dimanche 14 novembre 2010

... À l'exposition coloniale...





[...] Les Pénitents Les rois Fainéants Les Sénégalais L'automobile du roi du Caoutchouc

L'exposition coloniale

L'anneau dans le nez de la Religion catholique
Les hosties de la défense nationale
fétiches fétiches on te brûle si tu fais
la nique à des hommes couverts de sabres et de dorures
et l'outrage aux magistrats dans l'exercice de leurs fonctions
L'anneau dans le nez de la Troisième République
l'enfantement obligatoire
Il faut des soldats à la Patrie
L'Exposition coloniale

Palmes pâles matins sur les Îles Heureuses
palmes pâles paumes des femmes de couleur
palmes huiles qui calmiez les mers sur les pas d'une corvette
charmes des spoliations lointaines dans un décor édénique
De nouvelles Indes pour les insatiabilités d'Indre-et-Loire
De nouvelles Indes pour les perversités du Percepteur
et le Missionnaire cultive une Sion de cannes à sucre
tandis que le nègre Diagne élevé dans la perspective à la dignité ministérielle
administre admirablement massacrés et massacreurs
sous l'égide du coq tricolore Ô Venise
Othello la nuit n'est pas plus noire
aujourd'hui malgré les illuminations modernes

Les bourreaux chamarrés parlent du ciel inaugural
de la grandeur de la France et des troupeaux d'éléphants
des navires des pénitentiaires des pousse-pousse
du riz où chante l'eau des travailleurs au teint d'or
des avantages réservés aux engagés volontaires de l'infanterie de marine
du paysage idéal de la baie d'Along
de la loyauté de l'indigénat chandernagorique

Soleil soleil d'au-delà des mers tu angélises
la barbe excrémentielle des gouverneurs
Soleil de corail et d'ébène
Soleil des esclaves numérotés
Soleil de nudité soleil d'opium soleil de flagellation
Soleil du feu d'artifice en l'honneur de la prise de la Bastille
Au dessus de Cayenne un quatorze juillet

Il pleut il pleut à verse sur l'Exposition coloniale

Louis Aragon, Extrait de Mars à Vincennes, in Persécuté persécuteur, 1931


Dans cette grande famille des peuples colonisateurs, quelle est la place de la France ? Cette exposition le dit.
À nous, Français, elle donne une leçon de fierté, en nous montrant le résultat de trois siècles d'efforts.



Le Français est colonial par vocation. Ce n'est pas l'exiguïté de son territoire, ni les luttes religieuses qui l'ont chassé, c'est le goût de l'aventure, de la découverte, c'est la curiosité sympathique à l'égard des races nouvelles. Pourquoi cette sympathie, apte à se les concilier ? Parce que la France est un carrefour entre le monde méditerranéen et le monde nordique, parce que les Français ne sont pas une race, mais une nation. Dès lors, ils ne parlent pas au nom de la race, orgueilleux et cruel critérium, fossé infranchissable, mais au nom d'une civilisation humaine et douce dont le caractère est d'être universel.


Et, pourtant, Messieurs, malgré cette vocation coloniale, le sentiment populaire a souvent résisté aux nouvelles entreprises. C'est une élite dans l'élite qui conçoit, qui décide, qui engage. Au loin, seuls dans la brousse, des officiers, des administrateurs, des pionniers, souvent méconnus, désavoués même parfois, ont su prendre des initiatives, des responsabilités, des risques. À Paris, les hommes d'État, les grands républicains qui ont fondé, à la fois, un régime, un empire, Ferry-le-Tunisien, Ferry-le- Tonkinois, ont su braver l'impopularité de la rue et des assemblées. Aujourd'hui, dans l'épanouissement de l'empire qu'ils nous ont donné, que la foule se retourne vers ces morts avec humilité !




Encore, Messieurs, y avait-il, à cette erreur populaire, une excuse. Beaucoup pensaient alors qu'étendre la France c'était la diluer, l'affaiblir, la rendre moins apte à conjurer un péril toujours menaçant. Mais l'expérience a prononcé. La République, après avoir donné à la France des provinces lointaines, lui a restitué ses provinces perdues1.



Discours prononcé par Paul Reynaud, ministre des Colonies, lors de l'inauguration de l'Exposition coloniale, 6 mai 1931.

