n'insisterai point sur ce point. Le tribunal en comprend la gravité, car il est défendu de dépouiller les morts et il est infâme de se vanter d'une action que toute conscience honnête doit réprouver et flétrir. »
M. Engelhard écrivit à ce sujet à l'auteur :
« C'est bien Sicre que j'ai voulu désigner. C'est lui qui a pris la montre de Varlin et qui la porte ! »
Eugène Varlin (1839-1871)
XXXVII
... on utilisa des puits...
En avril 1877, lors de la discussion qui eut lieu au Conseil municipal de Paris à l'effet d'accorder un secours à la famille de Popp, fusillé à Mazas, quoiqu'il n'eût pris aucune part à la lutte, un conseiller, Dumas, dit « qu'après la rentrée des troupes, il fut, en sa qualité d'adjoint au maire du XIIe arrondissement, appelé à donner des permis d'inhumation pour plus de quatre cents personnes fusillées dans la prison de Mazas. Tous ces cadavres, parmi lesquels se trouvait peut-être celui de Popp fils, furent jetés dans un puits du cimetière de Bercy. Ce qui est certain, c'est que l'identité de ces personnes n'a pas été reconnue et qu'il n'y a pas eu d'acte de décès. »
Paul Moreau-Vauthier (1871-1936) ; Aux victimes des révolutions, 1907-1909 ;
square Samuel de Champlain, Paris
square Samuel de Champlain, Paris
XXXVIII
... Les massacres en masse durèrent jusqu'aux premiers jours de juin...
Le Radical du 30 mai 1872 publia la lettre suivante d'un employé de Saint-Thomas-d'Aquin qui, pendant la Commune, avait rendu aux Versaillais le service d'empêcher le tir des canons de 8 se chargeant par la culasse.
À monsieur le comte Daru, président de la commission d'enquête sur l'insurrection du 18 mars, à Versailles.
« Monsieur le président,
« Je viens de lire dans un livre qui a pour titre : Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars ; déposition des témoins, la déposition suivante du capitaine d'état-major Garcin :
« Tous ceux qui étaient arrêtés les armes à la main étaient fusillés dans le premier moment, c'est-à-dire pendant le combat. Mais quand nous avons été les maîtres de la rive gauche, il n'y a plus eu d'exécution. »
« Dans le rapport du maréchal de Mac-Mahon sur les opérations de l'armée de Versailles contre Paris insurgé, je trouve la déclaration suivante :
« Dans la soirée du 25 mai, toute la rive gauche était en notre pouvoir, ainsi que les ponts de la Seine. »
« Le témoignage du capitaine Garcin est malheureusement contraire à la vérité. Quatre jours après le 25 mai, mon fils et quatorze autres malheureuses victimes ont été tués à la caserne Dupleix, située sur la rive gauche, près l'École militaire.
« Le 31 août, j'ai adressé, à ce sujet, au ministre de la justice, une plainte dont je joins ici une copie conforme, dans laquelle, après avoir relaté les faits qui avaient rapport à mon fils, je demandais que la justice recherche et punisse les coupables.
« La justice est restée, jusqu'à présent, sourde à mes réclamations, malgré la publicité que j'ai donnée à cette plainte pour établir la disparition de mon enfant.
« S'il était vrai, ainsi que le déclare le capitaine Garcin, que des ordres eussent été donnés par le général commandant en chef les troupes de la rive gauche pour faire cesser les exécutions à partir du 25 mai au soir, s'il était encore vrai que le maréchal de Mac-Mahon eût, par une dépêche du 28 mai, donné l'ordre de suspendre toute exécution, ainsi que M. le colonel, présidant le conseil de guerre lors du procès des membres de la Commune l'a déclaré, l'officier de gendarmerie, le nommé Rencol, l'ordonnateur des massacres de la caserne Dupleix et ses complices, auraient été poursuivis pour avoir, au mépris des ordres des chefs de l'armée, fait tuer des malheureux qui n'avaient pris aucune part au combat.
« Ainsi, chose affreuse, le 29 mai dans la matinée, pendant que je rendais, à Saint-Thomas-d'Aquin, les canons que, sur l'honneur, mon fils et moi nous avions juré de conserver à l'État et pour lesquels nous avions risqué notre vie, mon fils était massacré dans le fond d'une écurie, par ceux qui auraient dû le protéger.