1. Allusion à la récupération de l'Alsace et de la Lorraine à la suite de l'armistice du 11 novembre 1918.



Ne visitez pas l’exposition coloniale



« À la veille du 1er mai 1931 et à l’avant veille de l’inauguration de l’Exposition coloniale, l’étudiant indo-chinois Tao est enlevé par la police française. Chiappe, pour l’atteindre, utilise le faux et la lettre anonyme. On apprend, au bout du temps nécessaire à parer à toute agitation, que cette arrestation, donnée pour préventive, n’est que le prélude d’un refoulement sur l’Indo-Chine [1]. Le crime de Tao ? Etre membre du parti communiste, lequel n’est aucunement un parti illégal en France, et s’être permis jadis de manifester devant l’Elysée contre l’exécution de quarante Annamites. L’opinion mondiale s’est ému en vain du sort des deux condamnés à mort Sacco et Vanzetti. Tao, livré à l’arbitraire de la justice militaire et de la justice des mandarins, nous n’avons plus aucune garantie pour sa vie. Ce joli lever de rideau était bien celui qu’il fallait en 1931, à l’exposition de Vincennes.




L’idée du brigandage colonial (le mot était brillant et à peine assez fort), cette idée, qui date du XIXème siècle, est de celles qui n’ont pas fait leur chemin. On s’est servi de l’argent qu’on avait en trop pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches, grâce auxquels il y a enfin, là-bas, de quoi travailler pour un salaire et, cet argent, on le représente volontiers comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le travail de ces millions de nouveaux esclaves nous ait donné les monceaux d’or qui sont en réserve dans les caves de la Banque de France. Mais que le travail forcé – ou libre – préside à cet échange monstrueux, que des hommes dont les mœurs, ce que nous essayons d’en apprendre à travers des témoignages rarement désintéressés, des hommes qu’il est permis de tenir pour moins pervertis que nous et c’est peu dire, peut-être pour éclairés comme nous ne le sommes plus sur les fins véritables de l’espèce humaine, du savoir, de l’amour et du bonheur humains, que ces hommes dont nous distingue ne serait-ce que notre qualité de Blancs, nous qui disons « hommes de couleurs », nous hommes sans couleur, aient été tenus, par la seule puissance de la métallurgie européenne, en 1914, de se faire crever la peau pour un très bas monument funéraire collectif – c’était d’ailleurs, si nous ne nous trompons pas, une idée française, cela répondait à un calcul français – voilà qui nous permet d’inaugurer, nous aussi, à notre manière, l’Exposition coloniale et de tenir tous les zélateurs de cette entreprise pour des rapaces. Les Lyautey, les Dumesnil, les Doumer, qui tiennent le haut du pavé aujourd’hui dans cette même France du Moulin-Rouge n’en sont plus à un carnaval de squelettes près. On a pu lire il y a quelques jours, dans Paris, une affiche non lacérée dans laquelle Jacques Doriot était présenté comme le responsable des massacres d’ Indo-Chine. Non
lacérée.




Le dogme de l’intégrité du territoire national invoqué pour donner à ces massacres une justification morale, est basé sur un jeu de mots insuffisant pour faire oublier qu’il n’est pas de semaine où l’on ne tue aux colonies. La présence sur l’estrade inaugurale de l’Exposition Coloniale du Président de la République, de l’Empereur d’Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance du concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C’est pour implanter ce concept-escroquerie que l’on a bâti les pavillons de l’Exposition de Vincennes. Il s’agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu’il leur faudra pour entendre sans broncher l’écho des fusillades lointaines. Il s’agit d’annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabane-bambou, une perspective de minarets et de pagodes. A propos, on a pas oublié la belle affiche de recrutement de l’armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous- officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l’homme du pays – l’aventure, l’avancement.




Rien n’est d’ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d’ouverture, devient fait acquis. N’en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l’Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. Les pionniers de la défense nationale en régime capitaliste, l’immonde Boncour en tête, peuvent être fiers du Luna-Park de Vincennes. Tous ceux qui se refusent à être jamais les défenseurs des patries bourgeoises sauront opposer à leur goût des fêtes et de l’exploitation l’attitude de Lénine qui, le premier au début de ce siècle, a reconnu dans les peuples coloniaux, les alliés du prolétariat mondial.




Aux discours et aux exécutions capitales, répondez en exigeant l’évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et fonctionnaires responsables des massacres d’Annam, du Liban, du Maroc et de l’Afrique centrale. »



Signataires :
Breton André, Eluard Paul, Péret Benjamin, Sadoul Georges, Aragon Louis, Char René, Tanguy Yves, Unik Pierre, Thirion André, Crevel René, Alexandre Maxime, Malkine George.

1. Nous avons cru devoir refuser, pour ce manifeste, les signatures
de nos camarades étrangers


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