« En conséquence des faits que je viens de faire connaître, je prie monsieur le président d'avoir l'extrême obligeance de faire rectifier la déposition de M. le capitaine d'état-major Garcin, qui est, sur ce point des exécutions, entièrement contraire à la vérité.
« J'ai bien l'honneur, monsieur le président, de vous saluer avec la plus entière considération.
« Signé : G. LAUDET. »
« Copie conforme adressée par lettre chargée le 28 mars 1872, sous le n° 158, à M. le comte Daru, qui en a donné reçu.
« Paris, le 29 mai 1872. »
Ernest Pichio (1840-1898) ; La veuve du fusillé
XXXIX
... Longtemps des drames mystérieux visitèrent le Bois de Boulogne...
« C'est au Bois de Boulogne que seront exécutés à l'avenir les gens condamnés à la peine de mort par la cour martiale.
« Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse les pelotons d'exécution. »
(Paris-Journal, 9 juin)
« Le Bois de Boulogne est entièrement interdit à la circulation.
« Il est défendu d'y entrer, - à moins d'être accompagné d'un peloton de soldats - et encore bien plus défendu d'en sortir. »
(Paris-Journal, 15 juin.)
Extraits de : Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901) ; Histoire de la Commune de 1871, 1896
"Barricade" ; Cliché de Pierre-Ambrose Richebourg (1810-1893)
Merci merci, c'est trop ! Eh oui, je reviendrai lire lorsque j'aurai pas mal de temps devant moi... L'affreuse boucherie du petit peuple parisien, j'y pensais souvent en me baladant autrefois dans le peu qui reste des anciens quartiers de Paris ou bien au Père-Lachaise... Maintenant, j'ai bien peur que tout cela soit envahi de bobos sans cervelle et sans mémoire, et les descendants des vrais parigots exilés à Evry, Pontoise, Meaux ou... Grenoble... ou même plus loin ailleurs. En passant, c'est bien joli le mois de mai à Paris... les terrasses des bistrots avec le parfum de la bière... et puis le souvenir des pavés et l'odeur des gaz lacrymogènes. Allez... tout ça me rend mélancolique !
RépondreSupprimerCher Ogre, vous ne changez pas, et moa je tiens toujours à vous rendre visite le matin... Il est des choses qui pourraient rester dans mon esprit, mais que voulez vous, je ne retiens rien !
RépondreSupprimerMais passons.
C'est peut-être bien la première fois que je marche lentement dans votre bosquet par crainte de ne pas y être la bienvenue. Cela fait tant de jours, tant de mois que je n'y ait mis les pieds que j'ai peur de... Ce doit être ma culpabilité qui me suit dans les hautes herbes, à l'ombre d'un vieux chêne, à l'affut d'un faux pas pour m'empoigner et me faire manger des orties...
Cher Ogre, aurais-je l'audace de vous nommer Ogrichon, ce n'est pas la première fois que je tiens pareil discours et ma culpabilité se rapproche davantage. Parfois, il m'est pénible de me souvenir du bon vieux temps ; tout comme il m'est pesant de ne pas tenir une véritable taverne, mais qu'importe, si je dois passer 12 Travaux afin de venir m'excuser encore et encore, je le ferais.
Cher Ogre, je vous présente mes plus humbles hommages, ainsi que ce tonneau de lait de chèvre.
Comment allez vous ?
Cher Ogre, je ne saurais dire ce que j'aime le mieuxxx ; votre gargantuesque présence ou votre verve vive... Je crois bien qu'on ne puisse diviser les deuxxx, puisque vous êtes les deux à la fois, et l'un sans l'autre serait j'en ai peur, bien moins majestueuxxx que l'Ogre qui me fait l'honneur et la joie de sa visite.
RépondreSupprimerDe grâce cependant, la prochaine fois que vous entreprenez votre dîner, vérifiez que celui ci ne transporte rien qui puisse vous êtes utile ( ou adressé ), j'en serais rassurée. Non pas que le dernier fonctionnaire postier me soit particulièrement attaché mais à force de vous servir de goûter, il est fort possible que plus personne ne veuille s'aventurer dans vos bois afin de me servir.
Laissez donc les océans tranquille, cela fait bien longtemps que nous avons conversé, et venez plutôt boire le thé et me conter vos journées.